Départementales françaises : panique dans les états-majors

À gauche comme à droite, tout le monde a compris que le Front national va sans doute remporter le premier tour des élections départementales, le 22 mars. Mais est-il pour autant aux portes du pouvoir ?

Marine Le Pen, le 5 mars. © PHILIPPE HUGUEN / AFP

Marine Le Pen, le 5 mars. © PHILIPPE HUGUEN / AFP

Publié le 16 mars 2015 Lecture : 6 minutes.

Les leaders politiques ont-ils pris des leçons de sagesse paysanne au Salon de l’agriculture, où ils ont fait surenchère de présence ? Après la crise de nerfs consécutive à la loi Macron, qui a bien failli dégénérer en crise de régime, un certain calme est revenu dans les partis. Martine Aubry avait prévenu devant son club Renaissance : "Si on nous fait le coup du travail le dimanche, alors là, je pète les plombs."

Les plombs n’ont pas sauté et Notre-Dame des frondeurs s’est hâtée d’assurer : "Le président doit réussir et sera notre candidat." Depuis les tragédies terroristes du début de l’année, François Hollande a gagné en estime et en respect dans les sondages, où les railleries voire les insultes ont significativement régressé.

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Mais "l’esprit du 11 janvier" qu’il souhaitait prolonger en transformant l’unité nationale en union républicaine n’a pas résisté plus d’un mois à la réapparition des inquiétudes économiques et des impatiences sociales. S’il bénéficie toujours du soutien majoritaire (66 %) des sympathisants socialistes, il est retombé à ses plus bas niveaux de popularité avec 74 % de mécontents dans l’ensemble de la population. Manuel Valls est pour sa part, et comme d’habitude, mieux traité (57 %). Il est même jugé le mieux placé à gauche face au Front national.

La partielle du Doubs a joué son rôle de test national

Redoutée à gauche comme à droite, la partielle du Doubs a, le 8 février, bien joué son rôle de test national. Le socialiste Frédéric Barbier a sauvé son siège mais perdu 8 000 voix. Sa rivale frontiste a perdu la bataille, mais de 800 voix dans une circonscription qui compte 30 000 votants. Au siège du PS, on a aussitôt sorti les calculettes. Rapportés aux 45 millions d’électeurs, combien de suffrages supplémentaires suffiront à Marine Le Pen, déjà à la tête du premier parti de France depuis les européennes, pour s’imposer devant l’UMP et la gauche au premier tour de la présidentielle ?

Si aventureuse soit l’anticipation à deux ans de l’échéance, elle a déclenché un "sus au FN !" dans tous les partis menacés, avec une dramatisation verbale qui en dit long sur la panique ambiante. Face à ce "danger pour la République" (Jean-Christophe Cambadélis), Hollande ambitionne de lui "arracher" ses électeurs. Et Valls confie son "angoisse de le voir aux portes du pouvoir" ; et pas en 2022 ou en 2027, insiste-t-il, mais en 2017. L’alarme est aussi vive à droite. Pour contrer l’"UMPS" inlassablement matraqué par Marine Le Pen, Sarkozy a inventé un "FNPS" assorti d’un slogan sauve-qui-peut : "Voter FN au premier tour, c’est faire gagner la gauche au second !"

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Et Brice Hortefeux d’enfoncer le clou : "Voilà trente ans qu’ils se font la courte échelle." Cette mise en place d’un "cordon sanitaire" (Alain Juppé) destiné à "rediaboliser" (François Rebsamen) le Front national n’est pourtant pas sans risque. Elle pourrait avoir pour effet négatif de victimiser Marine Le Pen dans l’avantageuse posture d’un David seul contre tous les Goliath. C’est l’avis du spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus : "Dans ce bras de fer, chacun peut tordre le bras de l’autre." C’est aussi le sens de la réaction courroucée du centriste François Bayrou : "Si vous voulez faire monter le FN, vous allez à la télévision et vous dites à Marine : "Je vous stigmatise.""

L’exutoire des humeurs grondeuses du pays

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De fait, le FN monte parce que, aux yeux d’une large partie de l’opinion, il n’est plus ce qu’il était : l’exutoire des humeurs grondeuses du pays, qu’il agrégeait d’un scrutin à l’autre dans des votes de rejet éphémères mais constamment renouvelés. Plus il scandalisait par ses outrances, plus son électorat hétéroclite se servait de ses candidats pour défouler à travers eux leur exécration du pouvoir. Ces votes sanction constituent toujours l’essentiel du fonds de commerce légué par Jean-Marie Le Pen à sa fille. La réussite de cette dernière aura été de le faire progressivement prospérer en ajoutant aux votes de la colère une masse grandissante de suffrages d’adhésion, principalement braconnés sur les terres de la droite.

Elle y a gagné pour son parti un opportun changement d’image, cette arme absolue de la politique ultramédiatisée, que révèlent les évolutions des sondages. Le FN n’est plus principalement regardé comme une extrême droite raciste et xénophobe. Il apparaît à beaucoup comme une droite nationale qui plébiscite la politique sécuritaire ; et patriote, qui le manifeste par son hostilité, à tout le moins sa méfiance, envers l’Europe. Ainsi est-il assuré, fort d’un "ni-ni" ("ni gauche ni droite") simpliste mais efficace, de concurrencer voire de supplanter l’alliance UMP-centristes au premier tour des scrutins, et de la battre ou de la faire battre au second, en récupérant au passage dans sa stratégie ramasse-tout une part non négligeable des déçus du hollandisme.

Le siphonnage de ses électeurs recommandé par Patrick Buisson à Nicolas Sarkozy pour l’emporter en 2012 a changé de camp. Il a laissé la place à un phénomène de "porosité" dévastateur pour l’UMP : 40 % des sympathisants de ce parti sont aujourd’hui favorables à des alliances locales avec les candidats frontistes. Un sur deux a voté FN au second tour de l’élection du Doubs.

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Une tripolarité qui brouille le jeu électoral

La traditionnelle bipolarité gauche-droite, renforcée à l’avènement de la Ve République par le scrutin majoritaire, s’est transformée en une tripolarité qui brouille le jeu électoral en redistribuant partout les cartes. On comprend que le péril ait déclenché au PS comme à l’UMP le sursaut d’un branle-bas de combat général, dans la peur aussi obsessionnelle que contagieuse d’un coup de Trafalgar présidentiel. D’où la décision de Valls de s’engager à fond avec ses principaux ministres dans la campagne qu’avait prudemment "enjambée" Jean-Marc Ayrault aux municipales de 2014.

Stéphane Le Foll prépare stoïquement ses amis à une "lourde défaite". À en croire les dernières prévisions, la gauche pourrait perdre deux tiers des 61 départements qu’elle dirige, après avoir été éliminée dès le premier tour dans 400 à 500 cantons – sur un total de 2 000. "Je le sais, je le sens", remarque le porte-parole du gouvernement. Il le sent grâce à son intuition de professionnel de la politique. Il le sait en raison des "remontées" des circonscriptions qui accumulent les mécontentements comme autant de lanceurs d’alerte.

Un autre ressenti peut-il améliorer la tendance à quelques jours de l’épreuve ? Après avoir maintes fois annoncé la reprise, Hollande assure qu’elle est enfin arrivée. Il le constate à des "frémissements" prometteurs : un peu moins de chômage, un peu plus de croissance, un lent redémarrage de la consommation, quelques retentissants succès à l’exportation (Rafale, automobile). Des nouvelles "plutôt bonnes", commente sobrement le président. Mais sans doute trop précaires et fragiles pour influer sur cette peur de l’avenir qu’enregistrent toutes les enquêtes d’opinion, et qui, les 22 et 29 mars, pèsera encore sur les isoloirs. Comme le résume à sa façon décapante l’ancienne "midship" Nathalie Kosciusko-Morizet : "Nous avons le vent, mais pas les voiles."

De l’utilité des bisous

"Cela va mieux dans notre pays", assure Manuel Valls. Cela va mieux aussi à Bruxelles et à Berlin. La Commission européenne, qui soupçonne toujours la France de gagner du temps pour aider son président à se faire réélire, reconnaît tardivement avec lui que, dans l’urgence indissociable de la recherche de la croissance et de la réduction des déficits, la primauté doit être accordée à la première.

François Hollande se voit ainsi récompensé de l’obstination de ses plaidoyers, sans être pour autant dispensé de ces réformes structurelles que Bruxelles lui reproche toujours de promettre sans les faire. Plus indulgente, Angela Merkel voit dans la loi Macron un passage à l’acte encourageant. C’est déjà la chancelière allemande qui avait efficacement contribué à l’octroi à son irremplaçable partenaire d’un nouveau délai de deux ans pour la remise en ordre de ses finances. Difficile il est vrai de se quereller sur les politiques intérieures quand on se couvre de bisous sur la scène internationale.

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