Santiago Zannou : un rôle à jouer

De père béninois et de mère espagnole, le réalisateur place l’immigration et le métissage au coeur de ses films. La singularité de ses histoires lui a ouvert les portes du cinéma espagnol.

Santiago Zannou, le réalisateur qui place l’immigration et le métissage au coeur de ses films. © Juan Manuel Castro-Prieto/Agence Vu pour JA

Santiago Zannou, le réalisateur qui place l’immigration et le métissage au coeur de ses films. © Juan Manuel Castro-Prieto/Agence Vu pour JA

Publié le 26 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

"À Madrid, on m’appelle noir ; en Catalogne, espagnol ; et en Afrique, blanc, car je suis européen, lance tout de go Santiago Zannou. Dès que je me suis inscrit à l’école de cinéma de Barcelone, je n’ai eu qu’une chose en tête, faire des films sur l’immigration et le métissage." Le réalisateur de 38 ans a tenu parole, amorçant sa carrière avec le court-métrage Cara sucia ("visage sale") dès sa sortie du Centre d’études cinématographiques de Catalogne (CECC), en 2004.

Un film dans lequel il raconte comment un garçon noir cherche à blanchir sa peau après s’être fait traiter d’enfant sale à l’école. En fait, ce gosse, c’est lui. À Carabanchel, un quartier populaire de Madrid où il a grandi avec son père, originaire du Bénin, et sa mère, aragonaise, ses camarades le font souffrir et il frôle l’échec scolaire. "L’Espagne est un pays raciste : il n’y a aucun représentant politique qui soit latino-américain, arabe ou noir, affirme-t-il avec beaucoup d’aplomb. Mais je suis de caractère optimiste et je pense que c’est une occasion merveilleuse pour nous, descendants d’Africains, de tracer un chemin. Sinon, la vie serait ennuyeuse, n’est-ce pas ?"

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Santiago Zannou a le débit facile, l’accent très madrilène et parle avec ses mains. Il raconte un quotidien écorché par le regard des autres, mais qui a permis une plus grande solidarité familiale. C’est à son frère, aujourd’hui son plus proche collaborateur puisqu’il crée toutes les bandes-son de ses films, qu’il doit sa vocation cinématographique. Après avoir été serveur, vendeur et livreur de pizzas, il a 20 ans lorsque Wolfrank l’invite sur un tournage dont il réalise les musiques. Santiago est fasciné. Dans les jours qui suivent, il lit dans la presse que des enfants nigérians ont été retrouvés, congelés, dans la soute d’un avion pour Bruxelles où ils comptaient réclamer des fournitures scolaires à l’Union européenne. C’est le déclic. Il donnera désormais de la voix pour ceux qui n’en ont pas. "Je crois que ma vision des choses enrichit le cinéma espagnol. D’ailleurs, toutes mes idées intéressaient mes professeurs à Barcelone", raconte celui pour qui Charlie Chaplin, son réalisateur préféré, demeure "une référence mondiale pour ceux qui sont partis de rien".

À la fin de ses études, il se voit proposer un poste d’enseignant au CECC. Aujourd’hui encore, Santiago y donne des cours d’histoire du cinéma. S’il vit à Madrid, il a acheté un appartement à Barcelone et parle couramment le catalan.

Pour le centenaire de la Fédération espagnole de football, en 2009, il a été chargé de réaliser une vidéo sur l’histoire de l’équipe nationale, El Alma de la Roja ("l’âme de la Roja"). Mais Zannou s’est définitivement gagné une place dans le cinéma espagnol en recevant, la même année, trois prix Goya (équivalents des césars français), dont celui du meilleur réalisateur pour son premier film El Truco del manco ("l’astuce du manchot"), 2008. Il y met en scène un rappeur qui souffre de paralysie cérébrale et rêve de monter un studio. L’acteur non professionnel, Juan Manuel Montilla alias El Langui, se bat contre son handicap et enregistre son premier disque avec Wolfrank Zannou après avoir rencontré son frère cadet. "El Langui avait un regard très critique sur la société, et cela nous a unis, nous sommes devenus amis, explique Santiago Zannou. Son personnage m’a poussé à écrire le scénario de mon film."

Ceux qui ont côtoyé le réalisateur sur les plateaux disent de lui qu’il est dur et exigeant. "J’aime être le capitaine du bateau, j’aime commander", reconnaît Zannou, qui, par ailleurs, affirme être "marié avec le cinéma" quand on évoque sa vie privée. Pour son dernier film, Alacrán enamorado ("scorpion amoureux"), 2013, il a demandé aux trois acteurs principaux de vivre pendant plusieurs semaines dans un appartement de 30 m2 afin de s’apprivoiser. Cette adaptation d’un roman de Carlos Bardem, qu’il a dirigée avec son frère Javier ("le meilleur acteur du monde"), relate l’histoire d’amour d’une fille métisse avec un jeune néonazi… Un cri d’alarme face à la montée des extrêmes en Europe alors que Santiago se souvient encore d’avoir dû, adolescent, courir dans le métro pour ne pas se faire tabasser par des skinheads.

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Tout juste rentré d’Éthiopie où il vient de tourner un court-métrage sur les projets humanitaires de l’ONG espagnole Manos Unidas, Zannou se souvient de son premier voyage au Bénin, en 2010. "J’ai eu envie que mon père revoie son pays natal, quarante ans après l’avoir quitté, raconte le réalisateur qui porte en deuxième prénom celui de son grand-père paternel, Ahuanojinou. Je voulais montrer le côté humain de l’immigration car mon père a pu devenir peintre et vendre ses toiles en émigrant en Espagne." Chez lui, Alphonse Zannou a rejoué l’histoire de sa vie devant les caméras – en fon, langue du sud du pays – pour La puerta de no retorno ("la porte du non-retour"), produite en 2011.

C’est avec son père aussi que Santiago a pleuré, à Nantes, sur le port d’où partaient jadis les esclaves africains. "J’aimerais centrer mon prochain film sur l’esclavage et me mettre dans la peau du personnage de mon livre préféré, J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian", explique-t-il. Si la crise rend ses projets incertains, Zannou est fier d’avoir un producteur qui croit en son travail. "Être métis, c’est une vocation à être original, des portes s’ouvrent", lance-t-il, optimiste.

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