Lutte contre Boko Haram : les couacs de la coopération entre le Tchad et le Nigeria

Le Tchad est le pays le plus impliqué dans la lutte contre Boko Haram. Son armée est la seule à s’être autant aventurée en territoire nigérian. Mais sa coopération avec Abuja laisse à désirer. Explications.  

Les présidents nigérian et tchadiens. © Montage J.A/AFP

Les présidents nigérian et tchadiens. © Montage J.A/AFP

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Publié le 27 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

Comme il en a l’habitude, lorsqu’il veut faire passer un message, Idriss Déby Itno ne s’embarrasse pas avec les formes. Interrogé par l’hebdomadaire français Le Point sur la coopération entre son pays et le Nigeria dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, le président tchadien est allé droit au but : "Le constat que je peux faire, deux mois après le début de cette guerre, c’est que nous n’avons pas pu avoir un contact direct, sur le terrain, avec des unités de l’armée nigériane. C’est ce qui a, plus d’une fois, obligé les forces tchadiennes à reprendre des villes et à ressortir", a-t-il déclaré.

"Vous comprendrez la difficulté pour nous de rester, même si c’est un pays voisin et frère, car notre armée peut être qualifiée d’armée d’occupation s’il n’y a pas une armée ou une administration nigériane à ses côtés. L’armée tchadienne mène seule ses combats à l’intérieur du Nigeria, ce qui est un problème, a poursuivi Déby. Nous aurions souhaité qu’il y ait au moins une unité nigériane avec elle. C’était même une demande expresse auprès du gouvernement nigérian, mais pour des raisons que nous ignorons, jusque-là nous n’avons pas pu travailler ensemble."

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Dans la guerre que mènent le Nigeria et ses pays voisins contre Boko Haram, les relations entre le géant anglophone et le Tchad ont d’abord paru bonnes au regard des tensions existantes avec le Cameroun ou le Niger. Mais le départ, le 10 mars, des soldats tchadiens de la localité de Dikwa et de ses environs a mis en avant le manque de coopération entre Abuja et N’Djamena.

Comment tenir les villes reprises ?

"Cette situation est le résultat d’erreurs opérationnelles et d’une absence de communication", analyse Nnamdi Anekwe-Chive, nigérian spécialiste des questions sécuritaires. Les autorités tchadiennes ont d’abord affirmé que leur deux régiments, soit environ 2 500 soldats, s’étaient retirés de Dikwa à la demande d’Abuja. "Après nous être emparés des villes de Gamboru, Dikwa et d’autres villages, nous avons dû faire marche arrière parce que le Nigeria ne nous a pas autorisé à continuer", a déclaré  le colonel Azem Bermandoa, porte-parole de l’armée tchadienne.

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Côté nigérian, on assure que le Tchad s’est retiré de son plein gré pour sécuriser ses lignes d’approvisionnement le long de la frontière. Le Nigeria affirme également que l’armée tchadienne ne reprend aucune ville, mais qu’elle y mène seulement des incursions.

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Pour une source diplomatique française, "le problème un peu général est celui de pouvoir tenir les localités qui ont été récupérées, dit une source diplomatique française. Sur ce point, la participation des Nigérians est primordiale".

"Il est vrai que des problèmes logistiques et opérationnels retardent le déploiement des unités de l’armée nigériane le long de la frontière avec le Tchad et le Niger", concède toutefois une source sécuritaire nigériane.

Coopération opaque

Plus globalement, le rôle de l’armée tchadienne, et ce à quoi elle est autorisée par le Nigeria, n’est pas clair. La coopération entre les deux pays est définie par deux documents, appelés Memorandum of understanding (MOU) et Conception of Operations (Conops), signés les gouvernements. Leur contenu demeure confidentiel.

"Sur le terrain, l’armée tchadienne semble principalement mener ses opérations dans le nord de l’État de Borno près de la région du lac Tchad alors que les Nigérians se concentrent sur le sud de Borno et Adamawa", analyse Ryan Cummings, spécialiste des questions de sécurité sur le continent africain.

La coopération entre les deux pays semble s’effectuer en dehors du cadre de la stratégie mise en place au niveau régional. En effet, les Nigérians sont les seuls à ne pas avoir envoyé d’officiers de liaisons à la cellule de coopération et de liaison créée à N’Djamena où Français, Américains, Nigériens et Camerounais partagent leurs informations. "Le feu vert politique a pourtant été donné", précise un diplomate français.

Rivalités

Idriss Déby et Goodluck Jonathan se mènent une guerre de leadership. Le président nigérian, qui doit faire face à la réticence de certains hauts gradés à travailler avec le Tchad qu’ils accusent de complicité avec Boko Haram, a ainsi très mal pris que la base de la force multinationale soit délocalisée de Baga à Ndjamena.

"Les différends territoriaux autour des ressources du lac Tchad, qui a déjà entrainé des conflits entre le Nigeria et ses voisins dans les années 1970 et 1980, n’arrangent pas la coopération", explique Ryan Cummings. "Avec l’asséchement du lac, de plus en plus de terres émergent. Cela va créer un zone de non-droit", poursuit une source sécuritaire française.

Entre avril et juin 1983, de sérieux incidents frontaliers éclatèrent entre le Tchad et le Nigeria. À cette époque, Abuja s’était fortement impliquée dans la résolution de la crise tchadienne en fournissant notamment la principale composante de la force interafricaine envoyée sous l’égide de l’OUA. L’échec de cette force, impuissante face à l’offensive d’Hissène Habré en 1982, et les difficultés économiques du Nigeria, avaient incité l’administration du président Shehu Shagari à une politique de repli.

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