Chine : garde-à-vous !

Grande campagne anticorruption au sein de l’état-major, augmentation du budget de la défense, définition d’une nouvelle stratégie… Le président Xi Jinping veut mettre l’armée au pas !

Parade militaire en janvier 2014 à Pékin. © Kim Kyung Hoon/Reuters

Parade militaire en janvier 2014 à Pékin. © Kim Kyung Hoon/Reuters

Publié le 24 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Avec l’équivalent de 145 milliards de dollars (environ 137 milliards d’euros), le budget chinois de la défense demeure quantitativement le deuxième au monde, loin derrière celui des États-Unis (577,1 milliards), mais largement devant celui du Japon (41,6 milliards). Avec ses 2,3 millions de soldats, ses quatre cents armes nucléaires et son porte-­avions, l’Armée populaire de libération (APL) reste, dans la région et au-delà, une force de tout premier plan.

Elle est pourtant depuis un an le théâtre d’une purge d’une ampleur sans précédent depuis le temps de Mao Zedong. Au cours de la quinzaine écoulée, sept nouveaux généraux ont été arrêtés pour corruption. Parmi eux, Guo Zhenggang, le fils de Guo Boxiong, un ancien vice-président de la Commission militaire centrale du Parti communiste (PCC). Au total, une douzaine d’officiers supérieurs ont été placés en détention au cours des derniers mois.

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"La corruption est très importante au sein de l’APL, explique Laung Kwow, un spécialiste des questions militaires. Les officiers bénéficient de nombreux avantages en nature qui échappent à tout contrôle. C’est la raison pour laquelle les achats de grades sont monnaie courante. Si le président Xi Jinping veut vraiment remettre de l’ordre dans les rangs, il va lui falloir augmenter les soldes des militaires et leur interdire de faire du commerce !"

Car l’armée chinoise est aussi une puissance économique qui étend ses tentacules dans de nombreux secteurs. Elle possède des hôtels, des restaurants, des entreprises de pêche ou des mines, qu’elle gère comme le ferait n’importe quelle entreprise privée. C’est tout particulièrement le cas de China Poly Group, son bras commercial, qui possède quelque 30 millions de mètres carrés de terrain, dont la moitié en construction, mais aussi la troisième plus importante maison d’enchères au monde et des centaines de filiales dans une dizaine de pays. L’entreprise est cotée en Bourse à Hong Kong et à Shanghai, emploie 12 500 civils, mais reste, c’est sa vocation première, le premier exportateur d’armes chinoises. Bref, Poly Group peut tout aussi bien vendre des matériels militaires au Zimbabwe et au Soudan ; construire des autoroutes en Irak et en Syrie ; ou importer en exclusivité des bolides italiens de marque Maserati. Pour de nombreux spécialistes, il est aussi au coeur du système de corruption en vigueur dans l’armée.

Palais

Les autorités politiques souhaitent mettre un terme à ce fâcheux mélange des genres, empêcher les militaires de faire des affaires et les renvoyer dans leurs casernes. Vaste programme !

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L’avenir de Poly Group se discute actuellement au plus haut niveau. L’an dernier, l’APL s’est vu interdire l’achat de nouveaux immeubles et de limousines de luxe. Une décision prise dans la foulée de l’arrestation du général Gu Junshan, qui occupait d’importantes responsabilités dans le secteur des approvisionnements. Les enquêteurs ont découvert qu’il possédait plusieurs dizaines d’appartements dans le centre de Pékin, ainsi qu’une villa dans la ville de Puyang. Un véritable palais décoré d’objets d’art en or massif et construit sur le modèle de la Cité interdite ! L’affaire fit grand bruit dans les casernes, où l’on était accoutumé à laver son linge sale en famille. Mais l’arrestation la plus spectaculaire a été celle, l’an dernier, du général Xu Caihou, ex-vice président de la puissante Commission militaire centrale du PCC. Une première dans l’histoire de l’APL. Xu n’aura d’ailleurs pas survécu longtemps à sa chute : il est mort le 15 mars, d’un cancer.

Lancé dans une vaste campagne de redressement du pays, Xi Jinping a repris à son compte le vieux slogan maoïste : le Parti commande aux fusils. "Il est le fils d’un général et sait très bien comment utiliser le pouvoir militaire, explique Ni Lexiong, un autre spécialiste. C’est un très habile manoeuvrier." L’APL n’a participé à aucune guerre depuis trente-cinq ans. La dernière était contre le Vietnam, et elle a été piteusement perdue. Fondée en 1927 à partir d’une troupe de maquisards dépenaillés, l’armée chinoise est aujourd’hui engagée sur un autre front : la restauration de l’idéologie communiste. "Elle n’a jamais été aussi riche, aussi puissante, mais aussi moralement décadente", avance Ni Lexiong pour justifier cette reprise en main.

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Pour que son armée redevienne rouge vif, Xi Jinping lui impose un retour aux sources. Il y a trois mois, il a organisé à l’intention de quatre cents officiers supérieurs une réunion politique dans le Fujian, là même où, en 1929, Mao forgea le concept d’une armée au service du Parti communiste. Il impose aussi la lecture du "Rêve chinois", son programme, à tous les généraux et à tous les élèves des écoles militaires. Les soldats consacrent désormais 40 % de leur temps à étudier l’histoire du PCC.

Pour lui, l’idéologie est une "arme magique". Et la déliquescence morale, une "corruption des âmes". Dans ses discours, il explique que les soldats doivent être "purs, loyaux et fidèles". D’ici au mois de juin, tous devront avoir passé au moins six jours à étudier les textes présidentiels, afin d’incarner cette "nouvelle génération de soldats" que ledit président appelle de ses voeux. Cette campagne a en effet pour objectif de s’assurer de l’attachement des troupes au Parti, bien sûr, mais aussi à la personne de Xi lui-même. Depuis plusieurs mois, Pékin bruit en effet de rumeurs de coup d’État militaire…

C’est sans doute pour cantonner les pulsions belliqueuses des soldats à la défense du territoire national que le budget des forces armées ne connaîtra cette année qu’une augmentation relativement limitée : 10,1 %, contre 12,2 % en 2014. C’est la plus faible progression depuis cinq ans. Porte-parole du ministère de la Défense, le colonel Yang Yujun a récemment estimé que "seule la corruption peut détruire notre armée". Et que la lutte contre ce fléau est "un volet essentiel de la modernisation en cours".

Li Keqiang, le Premier ministre, est sur la même longueur d’onde. Pour lui, "bâtir une défense nationale solide et des forces armées puissantes est fondamental pour la sauvegarde de notre souveraineté". Fermement déterminé à défendre "résolument les intérêts et les droits maritimes" de son pays, il entend faire de lui "une puissance maritime". On parle d’ailleurs de la construction d’un deuxième porte-avions. Le premier, le Liaoning, a été mis en service en septembre 2012.

On l’aura compris : remettre l’armée au pas ne signifie pas lui couper les vivres. Pour la première fois depuis 2009, un grand défilé militaire aura d’ailleurs lieu le 3 septembre à Pékin pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit, selon un commentateur officiel, d’"impressionner le Japon". Vladimir Poutine, le président russe, est invité. Les autorités invoquent un indispensable "rattrapage" après les "humiliations" infligées par les puissances occidentales et le Japon au XIXe et au XXe siècles. Mais d’autres y voient plutôt une façon pour le pays d’asseoir son contrôle sur la mer de Chine, par où transitent 90 % des approvisionnements en hydrocarbures et en matières premières du pays. La délimitation des frontières maritimes est à l’origine de tensions chroniques entre Pékin et ses voisins, Japon, Vietnam et Philippines en tête. On a frôlé plusieurs fois l’incident armé…

Supersonique

La part des dépenses militaires de la Chine dans la région est passée de 28 % en 2010 à 38 % l’an dernier, selon un rapport de l’Institut international pour les études stratégiques. Outre ses porte-avions, la Chine mise sur le Y8, son futur bâtiment de lutte anti-sous-marine, sur son chasseur furtif J31 et sur ses missiles balistiques intercontinentaux DF-41 et DF-31. Un missile de croisière supersonique CX-1 est également en projet.

Le complexe militaro-industriel chinois se porte donc comme un charme et participe allègrement à la course aux armements en Asie. La Chine a d’ailleurs dépassé récemment la France en tant que troisième exportateur mondial d’armement. Entre 2009 et 2013, elle a vendu près des trois quarts de ses engins de mort au Bangladesh, au Pakistan et à la Birmanie. Mais son objectif à long terme est autre. Xi Jinping veut à tout prix contrer le retour des États-Unis dans la région. On sait que l’administration Obama a fait de l’Asie le pivot de sa politique étrangère. Soixante pour cent des forces navales américaines y seront déployées d’ici à 2020. Stationnée à Yokosuka, au Japon, la VIIe flotte passerait ainsi de 48 à 67 bâtiments, avec l’arrivée, dès 2016, des premiers destroyers de classe Zumwalt équipés de canons électromagnétiques.

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