Ebola, un an après, au-delà du défi humanitaire, le drame des enfants
Adama Coulibaly est directeur régional de Plan international pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Le Liberia a démarré le décompte des 42 jours sans aucun cas depuis le 5 mars. Si aucun nouveau cas n’est enregistré, le Libéria sera déclaré "Free of Ebola" selon les protocoles et standards de l’Organisation mondiale de la Santé. C’est sur cette note d’espoir que sera commémoré, le 23 mars, l’an 1 de cette tragédie qui a marqué toute une région.
L’ampleur de cette crise a souvent fait oublier le cas particulier des enfants dans cette situation chaotique. Pourtant le patient zéro en Guinée avait tout juste deux ans. Depuis, des centaines d’enfants sont morts. D’autres miraculés vivent dans le souvenir d’un passage douloureux dans des centres de traitement peu adaptés à l’enfance, de séparations brutales avec les parents et souvent de la perte d’au moins un parent.
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Ebola, une maladie a multiples impacts sur les enfants
Depuis l’apparition d’Ebola dans leurs communautés, près de 10 millions d’enfants vivant en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia sont affectés directement ou indirectement, soit près de la moitié de la population totale des trois pays concernés.
Voir ses parents, ses voisins, ses amis tomber malades, partir en ambulance et ne jamais revenir ; regarder d’étranges personnages venir pulvériser des produits dans sa propre maison ; être mis en quarantaine dans la peur et être exposés à toutes les rumeurs, voilà les traumatismes subis a différents degrés par les enfants au cœur de la crise Ebola.
Aujourd’hui, on estime à 16 000, le nombre d’enfants affectés directement par l’épidémie (soit victimes ou ayant perdu un des deux parents). Des enfants ont été séparés de leur tuteurs ou abandonnés parce que malades à un moment donné. Certaines familles élargies sont réticentes à prendre en charge les enfants guéris ou orphelins de parents morts de la maladie. La légendaire solidarité africaine résiste difficilement aux effets combinés de la terreur que suscite la maladie, du manque d’information et de la pauvreté persistante que vivent les communautés des trois pays.
Les enfants malades guéris, orphelins, affectés souffrent donc de la stigmatisation et la discrimination.
Les enfants malades guéris, orphelins, affectés souffrent donc de la stigmatisation et la discrimination. Les enfants ressentent aussi l’impact d’Ebola sur les moyens de vie de leurs familles. Les parents n’ont plus d’activité professionnelle, les denrées de premières nécessités se font rares et les prix grimpent. Une petite fille en Sierra Leone nous as dit "Avec Ebola, on a faim, on ne mange pas assez".
Ebola a fait passer au second plan toutes les autres maladies qui menace la sante infantile, les endémies locales souvent fatales comme le paludisme, les infections respiratoires aigües, le cholera etc. Certains experts annoncent déjà, pour les moins de cinq ans, un risque d’explosion à court et moyen termes de la mortalité infantile et maternelle, mais aussi une ré émergence d’affections jusqu’ici contenues par des programmes préventifs (poliomyélite, rougeole, diphtérie, coqueluche etc.).
L’éducation, une alliée perdue
À cause d’Ebola, les enfants de Guinée, de Sierra Leone et du Liberia n’ont pas été à l’école depuis le mois de juin 2014. Les écoles ont seulement rouvert en février en Guinée et en mars au Liberia et pas encore en Sierra Leone. Les enfants ont été longtemps désœuvrés. Ils ont perdu petit à petit leurs acquis. Il est même à craindre que pour beaucoup l’école est définitivement terminée. Lorsque les enfants deviennent productifs dans des familles très pauvres, les ramener au système scolaire constituera un manque à gagner pour le ménage. Beaucoup d’enfants sont devenus "chefs de famille" et se débrouillent au quotidien pour subvenir au besoin des plus petits : pour eux aussi, le chemin de l’école est pavé d’obstacles. Pour les filles, d’autres risques sont encourus, tels que le mariage et/ou les grossesses précoces.
>> Lire aussi : Ebola en Guinée : un système éducatif paralysé
La prostitution est rampante, les filles n’ont rien à manger à moins qu’elles vendent leur corps…
Beaucoup de cas de violences et d’exploitations sont répertoriés. "Nous rencontrons beaucoup de cas de grossesse précoce… La prostitution est rampante, les filles n’ont rien à manger à moins qu’elles vendent leur corps… Nous avons des relations sexuelles avec les hommes de l’âge de nos pères parce que nous avons besoin d’argent et les hommes n’offrent pas de l’argent pour rien", témoignent des groupes de jeunes filles en Sierra Léone dans le dernier rapport de Plan international sur l’impact de Ebola.
Un avenir compromis Ebola a submergé les systèmes de santé qui étaient déjà très fragiles dans ces pays et a eu un impact négatif sur l’économie locale, l’éducation, la disponibilité de la nourriture et globalement sur l’environnement protecteur des enfants dans les communautés affectées. La stratégie de reconstruction ne devra pas juste viser à remettre en place ce qui existait, mais à faire beaucoup mieux notamment pour la protection, la santé et l’éducation des enfants.
Il est urgent de remettre en place les mécanismes de prévention et de réponses pour réduire les risques physiques et émotionnels encourus par les enfants et les jeunes, de leur garantir un accès sécurisé et qualitatif a l’éducation afin d’éviter que leur avenir ne soit définitivement compromis.
Il est de notre responsabilité à tous, de leur donner un gros coup de pouce afin qu’ils voient leur avenir autrement et fassent aussi parti des bâtisseurs d’une Afrique meilleure à laquelle nous aspirons.
Dans les urgences, la protection des enfants doit être une priorité majeure. Les enfants sont extrêmement vulnérables lors de crises sanitaires et doivent être spécifiquement pris en compte dans les réponses de crise. Malheureusement avec Ebola l’accent a été mis en priorité sur l’aspect médical, ce qui est légitime ; mais il reste maintenant, et de façon urgente, à anticiper sur les autres crises profondes post-Ebola à venir.
Il est temps que les décideurs et les bailleurs de fond, s’accordent sur une bonne stratégie post-Ebola à mettre en œuvre pour une meilleure protection des enfants et des actions visant à réduire les risques physiques et émotionnels pour éviter que leur avenir soit menacé, et par ricochet celui des nations affectées.
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