Brésil : un cyclone nommé Petrobras
L’argent du groupe pétrolier public a-t-il servi à acheter des dizaines de responsables politiques de toutes obédiences ? Depuis plusieurs mois, un scandale de corruption d’une ampleur sans précédent secoue le pays. Dilma Rousseff y résistera-t-elle ?
Vue de loin, la marée jaune et vert – les couleurs de l’équipe nationale – qui a déferlé sur le Brésil, les 14 et 15 mars, pouvait faire croire à une scène de liesse après, pourquoi pas, une victoire en finale de la Coupe du monde de football. Ce n’était pas le cas, bien sûr, et cette fois les Allemands n’y étaient pour rien. La joie de vivre et la cordialité légendaires des Brésiliens étaient restées au vestiaire pour faire place à un mécontentement sourd. Pour ne pas dire à la colère. Car si, dans quelque quatre-vingts villes du pays, un million et demi de personnes sont descendues dans la rue, c’était pour exiger la destitution de Dilma Rousseff, engluée jusqu’au cou dans le scandale Petrobras. Dans la foule, quelques jusqu’au-boutistes sont allés jusqu’à demander l’intervention de l’armée pour contraindre la présidente au départ. Un comble, alors que le pays a eu tant de mal à se libérer de vingt années de dictature militaire !
Après le raz-de-marée, Rousseff ne s’est pas exprimée. Mais José Eduardo Cardozo, son ministre de la Justice, a parlé pour elle et annoncé l’adoption prochaine de mesures pour lutter contre la corruption. Il était temps ! Car, depuis plusieurs mois, une affaire de corruption d’une ampleur sans précédent secoue le pays. Comme son nom – Petrobras – l’indique, elle met en cause le grand groupe pétrolier public, soupçonné par la justice d’avoir acheté à l’instigation des gouvernements successifs plusieurs dizaines de responsables politiques de toutes obédiences. L’enquête ne fait que commencer. Et beaucoup de questions n’ont pas encore trouvé de réponse.
Qu’est-ce que l’affaire Petrobras ?
Le groupe Petrobras a longtemps fait la fierté du pays. Conséquence de la découverte de nombreux gisements de pétrole le long des côtes brésiliennes au début des années 2000, il est devenu en quelques années l’un des plus puissants d’Amérique latine.
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"Il y a de forts soupçons que Dieu soit brésilien", plaisantait naguère Dilma Rousseff. Prise dans les remous du plus grand scandale de corruption jamais vu sous ces latitudes, la présidente n’a aujourd’hui plus vraiment le coeur à rire. Pour tenter de sauver sa tête, elle est même contrainte de faire profil bas.
Dans sa chute, le géant pétrolier a entraîné une cinquantaine de responsables politiques et une trentaine d’entreprises du BTP. Tout ce joli monde avait constitué une sorte de cartel dont l’unique objectif était de se partager les grands chantiers de Petrobras. Une enquête policière a été diligentée il y a près d’un an – l’opération est surnommée "lava jato", qu’on pourrait traduire par "Kärcher". Elle a révélé que tous les contrats, ou presque, conclus par Petrobras donnaient lieu à des surfacturations.
Au total, près de 3 milliards d’euros de pots-de-vin auraient été distribués au cours des dix dernières années. Entre 1 % et 3 % de cet argent aurait servi à alimenter les caisses noires de plusieurs partis politiques.
Qui sont les corrompus ?
Chaque jour apporte son lot de révélations. La plus attendue était la liste, longtemps tenue secrète, des corrompus établie par le procureur Rodrigo Janot. On n’a pas été déçu. Rendue publique début mars, ladite liste fait apparaître que 49 hommes politiques, parmi lesquels 12 sénateurs et 22 députés, sont fortement soupçonnés d’avoir reçu des commissions occultes. Tous les partis, ou presque, sont concernés.
Sept membres du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), formation centriste qui appartient à la coalition gouvernementale, figurent ainsi sur la liste. Parmi eux, le président de la Chambre des députés et celui du Sénat. Les opposants du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) sont eux aussi mouillés jusqu’au cou. Et ne parlons pas du Parti des travailleurs de Dilma Rousseff ! Huit de ses membres sont mis en cause, notamment son trésorier et une ancienne chef du cabinet présidentiel – qui siège aujourd’hui au Sénat.
On découvre avec effarement l’ampleur de la corruption qui gangrène le pays. Et l’étroitesse de la collusion entre les secteurs privé et public. "N’ayez aucune illusion, a témoigné Paulo Roberto Costa, ex-directeur des approvisionnements chez Petrobras, devant une commission d’enquête parlementaire. Ce qui s’est passé chez nous est la norme dans tous les secteurs d’activité : les routes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, les barrages…"
Si la corruption est omniprésente, il est rare que les corrupteurs soient identifiés et, a fortiori, poursuivis, d’où le caractère exceptionnel de cette affaire, qui en rappelle d’ailleurs une autre, celle dite du mensalão, cette "grosse mensualité" versée à des dizaines de parlementaires pour les convaincre de voter certains projets de loi. Un scandale qui, en 2006, faillit coûter sa réélection à Lula.
La présidente est-elle directement impliquée ?
Depuis le début de l’enquête, Dilma Rousseff jure de n’avoir été au courant de rien, mais ce système de défense peine à convaincre l’opinion. N’était-elle pas l’amie intime de Graça Foster, la directrice de Petrobras poussée à la démission ? N’a-t-elle pas été ministre de l’Énergie de 2003 à 2010 ? Ne siégeait-elle pas, à ce titre, au conseil d’administration de Petrobras ? Et que penser du témoignage accablant de Pedro Barusco, un ancien cadre de la société désireux d’obtenir une remise de peine ? Selon lui, aucun doute : Lula et Dilma étaient parfaitement informés. Pis, l’argent aurait servi à financer la campagne de la seconde, en 2010. Il estime que le système de corruption était en place avant l’arrivée aux affaires du Parti des travailleurs, mais qu’il se serait institutionnalisé (si l’on peut dire) ensuite. Le PT dément formellement.
Quelles conséquences politiques ?
Depuis sa réélection de justesse il y a deux mois et demi, Rousseff a le plus grand mal à exister. Après la révélation du scandale, sa cote de popularité a dévissé aussi vite que l’action Petrobras à la Bourse de Sao Paulo. Selon l’institut de sondages Datafolha, elle a perdu 19 points en février et ne recueille plus que 23 % d’opinions favorables. Elle qui avait fait du combat contre la corruption son cheval de bataille a perdu toute crédibilité aux yeux de la majorité de ses compatriotes. Pourtant, son discours reste le même : "Je pense, dit-elle, que l’enquête peut changer le Brésil pour toujours, dans la mesure où l’on va en finir avec l’impunité. C’est la première enquête sur la corruption qui englobe les secteurs privé et public."
Quoi qu’il en soit, elle se retrouve de plus en plus isolée au Congrès. Et ses opposants se frottent les mains. Son allié centriste, le PMDB, première force politique au Sénat dont Dilma ne peut se passer pour gouverner, se rapproche ostensiblement de l’opposition. Comment va-t-elle pouvoir faire passer ses projets de loi au Congrès, en particulier la réforme fiscale promise pendant la campagne électorale afin de relancer l’économie ?
Le 8 mars à la télévision, elle a demandé à ses compatriotes de la "patience" et de la "compréhension" face aux problèmes du pays et jugé l’affaire Petrobras "lamentable". Ses déclarations sont restées parfaitement inaudibles. Pendant l’allocution présidentielle, d’innombrables familles de la classe moyenne massées à leurs fenêtres et munies d’ustensiles de cuisine ont déclenché un panelaço, un concert de casseroles. Leur slogan était on ne peut plus explicite : "Fora Dilma !" ("dehors, Dilma !")
Quelles conséquences économiques ?
"Le scandale Petrobras va-t-il paralyser le pays ?" s’interroge le magazine économique Exame, qui se fait l’écho de l’inquiétude des marchés après cinq années de croissance plus que poussive – elle devrait être proche de zéro en 2014. De nombreux chantiers sont à l’arrêt ; des contrats et des investissements risquent d’être annulés ou suspendus en attendant des jours meilleurs ; l’inflation augmente ; le surendettement des ménages, aussi. Et l’action Petrobras – l’entreprise représente entre 10 % et 15 % du PIB brésilien – a perdu en Bourse plus de 60 % de sa valeur depuis six mois. L’année 2014 a été mauvaise, 2015 risque d’être pire. Même Joaquim Levy, le très contesté ministre de l’Économie – sa politique d’austérité passe de plus en plus mal -, le reconnaît, c’est dire ! l
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