Pourquoi ça ne coule pas de source

Qu’elles soient publiques ou privées, les sociétés de gestion de l’eau sont souvent confrontées aux mêmes défis. Jeune Afrique passe en revue trois exemples emblématiques.

ONEA : office national de l’eau et assainissement dans la ville de Ouagadougou. © Renaud Van Der Meeren/J.A.

ONEA : office national de l’eau et assainissement dans la ville de Ouagadougou. © Renaud Van Der Meeren/J.A.

Publié le 9 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

Fontaine publique à Dikhil, Djibouti © Jacques du Sordet/J.A.
Issu du dossier

Eau : pourquoi ça ne coule pas de source

Qu’elles soient publiques ou privées, les sociétés de gestion de l’eau sont souvent confrontées aux mêmes défis.

Sommaire

Alors que dans les grandes villes africaines la population explose, le système d’approvisionnement en eau est à la traîne. Les besoins, également stimulés par la croissance économique, devraient quadrupler au cours des vingt-cinq prochaines années à l’échelle du continent… Un dynamisme unique au monde, selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2012. Malgré les efforts (83 millions de personnes ont vu leur accès facilité au cours des années 2000), la part des citadins africains ayant accès à l’eau a stagné à 83 %.

Pour faire face au problème, les villes testent différentes solutions. Mais ni le privé ni le public ne font l’unanimité. « Il n’existe pas de solution unique. Les réussites dépendent davantage de la qualité des dirigeants, de l’implication du pouvoir politique et des choix d’investissements », constate Cassilde Brenière, responsable du service eau et assainissement de l’Agence française de développement (AFD).

la suite après cette publicité

>>>> Lire aussi – Les villes africaines boivent la tasse

Plus la ville est grande, plus il est difficile de repartir du bon pied après un échec. « Il est important que la population dispose d’une distribution continue. Cela permet d’enclencher un cercle vertueux : la société de gestion peut augmenter ses prix, être payée, et même faire des investissements et assurer la maintenance », poursuit l’experte. Mais en dehors de rares exemples, les sociétés d’eau africaines restent confrontées aux mêmes déboires. Arriérés de paiement, manques d’investissements et de formation… Jeune Afrique illustre avec des exemples concrets les difficultés du secteur.

RD Congo – L’État mauvais payeur

Quelque 66 millions d’euros d’impayés. C’est la facture faramineuse que la RD Congo doit, selon les syndicats, à la Regideso, la société publique de gestion de l’eau. Comme dans d’autres pays, environ 30 % de l’eau est consommée par les ministères, hôpitaux et autres services publics. « En Afrique, il n’est pas rare que l’état profite du fait qu’il est difficile pour l’opérateur de couper l’approvisionnement dans les services publics pour ne pas payer ses arriérés », souligne une source du secteur.

la suite après cette publicité

Sans parler des mesures de gratuité accordées par l’état sans qu’elles soient financées, ajoute une autre. Ces arriérés, qui concernent aussi bien les opérateurs publics que privés, grèvent le bilan des gestionnaires dans un secteur aux marges déjà faibles.

A Kinshasa, pour sortir du cercle vicieux, la Regideso a fait appel depuis 2013 à la Sénégalaise des eaux dans le cadre d’un contrat de service de trois ans. Il a pour objectif d’optimiser le recouvrement des impayés, mais aussi l’organisation de la société. « On note une évolution, même si elle reste timide », remarque Mamadou Dia, qui vient de quitter son poste de directeur général de la SDE pour diriger le département eau et assainissement du groupe Eranove.

la suite après cette publicité

>>>> Lire aussi – Accès à l’eau : le grand défi africain

Gabon – Cameroun : des obligations d’investissement floues

S’agissant des conflits liés aux investissements, le Gabon est un cas d’école. Entre Veolia, qui assure, via la Société d’eau et d’électricité du Gabon (SEEG), l’approvisionnement en eau de Libreville, et le Palais du bord de mer, les relations n’ont rien d’un long fleuve tranquille. En 2012, face aux reproches persistants des autorités, le groupe français se disait même prêt à vendre ses parts dans la SEEG (51 %).

Au coeur des tensions, l’absence d’accord entre les deux partenaires sur leurs responsabilités respectives en matière d’investissements. À sa décharge, Veolia indique qu’il a injecté près de 600 millions d’euros depuis 1997, contre, selon le groupe, environ 450 millions d’euros initialement prévus. Un effort insuffisant selon les autorités gabonaises, qui mettent en avant la croissance de la consommation, estimée à quelque 8 % par an.

Souvent mal rédigés, les contrats manquent de clarté lorsque des millions doivent être décaissés pour améliorer les stations de production ou les réseaux. Exemple parmi d’autres, une portion neuve du réseau de Libreville ne peut être mise en service. En cause : la conduite qui amène l’eau jusqu’à la ville n’a pas été achevée par l’état, faute de financements, indique un expert gabonais.

Reste qu’à l’approche du terme de la concession, prévu en 2017, Veolia semble vouloir rétablir le contact. « Notre objectif est de continuer d’assumer la croissance », a publiquement déclaré, en février, le directeur Afrique et Moyen-Orient du groupe, Patrice Fonlladosa. Il faut dire que l’entreprise reste bénéficiaire (2,7 millions d’euros de résultat net en 2013), même si ses performances ont décliné avec le temps, note le même expert. La SEEG a d’ailleurs toujours versé des dividendes (à l’exception de la période 2008-2010). Les actionnaires gabonais (privés et publics), détenant 49 % du capital, ne peuvent pas s’en plaindre.

>>>> Lire aussi : Gabon-France : le casse-tête Veolia

À Yaoundé, il manque environ 100 000 m3 d’eau par jour.

Plus légers que la concession en matière d’obligations, les contrats d’affermage peuvent aussi placer l’opérateur privé dans une position délicate. Au Cameroun, le marocain Office national de l’eau potable (Onep), gestionnaire du service de l’eau via la Camerounaise des eaux (CDE), n’a pas la main sur la mise à niveau des infrastructures, confiées à la société de patrimoine Camwater. À Yaoundé, il manque environ 100 000 m3 d’eau par jour.

« Les retards d’investissements se sont accumulés », explique une source au fait de ce dossier, qui souligne en outre les résultats positifs de la CDE sur le recouvrement ou encore la réduction des pertes. « Des efforts vains, car elle s’est retrouvée plusieurs fois sans eau à distribuer, notamment dans la région de Yaoundé. »

Les autorités du Cameroun, où l’eau est abondante, ont fini par construire à proximité de la capitale la station de la Mefou (qui traite environ 50 000 m3/jour). L’installation est opérationnelle, mais la CDE peine à exploiter la totalité de sa capacité de production, cette fois-ci en raison du mauvais état du réseau, toujours faute d’investissements. Des problèmes qui pourraient néanmoins être résolus à court terme. Camwater a en effet décroché en septembre 2014 un financement de 398 millions d’euros auprès d’un consortium américain comprenant notamment la société Environmental Chemical Corporation et General Electric.

>>>> Infrastructures : l’assainissement, nouvelle urgence

Ghana – Mali : le défi de la formation

Confrontée à de multiples lacunes, Ghana Water Company souffre particulièrement d’un déficit de compétences parmi ses collaborateurs. Pour en venir à bout, cette société publique a tenté de recourir à des contrats de management. Comme en 2006, avec la société danoise Vitens, sur un projet qui, totalisant 11 millions d’euros, prévoyait de consacrer plus de 1 million d’euros à la formation des équipes.

« Cela n’a pas été concluant car Ghana Water n’a pas accepté de déléguer. Cela a toujours été la même problématique, il n’y a pas de levier, pas de changement de personnel possible », souligne un spécialiste du secteur, qui note également une mauvaise gestion commerciale, financière ou encore en matière de gouvernance. Même constat à Bamako, où les effectifs constituent le « maillon faible » de la Société malienne de gestion de l’eau potable (Somagep). Celle-ci tente de redresser la situation après des années d’alternance entre gestions publique et privée, qui, l’une comme l’autre, n’ont pas adopté une ligne et des exigences claires.

« Le déficit en ressources humaines de qualité entraîne un manque de rigueur concernant l’exploitation et la gestion du patrimoine », explique plus globalement Grégoire Diouf, expert en eau et assainissement à Dakar. à ce titre, des opérateurs, faute d’y être sensibilisés, négligent souvent la communication, que ce soit pour prévenir les usagers des coupures à venir ou pour annoncer la réalisation de nouvelles installations. « Si les investissements ne sont pas accompagnés d’une bonne politique d’information, les consommateurs vont par exemple continuer d’utiliser de l’eau de pluie, même si des puits ont été installés. »

Découvrez également dans ce dossier :

Approvsionnement : pourquoi ça ne coule pas de source

José del Castillo : « La construction d’infrastructures et les contrats de service sont complémentaires »

Au Sénégal, Aquaterra sur les traces de Kirène

La Sénégalaise des eaux voit son rôle renforcé

Avec un oued réhabilité, c’est le visage d’Alger qui va changer

Eaux minérales : objectif qualité pour les Brasseries du Maroc

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Dans le même dossier

Station de pompage et de chlorage de la SDE, à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour J.A

La Sénégalaise des eaux voit son rôle renforcé