Karim Bitar : « Au Yémen, un nouvel épisode de la confrontation irano-saoudienne »
Spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Karim Bitar analyse le conflit au Yémen et l’intervention directe de l’armée saoudienne contre les miliciens chiites houthis. Interview.
Le 25 mars, l’Arabie saoudite, mobilisant 150 000 hommes et cent chasseurs bombardiers, prenait la tête d’une coalition sunnite de dix pays pour bouter les houthistes hors de Sanaa, la capitale du Yémen, et débarrasser le pays de leur emprise croissante. Ceux-ci, à l’origine un mouvement politico-religieux né dans le nord du pays, ont tiré avantage du chaos sécuritaire et politique qui s’est emparé du pays après la révolution de 2011, pour s’emparer de la capitale avant de fondre vers le sud ces dernières semaines. Assiégé à Aden, le président Hadi a lancé un appel au secours à ses parrains saoudiens avant de prendre le chemin de l’exil. Appel entendu. Directeur de recherche spécialisé sur le Moyen-Orient à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Karim Bitar décrypte pour Jeune Afrique la trame de ce conflit.
On ne se bat pas pour régler la querelle de succession du Prophète du VIIe siècle, on se bat pour l’accès au Canal de Suez, pour des enjeux très concrets.
Jeune Afrique : La guerre menée par l’Arabie saoudite contre la milice houthiste chiite du Yémen est-elle la confirmation d’un conflit régional entre chiites et sunnites ?
Karim Bitar : Nous assistons à un nouvel épisode de la confrontation irano-saoudienne… Je vois les choses plutôt comme cela que comme l’extension d’une crise intercommunautaire. Il y a une instrumentalisation du schisme historique entre sunnites et chiites par ces deux grandes puissances. Une nouvelle confrontation dans la droite ligne de celles qui se déroulent depuis trois ans sur plusieurs autres terrains régionaux. Nous avions déjà un conflit par procuration en Syrie, en Irak, dans une moindre mesure au Liban et à Bahreïn et aujourd’hui cette guerre froide irano-saoudienne se réchauffe considérablement au Yémen. Et elle pourrait bien aller, hélas, au-delà. Mais je ne pense pas que le facteur prédominant soit purement confessionnel : on ne se bat pas pour régler la querelle de succession du Prophète du VIIe siècle, on se bat pour l’accès au Canal de Suez, pour des enjeux très concrets.
Pourquoi cette "guerre tiède" ?
Tout cela est la conséquence de la panique saoudienne qui a suivi la montée en influence de l’Iran après l’invasion américaine de l’Irak en 2003. C’est la date charnière de cette invasion qui produit cette conséquence prévisible, mais que les Américains n’avaient pas pris en compte, de la rapide montée de l’influence iranienne qui s’ouvre vers la Méditerranée, Téhéran se servant des communautés chiites dans le monde arabe pour asseoir le rêve de puissance. Et les Saoudiens ont répliqué à cela sur plusieurs terrains, d’autant plus qu’ils paniquent aujourd’hui à cause de l’approche d’un accord américano-iranien. C’est aussi un signal envoyé aux États-Unis, une manière de dire aux Américains "vous voulez flirter avec l’Iran, voilà à quoi vous devez vous attendre".
Ce qui prime c’est cette hantise des puissances sunnites de la région face à la rapide montée de l’influence iranienne, et face au fait que les États-Unis sont en train d’en prendre acte.
Faut-il s’attendre à ce que cette coalition sunnite, au Sud, vienne dégarnir la coalition anti-Daesh, au Nord ?
C’est en effet le paradoxe de cette affaire : en Irak, les États-Unis soutiennent des groupes plutôt alignés sur Téhéran alors qu’au Yémen ils soutiennent des groupes plutôt alignés sur l’Arabie saoudite. Il y a un vrai manque de cohérence dans l’attitude américaine qui est lié aux contingences locales. Mais ce qui prime c’est cette hantise des puissances sunnites de la région face à la rapide montée de l’influence iranienne, et face au fait que les États-Unis sont en train d’en prendre acte et sur le point de la confirmer bientôt. C’est un peu une réaction de panique qui vise aussi à contraindre Washington à prendre en compte les angoisses de leurs alliés historiques sunnites dans la région.
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