Acha Leke, mentor d’élite chez McKinsey
Destiné à une belle carrière dans la Silicon Valley, ce Camerounais a finalement choisi l’Afrique. Consultant pour le cabinet américain, il accompagne les leaders d’aujourd’hui et de demain.
Principal auteur de « Lions on the move » (« les lions en mouvement »), rapport remarqué du cabinet américain McKinsey décryptant les économies les plus dynamiques du continent, en 2010, Acha Leke en prépare une nouvelle édition, prévue pour fin 2015, depuis Johannesburg. C’est pourtant en Californie que ce Camerounais avait d’abord imaginé faire carrière. Issu d’une famille anglophone de Bamenda et de Fontem, il grandit entre Yaoundé et Montréal en suivant ses parents médecins, avant de décrocher un diplôme en génie électrique à l’université de Stanford, aux États-Unis. Un avenir prometteur s’ouvre alors à lui de ce côté de l’Atlantique.
Son retour sur le continent, en 1998, ne devait donc être qu’une étape. « En arrivant au bureau de McKinsey à Johannesburg pour y faire un stage, je pensais me faire une expérience en management afin de compléter ma formation d’ingénieur, puis rentrer dans la Silicon Valley pour travailler dans les nouvelles technologies », se souvient-il. Mais le Camerounais n’est jamais reparti s’intéresser aux projets de télécommunications menés par son mentor américain John Cioffi, le père des systèmes ADSL. « Je me suis rendu compte que je pouvais avoir une capacité à transformer les choses bien plus importante à Nairobi, Kampala ou Lagos qu’aux États-Unis ! » confie-t-il. Quinze ans plus tard, à 42 ans, il vit et travaille toujours en Afrique, au sein du prestigieux cabinet américain où il accompagne clients privés et publics.
Sans sourciller
En 1995, lors de l’implantation du cabinet sur le continent, McKinsey ne compte que 60 consultants, majoritairement tournés vers l’Afrique du Sud. Acha Leke, qui passe sans sourciller de l’anglais au français, se positionne alors pour développer les nouveaux marchés subsahariens. « Son esprit d’entreprise et son bilinguisme lui ont permis de dépasser des barrières devant lesquelles beaucoup s’arrêtent », note son compatriote Cyrille Nkontchou, patron de la société d’intermédiation boursière Liquid Africa et du fonds Enko Capital, qui le côtoie à Johannesburg.
À ses débuts, l’ambitieux consultant travaille surtout en Afrique de l’Est, essentiellement au Kenya et au Burundi. Ce touche-à-tout sort très vite des télécoms, son domaine de prédilection. « Je suis intervenu dans le domaine de l’aérien auprès de compagnies qui cherchaient un second souffle, et dans le secteur bancaire », précise le sémillant Camerounais. Au milieu des années 2000, il s’intéresse de près au potentiel économique nigérian, encore inexploré par les grands cabinets de conseil. « Pendant cinq ans, j’y suis allé toutes les semaines depuis Johannesburg, avant de convaincre McKinsey d’y créer un bureau en 2009 », indique-t-il.
Le géant ouest-africain, où il s’installe de 2010 à 2013, réussit à Acha Leke. « Les Nigérians ont un esprit d’entreprise qui me séduit, je me sens à l’aise dans ce pays dynamique », s’enthousiasme-t-il. À Lagos, il a notamment côtoyé Aliko Dangote, le tycoon du ciment et de la farine, et la puissante ministre des Finances, Ngozi Okonjo-Iweala. Avec l’appui de McKinsey, l’administration nigériane a fait augmenter ses recettes fiscales de 700 millions de dollars (661 millions d’euros).
Passionné
Depuis son retour à Johannesburg, au siège de la région Afrique subsaharienne de McKinsey, qui compte désormais 350 consultants répartis dans sept bureaux, Acha Leke consacre un tiers de ses interventions au secteur public. Il est reconnu comme l’un des architectes des fameux plans Émergence du Togo, du Sénégal et du Gabon côté francophone, et de Kenya Vision 2030 côté anglophone. Et il participe aux réflexions sur le développement des affaires du cabinet en Afrique francophone avec des collègues de Casablanca, Genève et Paris, sous la houlette du Suédois Henrik Arwidi, le patron Afrique subsaharienne.
À ses heures perdues, ce passionné d’entrepreneuriat s’implique également dans le domaine éducatif. Il est ainsi à l’origine de plusieurs initiatives. Avec son ami ghanéen Fred Swaniker, qui a fait ses classes avec lui chez McKinsey, il est l’un des fondateurs de l’African Leadership Academy de Johannesburg, qui prépare en deux ans une centaine de jeunes issus de 43 pays africains à intégrer les meilleures universités internationales. « Notre première promotion est aujourd’hui de retour sur le continent », se félicite-t-il. Il entend désormais accueillir davantage d’étudiants francophones, qui représentent actuellement un quart des effectifs.
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Acha Leke est aussi à l’initiative de l’African Leadership Network, un réseau d’entrepreneurs. « Il y a eu trois générations de leaders africains avant nous : celle de Nyerere et Nkrumah, qui a obtenu les indépendances et bâti nos États ; celle du général Abacha, qui les a détruits ; et celle, actuellement au pouvoir, de Kagamé ou Johnson Sirleaf, qui a amené la croissance. C’est désormais au tour de ma génération. Elle devra apporter la prospérité, notamment grâce aux échanges intracontinentaux », lance-t-il.
Leadership
Marqué par son éducation américaine à Stanford, il développe là encore son thème de prédilection, la formation au leadership, qui permettra selon lui d’impulser des changements majeurs en Afrique. « Bien sûr, quelques esprits chagrins critiquent cette vision élitiste, observe Cyrille Nkontchou. Mais elle a réussi à faire émerger des porteurs de projets qui irriguent positivement le continent. »
S’il est en revanche un pays subsaharien où l’on voit peu Acha Leke intervenir, c’est son Cameroun natal. « J’y vais tous les six mois pour renouveler mon passeport, mais j’y suis peu actif sur le plan professionnel », reconnaît-il. « C’est dommage, on souhaiterait le voir plus souvent à Douala ou à Yaoundé, où il pourrait apporter beaucoup », estime Ekoko Mukete, patron du groupe de médias Spectrum, pour qui Acha Leke est l’un des membres de la diaspora les plus en vue du monde des affaires. Selon Cyrille Nkontchou, son ami serait plus impliqué « au pays » si les autorités accueillaient comme il se doit ceux qui ont réussi à l’étranger…
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