« La divine chanson » : et il est comment le dernier Abdourahman Waberi ?

Abdourahman Waberi, en 2003. © MYCHELE DANIAU / AFP

Abdourahman Waberi, en 2003. © MYCHELE DANIAU / AFP

leo_pajon

Publié le 14 mars 2015 Lecture : 2 minutes.

La Divine Chanson est un objet littéraire non identifiable. L’ouvrage se veut un "roman amoureux" s’emparant de la vie de Gil Scott-Heron, monument de la musique noire américaine. Agitateur de consciences, militant inspiré de la cause black, légende de la soul, précurseur du rap, l’artiste s’est imposé comme l’un des auteurs les plus mordants de sa génération dès son premier album, Small Talk at 125th and Lenox, en 1970, et son titre prophétique "The Revolution Will Not Be Televised", reprenant un slogan des mouvements Black Power. L’homme est fascinant.

Lumineux et crépusculaire, il a alerté sa communauté dans ses textes sur les dangers de l’alcool et de la drogue, avant de sombrer lui-même dans la dépendance. Condamnée pour possession de cocaïne et de crack, l’ancienne gloire est décrite à son procès de 2001 comme une épave hantant un taudis du Bronx, survivant seulement grâce à la générosité de prostituées. Il connaîtra un flamboyant retour en grâce avec I’m New Here, album sorti en 2010. Timbre d’outre-tombe, le revenant rugit à nouveau et livre sa dernière bataille. Contre lui-même.

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La Divine Chanson d’Abdourahman Waberi se veut plus riche et maligne qu’une simple biographie. Comme nous l’explique l’auteur dans les dernières pages de son livre – un peu tard -, son "imagination est assez rebelle pour ne pas se contenter de rester dans les frontières de la vie de ce grand artiste". Le romancier a donc créé un vieux chat célibataire au seuil de sa dernière vie, devenu compagnon du "Bob Dylan noir" (comme l’ont surnommé des "journalistes blancs à court d’idées"). Séduisant a priori, le dispositif pose problème. D’un côté, on peine à s’intéresser aux fragments de vie qui sont rapportés et dont on ne sait jamais s’ils sont le fruit de l’imagination de l’auteur. De l’autre, le roman reste trop proche du parcours de l’artiste pour vous emporter vraiment.

Faussement construit comme un livre-album (prologue, CD1, intermède, CD2, épilogue), l’ouvrage délaie en fait la narration par touches impressionnistes évoquant dans le désordre fragments de concerts, enfance, errance, apothéose éphémère et course vers l’abîme du bluesman. À cela, il faut ajouter les considérations philosophiques du félin Waberi s’égarant parfois en platitudes ("le coeur de ceux que nous aimons, voilà notre vraie demeure") ou nimbant le poète d’une aura mystique en puisant dans un grand bazar de croyances africaines, brésiliennes ou jamaïcaines. Une relecture dont cet artiste peu porté sur la spiritualité se serait peut-être passé.

L’auteur voulait conserver une "trace sensible" de la vie de Scott-Heron, "sauver une parcelle de son âme". Mais, dans ce projet, sa "divine chanson" a du mal à dépasser les albums de l’artiste lui-même. On quitte l’ouvrage avec le sentiment déconcertant que, dans cet hommage, Abdourahman nous en dit plus sur Waberi que sur le barde qu’il est censé ressusciter.

La Divine Chanson, d’Abdourahman A. Waberi, éd. Zulma, 240 pages, 18,50 euros

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