Algérie : haro sur le divorce !
À l’occasion de la Journée de la femme, Abdelaziz Bouteflika a appelé son gouvernement à réviser le code de la famille. Notamment certaines dispositions particulièrement rétrogrades… mais avec quelles perspectives ?
La photo de famille était parfaite. Installé dans un fauteuil, derrière trois tables basses ornées de roses, Abdelaziz Bouteflika est entouré de vingt et une femmes, dont Nouria Meslem, ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme. Chefs d’entreprise, cadres de l’administration ou membres de professions libérales, toutes sont habillées de façon moderne : tailleur, ensemble veste-pantalon, robe ou jupe. À l’exception d’une seule, coiffée d’un voile blanc.
En ce 8 mars, Journée internationale de la femme, après un long déjeuner avec le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, nos dames sont conviées à une collation avec le chef de l’État dans sa résidence médicalisée de Zéralda, sur le littoral ouest d’Alger. "La réception a duré deux heures, raconte l’une des participantes. Le président, qui conserve une très bonne mémoire, s’est montré très attentif à nos doléances. Il a demandé nos avis sur ce qu’il fallait changer dans le code de la famille pour consacrer davantage l’émancipation de la femme algérienne. Il s’est engagé à renforcer ses droits."
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À l’issue de cette audience, Bouteflika, via un message lu par sa ministre de la Solidarité, annonce une nouvelle réforme du code de la famille, promulgué en juin 1984 sous l’ère du parti unique et largement inspiré de la charia (la loi coranique), puis révisé en février 2005. Le président, qui fêtera le 17 avril l’anniversaire de son quatrième mandat, demande dans la foulée au gouvernement de mettre en place un comité ad hoc de révision et de réaménagement des articles relatifs au divorce "qui prêtent à interprétation". Objectifs, selon les termes du communiqué : combler les insuffisances du code de la famille en la matière et garantir la protection des droits des deux conjoints et des enfants.
"Infamie"
Que va-t-il se passer maintenant ? Concrètement, des théologiens, des juristes, des sociologues, des psychologues et des représentants d’associations féminines vont soumettre, après de larges consultations, une série de propositions qui déboucheront sur un avant-projet de loi. Deux choix s’offriront alors au chef de l’État. Légiférer par ordonnance, comme la Constitution l’y autorise, ou bien transmettre le texte à l’Assemblée populaire nationale (APN) et au Conseil de la nation (Sénat) pour être débattu, enrichi ou retoqué.
Choix périlleux ; compte tenu du caractère hautement sensible du sujet et pour prévenir une levée de boucliers du courant islamo-conservateur, il est fort probable que le président se dispense de l’avis des députés et des sénateurs. Comme cela a été le cas le 22 février 2005, quand les amendements introduits dans le texte de 1984 avaient été adoptés par ordonnance en Conseil des ministres, puis votés sans débats par les deux chambres du Parlement.
Dix ans après, il faut croire que ce code de "l’infamie", ainsi surnommé par les partisans de son abrogation pure et simple, continue de susciter la controverse. Et ce sont les dispositions liées au divorce qui cristallisent les passions, d’autant que, selon le ministère de la Justice, le nombre de séparations a explosé, passant de 34 000 en 2007 à 70 000 en 2014. Des chiffres largement inférieurs à la réalité, selon la sociologue Dalila Djerbal.
Quid de ces dispositions ? La première concerne l’article 54 relatif au divorce par khol’â, c’est-à-dire la séparation contre réparation financière. L’épouse a en effet la possibilité de divorcer de son conjoint sans l’accord de ce dernier, moyennant le versement d’une somme qui ne doit pas dépasser "la dot de parité". Pour les associations féminines, cette disposition est dégradante, car la femme se retrouve obligée de racheter en quelque sorte sa liberté.
Délais et humiliations
Directrice de communication dans une société étrangère basée à Alger, Nadia en a fait l’amère expérience après deux années de vie commune avec son mari : "J’ai dû lui reverser 50 000 dinars [environ 500 euros] pour obtenir le droit de me séparer de lui et de me remarier. N’ayant pas les moyens de régler la note, j’ai emprunté cette somme à mon père. C’est tout simplement humiliant. Et encore, la procédure a duré plus d’une année, avec de nombreux passages devant le juge, avant que ce dernier prononce enfin le divorce. Je n’ose pas imaginer le cas des femmes dont la dot est autrement plus importante."
L’article 53, très controversé, énumère les dix conditions requises pour que la femme puisse demander le divorce.
Faute de statistiques fiables, on ignore le nombre exact de divorces par khol’â. Selon diverses sources, de plus en plus de femmes, actives ou issues de la classe moyenne, recourent à ce procédé. Très controversé également, l’article 53, qui énumère les dix conditions requises pour que la femme puisse demander le divorce.
Un véritable chemin de croix : "infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage", "refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois", condamnation de celui-ci "pour une infraction de nature à déshonorer la famille", absence du conjoint "pendant plus d’un an sans excuse valable ou sans pension d’entretien", ou "désaccord persistant entre les époux".
Et pour chaque cas, la femme doit apporter des preuves au magistrat à l’appui de sa demande de divorce. "Ces conditions sont contraires au principe de l’égalité entre l’homme et la femme consacré dans la Constitution, s’insurge Soumia Salhi, syndicaliste et ancienne présidente de l’Association algérienne pour l’émancipation des femmes (AEF). Comment une épouse peut-elle apporter la preuve que son mari découche ou qu’il n’honore pas son devoir conjugal ? Faut-il installer une caméra dans la chambre conjugale, puis apporter les enregistrements devant un tribunal pour prouver sa bonne foi ? Ce code que nous n’avons cessé de dénoncer depuis trente ans entérine l’infériorité de la femme algérienne."
Message
Enfin, l’article 48, touchant à la répudiation – sujet sensible s’il en est -, fait également débat. Le code de février 2005 autorise l’époux à répudier sa conjointe par simple "volonté", contrairement à l’épouse, dont la demande est soumise à une série de préalables. Là encore, comme le soulignent les militantes féministes, ce texte constitue une violation du principe de l’équité entre l’homme et la femme.
Cette disposition ainsi que les précédentes seront-elles amendées dans un avenir proche ? Les Algériennes attendent et jugeront sur pièce. Une chose est sûre : l’injonction lancée par Bouteflika à son gouvernement pour "sortir la femme algérienne de son statut de mineure" tombe à point nommé. Trois jours auparavant, le 5 mars, le Parlement a adopté une loi criminalisant les violences contre les femmes et instaurant des peines de prison pour les agresseurs.
Comme il fallait s’y attendre, une coalition de députés islamistes a aussitôt dénoncé ce texte jugé contraire à l’islam, accusant au passage leurs collègues de vouloir imposer des normes occidentales à une société musulmane. En s’affichant, le 8 mars, au milieu d’un collège de femmes, presque toutes jeunes, coquettement habillées, talons aux pieds et sourire aux lèvres, le président algérien a-t-il voulu adresser un message à ceux qui s’opposent à l’émancipation féminine ? Réponse dans quelques mois.
Garde de l’enfant : dommages collatéraux
Le code de la famille de 2005 dispose qu’en cas de divorce la garde de l’enfant revient d’abord à la mère (droit qui lui est cependant retiré en cas de remariage). La loi oblige l’époux à assurer à son ex-moitié "un logement décent ou, à défaut, le paiement de son loyer". La femme est maintenue dans le domicile conjugal jusqu’à l’exécution par le mari de la décision judiciaire relative au logement, énonce encore le texte. Sur le papier, ces dispositions sont plutôt favorables aux divorcées. Mais en pratique, c’est une tout autre histoire. En raison de la crise du logement, qui touche des millions de foyers, nombre de femmes divorcées se retrouvent dans la rue ou obligées de retourner chez leurs parents. Devant les tribunaux, elles peinent, en outre, à obtenir l’exécution des jugements prononcés en leur faveur en raison des lenteurs bureaucratiques. D’où la création, en février dernier, d’un fonds national de pension alimentaire pour garantir les droits des mineurs et des femmes ayant la garde des enfants. C’est que le montant alloué par le juge, 5 000 dinars (environ 50 euros) par mois et par enfant, est largement insuffisant.
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