Féminisme : Chimamanda Ngozi Achidie, cinquante nuances de Black

Auteure d' »Americanah », la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie déconstruit avec méthode les préjugés racistes et sexistes. Son discours sur le féminisme vient d’être publié en français.

Chimamanda Ngozi Adichie, auteure du livre « Nous sommes tous des féministes ». © Catherine Heulié/Editions Gallimard

Chimamanda Ngozi Adichie, auteure du livre « Nous sommes tous des féministes ». © Catherine Heulié/Editions Gallimard

ProfilAuteur_FabienMollon

Publié le 31 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Beyoncé n’est pas rancunière. Dans sa chanson Flawless, la star américaine a samplé un long extrait (lire encadré) d’un discours de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé fin 2012, à Londres, et que les éditions Gallimard publient aujourd’hui sous le titre : Nous sommes tous des féministes.

Pourtant, dans son roman Americanah, sorti en 2013 aux États-Unis et récemment traduit en français, l’écrivaine nigériane égratigne gentiment la star du R’n’B : "Nous aimons tous Bey mais pourrait-elle nous montrer, juste une fois, à quoi ressemblent ses cheveux lorsqu’ils poussent sur son crâne ?"

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Cette question, c’est plus précisément Ifemelu, l’héroïne du livre, qui la pose sur son blog dans un billet intitulé "Appel à Michelle Obama – Les cheveux comme métaphore de la race". Car loin d’être un débat esthétique réservé aux magazines féminins, le choix d’une chevelure naturelle ou défrisée a, sous la plume d’Adichie, une portée hautement politique : l’injonction silencieuse faite par la société américaine d’arborer des cheveux lisses s’applique en effet aux femmes noires et, partant, cristallise deux types de discrimination, le racisme et le sexisme, que l’auteure de 37 ans s’applique à déconstruire aussi bien dans son roman que dans son discours.

Mais revenons à Ifemelu, Nigériane émigrée à Philadelphie pour y faire ses études, laissant derrière elle son amour de jeunesse. Aux États-Unis, elle prend conscience de sa couleur de peau et de toutes les nuances de perception qui l’accompagnent selon qu’on soit africain, africain-américain, blanc, métis… Avec une grande finesse d’analyse et une attention aux détails, aux apparences et aux non-dits digne d’un sociologue, Ifemelu-Chimamanda (la romancière partage elle-même sa vie entre Chicago et Lagos) montre ce qu’un simple geste, un mot ou un regard révèle des rapports de classe, de race et de sexe, aux États-Unis comme au Nigeria.

Le tout sans aucun manichéisme : Americanah, qui est aussi une très belle histoire d’amour(s), est habité de personnages blancs et/ou masculins éminemment positifs. "La race n’est pas de la biologie ; la race est de la sociologie. La race n’est pas un génotype ; la race est un phénotype. La race compte à cause du racisme. Et le racisme est absurde parce qu’il concerne uniquement l’apparence.

"Ici, c’est encore Ifemelu qui parle, dans un billet de blog dont le thème est "Obama est-il tout sauf noir ?". Autant d’aphorismes qui ne sont pas sans rappeler les paroles d’Adichie dans Nous sommes tous des féministes : "La culture ne crée pas les gens. Les gens créent la culture. S’il est vrai que notre culture ne reconnaît pas l’humanité pleine et entière des femmes, nous pouvons et devons l’y introduire." À bon entendeur…

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Americanah, traduit de l’anglais par Anne Damour, Gallimard, 528 pages, 24.50euros.

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Nous sommes tous des féministes, suivis des Marieuses, Gallimard/Folio, 96 pages, 2 euros.

Morceaux choisis (par Beyoncé)

Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer. Nous leur disons : Tu peux être ambitieuse, mais pas trop. Tu dois viser la réussite sans qu’elle soit trop spectaculaire, sinon tu seras une menace pour les hommes . […] Comme je suis une fille, on s’attend à ce que j’aspire à me marier. On s’attend à ce que je fasse des choix en gardant toujours à l’esprit que le mariage c’est ce qu’il y a de plus important. Le mariage peut être une bonne chose, une source de bonheur, d’amour, d’entraide. Mais pourquoi apprenons-nous aux filles à y aspirer et non aux garçons ? […] Nous apprenons à nos filles à considérer les autres filles comme des concurrentes, non dans le travail ou pour se réaliser – ce qui serait une bonne chose à mon avis – mais pour susciter l’intérêt des hommes. Nous apprenons à nos filles que leur sexualité n’est pas comparable à celle des garçons. […] Féministe : une personne qui croît à l’égalité sociale, politique et économique des sexes.

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