Sénégal : la défense de Karim Wade entend « faire juger la CREI » – récit d’un verdict contesté

La Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) a condamné Karim Wade à six ans de prison et ses complices de 5 à dix ans de réclusion. Le jugement est contesté par les partisans de Wade. Récit d’une journée suivie de près par tous les Sénégalais.

Karim Wade en 2008. © AFP

Karim Wade en 2008. © AFP

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Publié le 23 mars 2015 Lecture : 5 minutes.

C’est dans un palais de justice de Dakar aux allures de bunker qu’a été prononcé lundi 23 mars le jugement contre Karim Wade, poursuivi pour enrichissement illicite et corruption. Même avec une carte de presse, l’accès à la salle n°4 du tribunal régional relevait du parcours de combattant, un impressionnant dispositif de sécurité ayant bouclé la totalité des rues alentour et restreint l’accès aux entrées habituelles.

Dans la capitale sénégalaise, la circulation était étonnamment fluide en ce jour si particulier. La plupart des Dakarois avaient en effet préféré laisser leur véhicule chez eux par crainte de possibles échauffourées entre les sympathisants du Parti démocratique sénégalais (PDS), mobilisés en masse, et les forces de l’ordre.

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Une heure avant le début de l’audience, les “karimistes”, nombreux dans la salle, entonnent chants et slogans de soutien à leur héros, qui a fait le choix de ne pas se présenter. Sa mère Vivianne, qui s’est montrée assidue lors des sept mois de procès, a préféré, exceptionnellement, se faire porter pâle. Selon des proches de la famille, elle se trouverait à Paris. A l’inverse, l’ancien président Abdoulaye Wade a, pour la première fois, fait acte de présence devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Assis au premier rang du public, il est resté de marbre et s’est éclipsé à peine le jugement rendu.

Deux heures de lecture

Vers 10 heures locales, le président Henri Grégoire Diop entame la lecture des principales dispositions du jugement, devant une salle mutique. Il commence par écarter les unes après les autres les nombreuses exceptions de nullité invoquées par la défense, lesquelles ont été jointes au fond au début du procès. Puis, d’une élocution laborieuse, manifestement entravée par la pression pesant sur ses épaules, le magistrat synthétise les éléments fondant le jugement de la Cour.

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Après avoir rappelé que les revenus légaux de Karim Wade retenus par la CREI pour la période 2002-2012 s’élèvent à 504 millions de FCFA, il plante sa première banderille: avec un patrimoine à son nom d’un peu plus de 4 milliards de FCFA (biens immobiliers, comptes bancaires, assurance-vie et six véhicules), “le délit d’enrichissement illicite est d’ores et déjà constitué”, conclut le magistrat. Non sans avoir égratigné au passage l’ancien président Wade, qui avait cru pouvoir exonérer son fils de plusieurs pans de ce patrimoine litigieux en attestant par écrit qu’il en était à l’origine.

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Arrive ensuite le gros morceau. A savoir la myriade de sociétés officiellement détenues par les frères Ibrahim et Karim Aboukhalil et leur associé Mamadou Pouye (et, pour l’une d’entre elles, par Alioune Samba Diassé) ainsi qu’une trentaine de comptes bancaires à Monaco dont un seul est au nom de Karim Wade. Conformément à la thèse élaborée depuis l’enquête préliminaire et reprise à son compte par la Commission d’instruction (CI) de la CREI, Henri Grégoire Diop assène le credo de la Cour: d’Aviation Handling Service (AHS SA) à CD-Média Group en passant par Istar Immobilier, Istar Capital, ABS SA, Black Pearl Finance, AN-Médias, Dahlia, Hardstand et quelques autres, la poignée de témoignages recueillis par la CREI (en particulier celui de la notaire Patricia Lake Diop, cousine par alliance de Karim Wade) permettent, selon lui, de soutenir que le fils de l’ancien président en est l’actionnaire véritable. Les frères Aboukhalil, Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé auraient donc fait office d’hommes de paille à son profit.

Pas d’incrimination pour corruption

En guise de lot de consolation, le président de la CREI renonce à retenir dans sa condamnation contre Karim Wade le controversé compte bancaire de Singapour, doté d’un solde estimé par la CI à 47 milliards de FCFA (soit 40% du patrimoine reproché à l’intéressé à l’ouverture du procès). “Aucune preuve de l’existence de ce compte n’a pu être rapportée”, estime le magistrat, qui abandonne de ce fait l’incrimination de corruption contre Karim Wade.

Apres plus de deux heures de lecture, Henri Grégoire Diop en arrive au prononcé des peines. Karim Wade, détenu depuis près de deux ans, écope de 6 ans de prison ferme et d’une amende de 138,239 milliard de FCFA. A peine la condamnation énoncée, en dépit des menaces de poursuites brandies par le président en cas de troubles à l’audience, la salle explose. Le public se lève, invective, voire insulte la Cour: “C’est trop ! Procès politique! Magistrats corrompus!” Le président Diop est sur le point de faire évacuer la salle mais le calme revient progressivement, même si les autres condamnations seront prononcées dans un brouhaha entrecoupé de cris et de sanglots.

De lourdes peines pour les complices

Le principal complice de Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil (alias Bibo Bourgi), qui comparaissait libre et souffre de graves problèmes de santé, est condamné à 5 ans de prison et à la même amende que son ami d’enfance. Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé sont eux aussi condamnés à 5 ans de prison mais à une amende inférieure, de 69,119 milliards de FCFA. Quant aux quatre prévenus qui ont quitté le Sénégal en cours de procédure pour ne plus y reparaître (Karim Aboukhalil, Vieux Aïdara, Evelyne Riout-Delattre et Mballo Thiam), ils écopent de la peine maximum: 10 ans de prison. Seuls deux miraculés, Pierre Goudjo Agboba et Mbaye Ndiaye, bénéficient d’une relaxe.

À peine l’audience achevée, les principaux avocats de Karim Wade, Mes Demba Ciré Bathily, Seydou Diagne, Ciré Clédor Ly et Madické Niang improvisent une conférence de presse à l’hôtel Pullman. “Tout le monde a compris que la CREI est le bras armé du pouvoir exécutif”, assène d’entrée Me Ly, qui annonce l’intention de la défense de multiplier les voies de recours, au Sénégal  et “sur le plan international”. “A partir d’aujourd’hui, c’est nous qui allons faire juger la CREI”, ajoute Me Bathily.
Privée de la possibilité d’interjeter appel, la CREI ne prévoyant pas de double degré de juridiction, la défense de Karim Wade avait l’intention de déposer devant la Cour suprême un pourvoi en cassation, seul recours possible contre les arrêts de cette juridiction spéciale.

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