Banque africaine de développement : huit prétendants pour un fauteuil
Qui sera le prochain président de la Banque africaine de développement ? Si le Nigeria se démène pour décrocher le titre, l’Histoire a montré que les « petits pays » tirent souvent leur épingle du jeu… À deux mois du verdict, tour d’horizon des candidats, aussi expérimentés que déterminés.
La bataille promet d’être serrée ! Huit candidats de haut vol au CV bien garni et venus des quatre coins du continent avec un seul et même objectif : diriger la Banque africaine de développement (BAD). Le 28 mai, à Abidjan, lors des assemblées générales annuelles de cette institution, la plus importante du continent dans le domaine du développement, c’est au conseil des gouverneurs, présidé par l’Ivoirien Albert Mabri Toikeusse, que reviendra la difficile tâche de les départager. Celui-ci parviendra-t-il à désigner le successeur du Rwandais Donald Kaberuka, qui passera la main en septembre ? « Il n’est pas exclu que le scénario de 2005 se reproduise », prédit un fonctionnaire international qui insiste sur la forte détermination des différents candidats. Il y a dix ans, les gouverneurs réunis à Abuja n’avaient pas réussi à trancher entre les deux finalistes : Donald Kaberuka et le Nigérian Olabisi Ogunjobi. Le vote avait alors été reporté au mois de juillet.
« Trop sérieux »
Dans cette nouvelle campagne, c’est l’Afrique de l’Ouest qui s’illustre. Alors que la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) ont présenté chacune un seul candidat (le Zimbabwéen Zondo Thomas Sakala et le Tchadien Bedoumra Kordjé), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sera représentée par quatre prétendants : le Malien Birama Boubacar Sidibé, la Cap-Verdienne Cristina Duarte, le Sierra-Léonais Samura Kamara et le Nigérian Akinwumi Adesina.
Un temps évoquée, l’hypothèse d’un candidat unique pour cette région a fait long feu. « Quels critères aurait-il fallu retenir pour le désigner ? » s’interroge Birama Boubacar Sidibé, qui a quitté son poste de vice-président de la Banque islamique de développement (BID) début février pour se lancer dans la course. « Diriger la BAD est quelque chose de trop sérieux pour faire l’objet de marchandage », insiste celui qui y a déjà travaillé et qui assure avoir obtenu le soutien de onze pays africains. Un point de vue partagé par Cristina Duarte, pour qui il faut laisser de côté les intérêts géopolitiques. Une allusion à peine voilée à la tentation qu’aurait eue le Nigeria d’imposer son concurrent à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest…
Première puissance économique du continent depuis 2014, le pays de Goodluck Jonathan, premier actionnaire de la BAD devant les États-Unis, est extrêmement déterminé à décrocher la présidence de l’institution, qui dispute à la Banque mondiale la place de premier financeur du développement en Afrique.
Donald Kaberuka, le jour d’après
En septembre, lorsqu’il cédera son fauteuil à la fin de son second mandat, Donald Kaberuka, 63 ans, rentrera-t-il au Rwanda où, avant son élection à la tête de la BAD, il occupait le poste de ministre des Finances et de la Planification économique ? La question taraude la sphère économique panafricaine depuis quelque temps.
Comme la plupart des candidats, Akinwumi Adesina n’a pas attendu la publication de la liste définitive des candidats, le 20 février, pour lancer sa campagne. Lors des dernières assemblées générales de l’institution, à Kigali, au Rwanda, il s’est montré particulièrement actif pour gagner le soutien des dirigeants (publics comme privés) présents. Puis en octobre, lors des assemblées générales de la Banque mondiale à Washington, celui qui est chargé du portefeuille de l’agriculture au sein du gouvernement nigérian est parvenu à pénétrer le huis clos des ministres des Finances subsahariens.
De tous les conclaves, le ministre s’est aussi affiché au Forum franco-africain pour une croissance partagée, qui a rassemblé près de 1 000 personnes (dont quatre chefs d’État) début février à Paris. Le lobbying du Nigeria n’inquiète pas outre mesure Bedoumra Kordjé, ministre tchadien des Finances et du Budget. « Cet État a souvent présenté des candidats, mais ils n’ont jamais été élus. La BAD a toujours été dirigée par les ressortissants de « petits pays » [actionnaires africains minoritaires] », avance-t-il. Une réalité que certains contestent aujourd’hui : « La donne a changé depuis que l’Afrique du Sud s’est emparée de l’Union africaine en 2012 [son attitude hégémonique à la tête de l’institution est néanmoins critiquée]. Le Nigeria estime désormais qu’il est légitime pour diriger la BAD. Cependant, la crise terroriste et l’affaiblissement récent de son économie le handicapent », décrypte le conseiller d’un président ouest-africain.
Bedoumra Kordjé, qui a occupé plusieurs postes à haute responsabilité au sein de la BAD dont celui de secrétaire général, pourrait toutefois profiter d’un avantage géographique. Jamais un État d’Afrique centrale n’a décroché cette fonction. « Depuis trente ans, la BAD a été dirigée par un Sénégalais, un Marocain puis un Rwandais. C’est à leur tour, cette fois », ajoute ce même conseiller.
Élection, mode d’emploi
Le président de la BAD est élu par le conseil des gouverneurs, qui comprend un représentant de chacun des 80 pays membres. Les membres régionaux (africains) de ce conseil détiennent 60 % des votes, contre 40 % pour les membres non régionaux (États-Unis, Japon, Arabie saoudite, Brésil, France, etc.).
Tout candidat doit être ressortissant d’un pays membre régional, et, pour être élu, obtenir une double majorité : 50,01 % des voix africaines et 50,01 % des voix africaines et non africaines.
Le président tchadien Idriss Déby Itno lui-même a pris son bâton de pèlerin pour défendre sa candidature auprès de ses pairs en Afrique subsaharienne, mais aussi en Égypte et en France. Pour être élu à la tête de la BAD, il est en effet nécessaire d’obtenir l’appui des pays dits non régionaux, qui, au nombre de 26, totalisent un peu plus de 40 % des droits de vote (voir l’encadré ci-contre). Afin de rallier un maximum de soutiens, le chef d’État ne se privera sans doute pas de faire valoir le rôle joué par son pays dans la lutte contre le terrorisme.
Surprise
Disposer d’un réseau à l’international, un atout dont bénéficie un autre candidat d’un « petit pays », le Tunisien Jalloul Ayed. Cet ancien ministre des Finances et ex-dirigeant du groupe bancaire BMCE a des relations aux États-Unis, en France et au Maroc. Son élection pourrait représenter une sorte de compensation pour la Tunisie, alors que la BAD, délocalisée à Tunis depuis onze ans, a fait son retour à Abidjan en 2014. Mais la surprise pourrait venir de l’Éthiopien Ato Sufian Ahmed. Bien que peu connu en Afrique de l’Ouest, « il est bien vu au sein des organisations internationales et par les États-Unis », glisse un haut fonctionnaire international. L’inamovible ministre des Finances (depuis 1995) et du Développement économique (depuis 2001) récolterait ainsi les fruits de son expérience et du rôle clé qu’il a joué dans la transformation économique que connaît son pays.
Le 27 mai, chaque candidat aura l’occasion de présenter sa vision de la gouvernance de la BAD et du développement économique du continent devant le conseil des gouverneurs. Sur ce terrain, d’après un consultant de l’institution panafricaine, « ils resteront certainement sur la ligne tracée par Kaberuka, c’est-à-dire la poursuite de la transformation structurelle de l’Afrique, le financement des infrastructures et le soutien au secteur privé ». Il suffit d’écouter le discours des différents candidats pour lui donner raison.
Découvrez les profils des huit candidats à la présidence de la BAD
– Akinwumi Adesina, 55 ans, Nigeria
– Ato Sufian Ahmed, 56 ans, Éthiopie
– Jalloul Ayed, 64 ans, Tunisie
– Cristina Duarte, 52 ans, Cap-Vert
– Samura Kamara, 63 ans, Sierra Leone
– Bedoumra Kordjé, 63 ans, Tchad
– Zondo Thomas Sakala, 59 ans, Zimbabwe
– Birama Boubacar Sidibé, 62 ans, Mali
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