Maroc : Mustapha El Khalfi, au nom du père

Ministre de la Communication depuis 2012, Mustapha El Khalfi, cet islamiste « moderne » au tropisme anglo-saxon, doit presque tout à son mentor Abdelilah Benkirane. Et le lui rend bien

Mustapha El Khalfi, ministre marocain de la Communication,  veut mener son projet de Code de la presse jusqu’au bout. © Vincent Fournier pour J.A.

Mustapha El Khalfi, ministre marocain de la Communication, veut mener son projet de Code de la presse jusqu’au bout. © Vincent Fournier pour J.A.

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 18 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Il nous reçoit dans un prestigieux hôtel parisien. Costume-cravate, lunettes sévères mais visage souriant, Mustapha El Khalfi sort d’un long entretien avec les représentants de la Fondation Albert-Londres qui avaient annulé une cérémonie initialement programmée à Tanger à la suite de l’expulsion par le Maroc de deux journalistes français, le 16 février. "Je leur ai tout expliqué. Ils m’ont promis de mener une enquête", nous confie, triomphant, le ministre marocain de la Communication. On n’en saura pas davantage, sauf qu’il leur a fourni des preuves de "la légalité" de l’initiative marocaine.

Son "patriotisme à demi-mot" a cependant joué des tours à El Khalfi avec les médias français, rencontrés en marge de sa visite à Paris, du 25 au 27 février, au lendemain de la reprise de la coopération judiciaire entre le royaume et la France : ses réponses incomplètes sur Europe 1 ont été raillées par les réseaux sociaux. El Khalfi passe pourtant pour un as de la communication au sein du Parti de la justice et du développement (PJD). N’a-t-il pas réussi à arrondir les angles à la tête d’un ministère qu’il dirige depuis janvier 2012 et qui traîne encore les séquelles du système Basri, du temps où il était rattaché au ministère de l’Intérieur (1985-1995) ?

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El Khalfi a le profil idoine

Né à Kenitra en 1973, Mustapha El Khalfi a grandi dans une famille connue pour ses attaches avec l’Istiqlal, le parti nationaliste. Son grand-père recevait régulièrement Allal El Fassi et M’Barek Bekkaï, futur premier chef de gouvernement du Maroc indépendant. En 1989, alors qu’il est étudiant, le jeune Mustapha fait la connaissance d’Abdelilah Benkirane, à l’époque leader du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), un courant de prédication qui allait par la suite fusionner avec le Mouvement populaire démocratique et constitutionnel d’Abdelkrim El Khatib pour donner naissance, en 1998, au PJD. À cette époque, la monarchie, par souci de diversifier le champ politique, s’était ouverte à la gauche et aux islamistes légitimistes.

Benkirane cherchait une jeune pousse imprégnée de valeurs islamiques et disposant d’un bagage suffisamment solide pour donner du parti une image moderne. Avec ses trois diplômes – de physique, de sciences politiques et d’études islamiques – et son tropisme anglo-saxon – cultivé grâce à la prestigieuse bourse Fulbright, qui lui a permis, en 2005, d’aller à Washington étudier le fonctionnement du Congrès -, El Khalfi a le profil idoine. Il gravit tous les échelons du parti, alors qu’il n’a jamais été élu, dirige, à partir de 2011, l’organe de presse du PJD, Attajdid, et finit par accéder au secrétariat général en juillet 2012.

El Khalfi aide Benkirane à structurer ses discours

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"Benkirane a toujours été un père pour moi", confie El Khalfi. Les deux hommes se voient régulièrement. Quand ce n’est pas à la primature, c’est dans la vieille villa de Benkirane, dans le quartier des Orangers, à Rabat, pour des séances de débriefing. Fort de son expérience de journaliste, El Khalfi aide son parrain à structurer ses discours. En retour, Benkirane lui prodigue des conseils pour déjouer les manoeuvres de ses détracteurs, comme cette polémique qui l’a opposé, en 2012, aux directeurs des chaînes audiovisuelles publiques au sujet de leurs cahiers des charges. "Lorsqu’il sent que son protégé est miné par un conflit, le vieux loup n’hésite pas à attaquer ses assaillants en public", témoigne un proche d’El Khalfi.

Quand Benkirane sort ses griffes, El Khalfi, lui, joue les conciliateurs. "Je n’ai aucun problème avec les directeurs du pôle public, explique-t-il. Ce sont des amis, et on s’appelle souvent au téléphone. [Les chaînes de télévision] RTM et 2M sont des institutions stratégiques pour l’État et, en tant que simple membre de leur conseil d’administration, je n’ai certainement pas le dernier mot." Liberté d’expression, code de la presse, censure de certains longs-métrages… À chaque question qui fâche, il botte en touche, égrenant les nombreux chantiers qu’il a lancés en tant que ministre, avec leur litanie de chiffres. L’élève est en passe de dépasser le maître.

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