Syrie : à table avec le diable
Pendant des mois, les Occidentaux ont fait du départ de Bachar al-Assad un préalable. Mais après quatre ans de guerre, son régime est toujours debout et sa cruauté est éclipsée par la menace Daesh. Faudra-t-il se résoudre à négocier avec lui ?
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Laurent de Saint Perier
Laurent de Saint-Périer est journaliste spécialiste du Maghreb/Moyen-Orient, couvrant notamment la Syrie, l’Égypte et l’Iran. Il est aussi spécialiste du Gabon.
Publié le 25 mars 2015 Lecture : 3 minutes.
"M. Bachar al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre", s’emportait en août 2012 Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères. "Le régime syrien doit être abattu et rapidement", avait-il poursuivi. Deux ans et demi après ces imprécations, "M. Assad" est toujours sur Terre. Sur une terre calcinée et gorgée du sang de 215 000 morts. Un territoire écartelé entre meutes du régime et hordes jihadistes, tandis que l’insurrection modérée est brisée. L’Occident avait dû se résoudre à voir tomber le Tunisien Ben Ali, à applaudir à la chute de l’Égyptien Moubarak et à aller anéantir le Libyen Kadhafi. Mais abattre le moloch syrien s’est révélé impossible.
Principal facteur de l’équation syrienne, le dictateur ne peut être écarté de sa solution. "Finalement, il faudra travailler avec Assad", s’est résigné John Kerry, le secrétaire d’État américain, le 15 mars, jour du quatrième anniversaire d’une révolution qui, par la grâce d’Assad, promet d’être l’une des plus meurtrières de l’Histoire. La plus longue ? "Guerre pour les autres", guerre menée au nom de conceptions inconciliables de la justice ou de la foi, le conflit au Liban voisin s’est éternisé de 1975 à 1990. Hafez al-Assad, le père de Bachar, avait joué un rôle central pour entretenir cette crise protéiforme qui perdure en paix armée. En 1999, Rafic Hariri, le Premier ministre libanais de l’époque, va pour la première fois s’entretenir sérieusement des questions bilatérales avec l’héritier. Effaré par l’inquiétante immaturité du futur raïs, il avait confié à un proche : "Que Dieu vienne en aide à la Syrie"…
Lorsque a éclaté la crise syrienne en 2011, les sermons moralisateurs de l’Occident avaient encouragé les révolutionnaires, dont beaucoup ont choisi la rébellion armée. Mais contre les "lignes rouges" imaginaires de Washington et les voeux pieux émis à Paris ou à Londres, les prophéties du docteur Bachar se sont réalisées : le séisme régional provoqué par Daesh a fait s’effondrer les frontières du Moyen-Orient, hier Paris était touché par les balles perdues du jihad, aujourd’hui Tunis baigne dans le sang de ses touristes.
Demain ? "Il ne peut y avoir pire qu’Assad", nous avait dit un spécialiste de la Syrie peu après le début de la révolte. Si. Il y a Assad enragé. Face à lui, une opposition officielle bornée, impuissante, sujette aux influences divergentes d’États en compétition et qui s’est discréditée sur le terrain comme sur la scène internationale. Attentisme d’Obama, gesticulations des puissances européennes : écraser Assad comme on avait écrasé Saddam Hussein sous les bombes ne sera pas à l’ordre du jour tant que son armée sera vaillante – des années encore, qui sait ?
Pour faire cesser ce jeu de massacre, une seule solution : négocier. Et négocier avec celui qui dispose sur le terrain de la plus grande puissance de feu et peut-être à cette heure du plus grand soutien populaire : Assad. Oui, il faudra travailler avec Assad, mais comment ? La Russie, certes alliée de Damas et peu soucieuse des droits de l’homme mais pragmatique et menacée par les répliques du séisme jihadiste, a tenté avec succès de rapprocher le régime et une partie de l’opposition qui, si elle vise le départ du tyran, n’en fait pas un préalable dogmatique.
Moscou devrait se voir déléguer un rôle pivot dans de futures négociations, mais, pour cela, il sera indispensable que les États rivaux qui font de la Syrie leur champ d’affrontement – Turquie et Arabie saoudite contre Iran ; Occident contre Russie – trouvent un point d’accord. En 1990, l’ennemi commun Saddam Hussein avait permis une telle convergence, amenant les parrains du conflit libanais à trouver une entente. Aujourd’hui, la menace Daesh pourrait jouer le même rôle pour imposer une paix. Une paix armée qui, comme au Liban, ne résoudra que partiellement les problèmes de fond qui se posaient le 15 mars 2011 ? C’est le risque…
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