Le Brésil, une démocratie malade

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 30 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Ce sont les évêques brésiliens qui ont le mieux pris la mesure du péril qui menace leur pays. Dans un communiqué du 10 mars, cinq jours avant les manifestations géantes contre la présidente, leur Conférence nationale avait sonné l’alarme : "Le scandale Petrobras, les mesures d’ajustement budgétaire adoptées par le gouvernement, la crise institutionnelle et les manifestations d’insatisfaction sont autant de signaux d’une situation critique, qui, si elle était niée ou mal gérée, pourrait porter atteinte à l’État de droit démocratique."

Car le cocktail "corruption-austérité-inflation-perte de légitimité-mécontentement" est explosif. Depuis plusieurs mois, on voit apparaître dans les rassemblements contestataires des pancartes demandant l’intervention de l’armée pour nettoyer les écuries du pouvoir. Les naïfs qui les brandissent ignorent que les régimes dictatoriaux sont plus opaques que les démocraties et que la corruption y prospère sous le couvert d’un ordre affiché.

Il y a quelque chose de très sain dans la colère des Brésiliens.

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Mais il y a quelque chose de très sain dans la colère des Brésiliens. "Il est réconfortant de constater que la tolérance des sociétés à l’égard de la corruption a diminué, se félicite l’universitaire Carlos Quenan, vice-président de l’Institut des Amériques, à Paris. Cette exigence de transparence intervient après une campagne présidentielle qui a polarisé la société civile, car certains ont cru qu’ils pourraient battre Dilma Rousseff. Et ceux-là ne lâcheront pas le morceau sur le "petrolão"." Une revanche.

À dire le vrai, le Brésil n’est pas le plus corrompu des pays d’Amérique latine. Si l’on en croit le palmarès de l’infamie établi par l’ONG Transparency International, il se classe loin derrière le Venezuela ou le Mexique. Mais il a longtemps cultivé une certaine indulgence à l’égard de "l’argent noir", qui, croyait-on, permettait aux hommes politiques de faire leur travail. The Economist du 14 mars a beau jeu de rappeler que les élections de l’an dernier ont été hors de prix : 1,3 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros), sans compter la présidentielle. "Les lois encadrant le financement des élections ont été contournées de mille manières", estime notre confrère britannique.

Plus grave encore, c’est le système politique lui-même qui semble vicié. Il repose sur un système électoral à la proportionnelle avec scrutin de liste ouverte qui empêche de dégager des majorités cohérentes au Sénat, à la Chambre des députés, dans les parlements régionaux et les municipalités. L’émiettement des partis est impressionnant : 28 sont représentés au Parlement, 11 comptent moins de 5 élus. Pour gouverner quelque collectivité que ce soit, il faut donc s’allier avec ses adversaires. Dilma Rousseff a été réélue d’une courte tête à la présidence, l’an dernier, mais son Parti des travailleurs a été devancé aux législatives par le PMDB. L’alliance entre le premier, réputé d’extrême gauche, et le second, classé au centre droit, était inévitable… En dépit de quelques tiraillements, de tels gouvernements de coalition fonctionnent en Allemagne, en Grèce ou en Tunisie. Le drame brésilien est que ces alliances sont de pure circonstance et ne sont jamais cimentées par un programme de gouvernement dûment négocié. "Il faut en permanence les reconsidérer", regrette Carlos Quenan.

De l’État fédéral jusqu’à la plus petite des communes, ce sont des intérêts particuliers qui orientent l’action des coalitions au pouvoir. En 2005, du temps du président Lula da Silva, un scandale comparable à celui d’aujourd’hui avait éclaté. Il avait été baptisé Mensalão, car des "mensualités" étaient régulièrement versées par le Parti des travailleurs à des députés d’opposition pour qu’ils votent dans le sens souhaité par le gouvernement !

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Oui, il y a quelque chose de pourri dans la République du Brésil, mais l’assainissement réclamé depuis les manifestations de juin 2013 ne viendra pas de la destitution d’une présidente à la popularité en berne. Si les Brésiliens veulent s’épargner le retour des maréchaux de sinistre mémoire, c’est l’ensemble du système qu’ils vont devoir remettre à plat. 

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