Au Maroc, les mouvements de capitaux sont en voie de libéralisation
Petite révolution dans le royaume chérifien : l’État remet à plat son dispositif de contrôle des changes. En lâchant du lest sur la circulation des devises, il espère accéder au rang de hub africain.
Dans quelques jours, le cabinet Mazars rendra aux autorités marocaines la version définitive de la nouvelle « Instruction générale des opérations de change », qui contient tout le corpus des réglementations concernant les mouvements de capitaux au Maroc. Ce document propose d’opérer de profondes mutations, préparant une libéralisation du compte de capital (composante importante de la balance des paiements). « Nous avons fait un travail de conseil juridique et réglementaire, nous avons passé en revue toutes les mesures envisagées et leur cohérence avec ce corpus », explique Kamal Mokdad, associé du cabinet Mazars.
Ce projet est une véritable révolution. Mais à l’Office des changes, établissement public travaillant sous la tutelle du ministère des Finances, on préfère ne pas trop s’emballer et parler simplement d’ »assouplissement » ou encore de « facilitation des procédures ». Pas encore de libéralisation totale. « Celle-ci est du ressort du gouvernement. C’est une décision politique. La réforme actuelle vise à simplifier les procédures, à les assouplir, à lever certains freins à l’investissement et aux flux financiers », précise Jawad Hamri, directeur général de l’Office des changes. Au total, 200 points de réformes seront introduits dans cette bible des changes du royaume.
À l’Office des changes, on préfère parler d’ »assouplissement » et de « facilitation des procédures ». Pas encore de libéralisation totale.
L’un d’eux devrait réjouir des centaines de milliers de Marocains : la dotation de voyage. Fixée aujourd’hui à 40 000 dirhams (environ 3 700 euros) par an, la somme qu’ils sont autorisés à transporter lorsqu’ils voyagent passera à 100 000 voire 150 000 dirhams. Son montant sera défini en fonction de la contribution de chacun à l’impôt sur le revenu.
« Les restrictions que nous posons ne font que favoriser les circuits informels de change. On augmente donc les dotations pour permettre aux gens de voyager en toute sérénité et de disposer de leur argent en toute transparence », indique Jawad Hamri.
Amnistie
Autre exemple et pas des moindres : l’acquisition de biens immobiliers à l’étranger, qui deviendra possible sur simple autorisation de l’Office des changes. « Après l’amnistie des changes bouclée fin décembre, nous avons remarqué que beaucoup de Marocains ont acquis des biens immobiliers illégalement. On ne va donc pas faire la politique de l’autruche. Lorsqu’on a des capacités financières et qu’on respecte ses obligations fiscales, on ne devrait plus se heurter à des restrictions. Acheter un bien immobilier à l’étranger ne doit plus être un tabou », explique Jawad Hamri.
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Ces réformes courageuses ciblent aussi le monde de l’entreprise et de l’investissement. Mais ce secteur connaît depuis quelques années déjà un assouplissement notable en ce qui concerne les investissements des Marocains à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. Des mouvements de capitaux qui sont aujourd’hui (presque) libéralisés, malgré les seuils réglementaires fixés par l’Office des changes. « Pour l’Afrique, les investissements qui dépassent les 100 millions de dirhams sont soumis à autorisation. Mais en réalité, tous les dossiers que nous recevons sont acceptés, que ce soit dans les secteurs de l’assurance, de la banque, du BTP ou encore de l’industrie », confie Jawad Hamri.
Idem pour les dividendes remontés par les multinationales installées au Maroc, qui sont libres de tout accord préalable. Dans la réforme actuelle, l’Office des changes va plus loin, en supprimant les fameux comptes convertibles à terme, qui empêchaient tout non-résident de rapatrier son argent en devises en une seule fois. Les sorties de devises, même provenant d’une cession ou d’une succession, ne seront plus contrôlées.
Autre mesure qui va enchanter les entreprises étrangères installées au Maroc : la libéralisation des prestations de management, une de leurs doléances récurrentes. « Il n’y aura plus d’autorisation préalable. L’idée, c’est de responsabiliser ces entreprises tout en se réservant le droit de contrôler a posteriori ces opérations », note Jawad Hamri. pas sans risques.
Risques
Des assouplissements consentis par l’État marocain que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale devraient probablement saluer dans leurs futurs rapports d’évaluation des politiques publiques, eux qui ont toujours fait pression sur le royaume dans ce sens. Mais lâcher ainsi du lest n’est pas sans risques. Ces mesures pourraient fragiliser les réserves de change du pays, qui couvrent à peine cinq mois d’importations.
« Compte tenu des problèmes chroniques de compétitivité de notre économie, avec une balance commerciale structurellement déficitaire, l’ouverture des vannes de libre circulation des capitaux entraînera une hausse des achats de biens à l’étranger et un mouvement de fuite des capitaux, soutient l’économiste et consultant Nabil Adel dans les colonnes du Matin du Sahara. La compensation de ces sorties par une hausse des IDE [investissements directs étrangers], suggérée par les défenseurs de cette politique, est une vue de l’esprit. Il ne s’agit pas d’un avantage réel : les entreprises étrangères peuvent déjà rapatrier sans difficulté leurs dividendes. »
Le débat est ouvert. Mais il ne poussera sans doute pas le royaume, qui se positionne en tant que hub africain et centre financier international, à faire marche arrière.
Par Mehdi Michbal, à Casablanca
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