En Éthiopie, les millionnaires prospèrent à l’ombre de l’État

Café, immobilier, hôtellerie… Malgré la mainmise des entreprises publiques sur l’économie, de plus en plus d’hommes d’affaires parviennent à s’enrichir dans des domaines en pleine expansion.

Vue du Sheraton d’Addis Abeba. © Trip Advisor

Vue du Sheraton d’Addis Abeba. © Trip Advisor

Publié le 3 avril 2015 Lecture : 4 minutes.

À première vue, l’Éthiopie semble être une terre hostile pour les grands entrepreneurs. Dans le pays, les industries clés sont fermées aux groupes étrangers et les entreprises publiques dominent les grands secteurs de l’économie. Mais des données publiées dernièrement par New World Wealth, un cabinet sud-africain de recherche et de conseil, en ont surpris plus d’un.

D’après cette étude, le nombre de millionnaires (en dollars) dans le pays a augmenté de 108 % entre 2007 et 2013 pour atteindre 2 700 personnes. Une hausse plus rapide que dans tout autre pays du continent. Surtout, le rapport, passé presque inaperçu, révèle que ces nouveaux riches sont pour la plupart des entrepreneurs ayant vu leurs affaires décoller ces dernières années.

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Dans un pays où environ un tiers de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour, New World Wealth table sur un élargissement de cette classe récemment apparue de nouveaux riches, qui devrait compter 4 700 millionnaires en 2020. Pour Zemedeneh Negatu, partenaire fondateur du cabinet d’audit EY Ethiopia, ceci n’est guère surprenant lorsque l’on tient compte de la croissance du PIB du pays, qui a été à deux chiffres pendant une grande partie de la dernière décennie. « Par défaut, lorsque votre économie globale enregistre une telle croissance, vous devez produire des millionnaires », explique-t-il, très optimiste sur l’essor du secteur privé en Éthiopie.

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Exportations

À Addis-Abeba, Ali Hussein Mohammed fait partie de ce nouveau club de millionnaires. Sa société, Alfoz, a été nommée meilleure exportatrice de café en 2012, avec des revenus d’environ 1,2 milliard de birrs (environ 50 millions d’euros). Alfoz achète l’essentiel de ses grains à la Bourse des matières premières agricoles d’Éthiopie, les traite dans ses deux usines avant de les expédier à l’étranger, notamment en Arabie saoudite. Le café étant la principale filière d’exportation (en valeur) du pays, le gouvernement n’hésite pas à soutenir les entreprises du secteur. « La politique du gouvernement est toujours en pleine évolution, car les autorités discutent régulièrement avec nous et prennent leurs décisions en tenant compte de nos besoins », explique Ali Hussein Mohammed.

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Alfoz entend désormais se tourner vers un autre secteur d’exportation du pays : l’élevage. Alors que, d’après les statistiques du gouvernement, l’Éthiopie compte la plus grande population de bétail d’Afrique subsaharienne, cette activité ne représente que 3 % de ses exportations, selon un rapport de la Banque mondiale de 2014. Cette institution recommande d’ailleurs d’apporter de la valeur ajoutée aux produits d’élevage grâce à une première transformation locale. Et c’est justement ce que compte faire Ali Hussein Mohammed avec son projet de vente de viandes emballées.

Autre secteur en expansion : l’immobilier. En particulier à Addis-Abeba, où le prix des terrains monte en flèche. Tsedeke Yihune, propriétaire de Flintstone Homes, l’un des principaux promoteurs de la place, qui a débuté en 1991, a procédé à l’ancienne. Il s’est fait connaître via une campagne publicitaire proposant des maisons à seulement 195 000 birrs et en a livré 600 unités en deux ans.

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Mais Tsedeke critique ce modèle, qu’il n’estime pas viable : « C’est un système pyramidal. Le développeur trouve une clientèle cible, cherche de l’argent auprès d’une banque. Et puis construit quelques maisons qui attirent encore plus de clients. » Il préconise un modèle selon lui plus durable : choisir un quartier et augmenter sa valeur en investissant dans des projets commerciaux et des centres communautaires, afin d’inciter les habitants à rester.

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Techniquement, Tsedeke Yihune est libre de mettre en oeuvre ce projet, mais il hésite à le faire sans l’approbation explicite du gouvernement. « Le fait d’attendre leur bénédiction est le plus grand obstacle au développement du secteur privé », dit-il. Flintstone Homes gagne l’essentiel de ses revenus grâce à des contrats avec l’État. L’entreprise lui a livré près de 1 200 unités d’habitation et plusieurs bâtiments universitaires. Dans les trois prochaines années, le patron pense revendre son entreprise et espère en tirer près de 50 millions d’euros. « Il y a un plafond de verre ici, explique-t-il. Vous ne pouvez pas croître davantage sans influencer l’environnement des affaires. »

Fermeture

À Addis-Abeba, la plupart des hommes d’affaires connaissent Ambassador Garment & Trade, l’un des principaux fournisseurs de costumes pour hommes, détenu par Seid Mohammed Berhan. Ce chef d’entreprise, né de parents agriculteurs et qui compte 85 magasins à travers le pays, affirme que son succès dépend en grande partie de la politique gouvernementale : la fermeture de certains secteurs (banques, transports, télécoms, distribution…) aux investisseurs étrangers.

Ce qui a permis à des sociétés comme Ambassador de gagner des parts de marché qui auraient autrement été englouties par les entreprises occidentales. Seid Mohammed Birhan possède également l’hôtel quatre étoiles Ambassador (avec des chambres à 190 euros la nuit en moyenne) et Ambassador Real Estate, qui construit actuellement 100 maisons, 500 appartements et un centre commercial non loin de la primature.

Mais s’il soutient la stratégie de développement du gouvernement, Seid Mohammed Berhan en souligne aussi les limites. D’après lui, ce système fermé ne permet pas d’attirer des investisseurs et des partenaires étrangers. Dans ce domaine, « les défis à relever sont encore nombreux », conclut-il.

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Jacey Fortin, à Addis Abeba (The Africa Report)

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