Rajaâ Cherkaoui El Moursli : « Il faut commencer très tôt à intéresser les filles aux matières scientifiques »
La physicienne marocaine Rajaâ Cherkaoui El Moursli a remporté le prix de la fondation L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science, zone Afrique et États arabes. Une belle récompense pour cette chercheuse spécialiste en physique des hautes énergies et en physique nucléaire, professeure à l’université Mohammed-V au Maroc, qui a participé à la découverte du boson de Higgs.
"J’aime le challenge". C’est avec des mots simples que Rajaâ Cherkaoui El Moursli, l’air décontracté et l’œil vif, presque amusé, explique comment elle est devenue la physicienne de renom qu’elle est aujourd’hui. La toute récente détentrice du Prix de la Fondation L’Oréal – Unesco pour les Femmes et la Science zone Afrique et États arabes a été récompensée pour sa participation à la découverte historique du Boson de Higgs. À l’ombre d’un bouquet d’orchidées, confortablement installée dans les fauteuils d’un salon parisien de l’hôtel Saint James Albany, cette jeune-femme de 61 ans raconte son ascension dans un monde fait de particules, d’énergie… et encore dominé par les hommes.
Jeune Afrique : pour une femme, dans les années 1970, au Maroc, il était plutôt rare de se diriger vers les sciences. Pourquopi ce choix ?
Rajaâ Cherkaoui El Moursli : J’ai toujours été douée en mathématiques. Cela étonnait mes enseignants et ma famille. Mais je ne comprenais pas leur stupeur : je trouvais ça normal. Puis au lycée, mes professeurs m’ont poussé dans cette voie. Les réactions de mon père et de mes frères étaient négatives. Ils prétendaient que cela pouvait nuire à ma santé, et à cette époque, faire des études et ne pas se marier était mal vu. Rien n’y a fait, j’ai persévéré, je suis partie à Grenoble, sans savoir vraiment où j’allais. Je voulais m’inscrire en architecture à la faculté et c’est une enseignante qui m’a obligé, en quelque sorte, à me diriger vers les mathématiques et la physique. J’ai eu un coup de cœur pour cette dernière matière et surtout pour la découverte de la composition de ce qui nous entoure. J’ai pu récemment participer au programme de recherche ATLAS, qui avait pour but de prouver l’existence du Boson de Higgs. Ce projet a abouti en juillet 2012 et a contribué à l’obtention de ce prix L’Oreal-Unesco. Et me voilà aujourd’hui, avec derrière moi un parcours plutôt incroyable.
Je vois de plus en plus de jeunes, partis faire leurs études à l’étranger, revenir au Maroc pour aider leur pays.
Dans le domaine de la recherche scientifique, vous diriez que le Maroc progresse ?
Il progresse ! C’est nouveau, on accorde maintenant de beaux budgets à la recherche ! Nous sommes financés à hauteur de 300 millions de dirhams. Cela n’est pas négligeable. À présent nous avons des appels à projets, notamment dans l’énergie. Une bonne nouvelle vient compléter le tableau : je vois de plus en plus de jeunes, partis faire leurs études à l’étranger, revenir au Maroc pour aider leur pays.
Y avait-il d’autres femmes dans votre équipe, lors de la découverte du Boson de Higgs ?
Dans le projet ATLAS, j’étais la seule femme de mon équipe, mais maintenant, nous sommes deux. Une Marocaine est venue renforcer les rangs : Farida Fassi. Elle travaille en Espagne et je l’ai "kidnappée" et rapatriée au Maroc parce qu’elle a vraiment beaucoup de talent.
Ce prix vous donne-t-il plus de légitimité dans le domaine scientifique ?
Je suis déjà écoutée et respectée dans mon domaine. Ce prix est cependant très important pour les femmes puisqu’il leur donne une reconnaissance officielle. Hasard du calendrier : le jour où j’ai reçu le prix, j’ai appris que j’étais nommée Membre de l’Académie des sciences du Maroc. J’ai donc bénéficié d’une reconnaissance à la fois nationale et internationale.
Quelles actions menez-vous pour lutter contre ces discriminations que connaissent les femmes dans le milieu des sciences ?
J’interviens dans des lycées. Je dirige des clubs de sciences dans des établissements très pauvres, parce que je pense qu’il faut commencer très tôt à intéresser les filles aux matières scientifiques. La meilleure manière d’améliorer les choses serait que leur entourage les soutienne.
Pour éviter le type de réaction qu’a eu votre propre père, par exemple, jusqu’à ce qu’il se rende compte de votre potentiel ?
Exactement. Du coup J’essaie d’être présente dans les médias pour atteindre directement ces parents qui me regardent. Il faut quand même noter qu’au Maroc, la part des filles dans les études scientifiques est plutôt bonne et même meilleure qu’en Europe : il y a environ 40% de filles dans les écoles d’ingénieur et 30% dans le domaine de la physique. Il faut se battre pour que ce chiffre ne baisse pas et que les femmes ne cèdent pas à l’envie de gagner leur vie le plus vite possible sans faire d’études longues.
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