Egypt is back !

L’Égypte. Ce grand pays qui marche allègrement vers ses 100 millions d’habitants – il en compte plus de 87 millions en 2015 – vient de se souvenir qu’il fait partie intégrante de l’Afrique et de reconnaître qu’il a eu tort de l’oublier tout au long de ces quinze dernières années.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 26 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

C’est là une bonne nouvelle pour le pays des pharaons comme pour notre continent, dont l’Égypte est, par la population, l’économie et la puissance militaire, un des "cinq grands". À elle seule, cette nouvelle justifie que nous parlions ici, cette semaine, de ce grand pays africain.

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Fondée en 1952 sur les ruines d’une monarchie déconsidérée, la République égyptienne est, depuis plus de soixante ans, sous la férule de l’armée, devenue la colonne vertébrale du pays ; trois officiers généraux se sont succédé à sa tête : Nasser de 1956 à 1970(1), Sadate de 1970 à 1981 et Moubarak de 1981 au 11 février 2011, date à laquelle il a été renversé par la rue.

À l’issue d’une parenthèse-transition civile et islamiste d’un an, les Égyptiens se sont tournés de nouveau vers l’état-major militaire et ont confié leur sort et celui du pays à un quatrième officier général : Abdel Fattah al-Sissi, chef de l’armée élevé à la dignité de maréchal.

Il est aux commandes du pays depuis juillet 2013 et a été élu président de la République le 28 mai 2014 ; il jouit d’une grande popularité et détient un pouvoir quasi absolu.

Mes lecteurs savent que, tout en déplorant qu’il ne soit pas démocrate – il professe que l’Égypte ne sera prête à accéder à la démocratie que dans vingt ans et a décidé que les Frères musulmans devaient être éradiqués -, j’incline à penser qu’il n’y avait pas d’autre solution pour l’Égypte de 2013.

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Avant que Sissi en prenne la présidence pour le compte de l’armée, le pays partait à vau-l’eau. Depuis qu’il est à sa tête, il s’efforce de lui redonner sa place dans le monde arabe comme en Afrique, de le remettre au travail.

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Des amis égyptiens dont je respecte l’avis m’ont convaincu, dès 2013, que leur pays n’avait que lui pour lui faire prendre le chemin du redressement : "Ni l’Égypte ni son armée n’avaient mieux à nous offrir", m’ont dit ces bons connaisseurs de leur pays et de son histoire. "Nasser, Sadate et Moubarak, ses grands prédécesseurs, ont certes mal fini, mais chacun d’entre eux a été pendant les dix premières années de son règne un bon président", ont-ils ajouté, avant de conclure : "C’est le tour de Sissi, il sera le bon président dont l’Égypte a besoin pour rattraper le retard qu’elle a pris depuis le début de ce siècle, pour résoudre les problèmes et les difficultés qui se sont accumulés et pour lui faire retrouver son rang.  Dans dix ans ? Qui vivra verra…"

Un premier bilan de ce que Sissi a pu entreprendre ou accomplir depuis qu’il a été élu conforte cette analyse.

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Les Égyptiens se remettent peu à peu au travail, le budget du pays se rééquilibre, les subventions à l’énergie et aux produits de première nécessité ont été courageusement et presque entièrement supprimées. Et l’argent ainsi économisé a été affecté à l’éducation et à la santé.

Les investissements intérieurs et extérieurs ont repris à grande échelle, et des projets s’élaborent, dont certains paraissent grandioses, voire démesurés : nouvelle capitale, doublement du canal de Suez

Sur le plan diplomatique, dans les dernières années de Moubarak, l’Égypte était devenue un satellite des États-Unis et d’Israël, sa dépendance financière à l’égard de ses "frères arabes" était criante et elle quémandait l’aide européenne.

Sans hésitation ni délai, Sissi lui a fait prendre ses distances avec les États-Unis et Israël, sans pour autant rompre avec ces deux pays, demeurés des partenaires ; dès 2014, l’Égypte a noué des relations équilibrées avec la Russie, la Chine et l’Inde, élaboré une politique arabe et une stratégie anti-islamiste.

Avec ses voisins africains, dont en particulier l’Éthiopie, elle a clairement choisi le dialogue pour résoudre les problèmes que pose le partage des eaux du Nil et remplacé les tensions du passé par la recherche de l’entente et de la coopération.

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Plutôt que d’en vouloir à l’Union africaine, qui avait suspendu son pays après la déposition de Mohamed Morsi, président élu, Sissi s’est employé à réintégrer l’Égypte parmi les grandes nations de l’Union ; par sa présence aux réunions et sa participation aux décisions, il a montré que son pays était de nouveau pleinement africain.

L’Égypte de Moubarak n’avait presque plus d’échanges, ni diplomatiques, ni humains, ni commerciaux, avec les autres pays africains. Sissi a mis un terme à cette déshérence et, symbole de la reprise, on a vu, le 15 mars, plus de dix chefs d’État africains participer au forum économique organisé par l’Égypte à Charm el-Cheikh.

"Egypt is back!" : l’achat par Le Caire de vingt-quatre avions Rafale français est l’une des dernières manifestations de ce retour de l’Égypte sur la scène internationale. En le décidant, Sissi a fait coup double : aux États-Unis, il a montré qu’il n’achète pas forcément américain et à l’Europe, qu’il a du répondant.

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De Napoléon Bonaparte à ses débuts, Talleyrand a dit : "S’il passe la première année, il ira loin." Sissi, lui, est à la veille d’entrer dans la deuxième année de sa présidence. Loin d’avoir "mangé son pain blanc", il a devant lui un boulevard car l’Égypte a grand besoin de se réformer et, en Sissi, elle tient le réformateur et l’homme capable d’en rassembler les moyens intérieurs et extérieurs.

Les dangers qui le guettent sont les méfaits du culte de la personnalité et la croyance qu’il peut avoir contractée que les Égyptiens et le monde extérieur accepteront indéfiniment les atteintes aux droits de l’homme dont il a fait l’un des aspects de sa politique.

L’Égypte n’est peut-être pas encore mûre pour la démocratie, mais ni les Égyptiens, ni les Africains, ni le reste du monde ne toléreront que son régime s’installe dans "les poisons et les délices" de l’autocratie.

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