Bénin : trop couvé, le coton ?
Il y a trois ans, l’État béninois a retiré la gestion de la filière coton au secteur privé. Certes, la production a redécollé, mais les professionnels vont devoir reprendre la main.
Sacré Bénin !
Vingt cinq ans après la Conférence nationale qui fut un modèle pour toute l’Afrique francophone, le laboratoire bouillonnant de la démocratie béninoise a du vague à l’âme.
A l’issue de la campagne 2014-2015, qui s’achève fin mars, la production béninoise de coton-graine pourrait dépasser les 400 000 tonnes. C’est ce que la filière récoltait en moyenne au début des années 2000, pas loin du record de 427 000 t atteint en 2004-2005, avant son effondrement. Depuis la reprise en main de la filière par l’État, les récoltes ont régulièrement augmenté, passant de 174 000 t en 2011-2012 à 240 000 t en 2012-2013, puis à près de 307 000 t en 2013-2014.
En avril 2012, l’État a rompu les contrats qui le liaient aux entreprises du magnat du coton Patrice Talon, accusé de mauvaise gestion des subventions publiques aux intrants (graines, engrais, insecticides) et exilé en France depuis. Jusqu’alors, l’homme d’affaires était incontournable dans la filière : il avait le monopole sur les importations d’engrais et de semences, et était actionnaire majoritaire dans les usines d’égrenage de la Société de développement du coton (Sodeco).
Le gouvernement les a réquisitionnées fin 2013, et a également suspendu l’accord-cadre qui déléguait la gestion de la filière au secteur privé via l’Association interprofessionnelle du coton (AIC, structure réunissant les producteurs, les égreneurs et les distributeurs d’intrants). Par ailleurs, le président Boni Yayi a fait du redressement de la filière coton une priorité stratégique. Premier produit d’exportation du pays, « l’or blanc » représente en effet plus de 12 % de son PIB, 60 % de son tissu industriel, et assure un revenu à un tiers de sa population.
Le coton représente environ 60 % des recettes d’exportations du Bénin.
Arbitre
L’État a donc établi son propre système d’approvisionnement en intrants et de suivi des producteurs, allant jusqu’à mettre à contribution les forces armées. Surtout, pour financer ses campagnes cotonnières, il a mobilisé des fonds à hauteur de 82 milliards de F CFA (environ 125 millions d’euros) en 2012, puis 115 milliards de F CFA en 2013, par l’intermédiaire de la Banque ouest-africaine de développement. En septembre 2014, cette dernière a débloqué un troisième prêt de 27 milliards de F CFA.
Pour Léopold Lokossou, cotonculteur et président de la Plateforme nationale des organisations paysannes et de producteurs agricoles du Bénin (Pnoppa), le volontarisme du gouvernement et du chef de l’État (qui est allé jusqu’à cultiver son propre champ), ainsi que la mobilisation de ces moyens, ont fortement contribué à relancer la filière.
« La subvention sur les engrais, dont le prix est passé à 10 000 F CFA le sac de 50 kg, contre 11 000 à 12 000 F CFA lors des précédentes campagnes, a été déterminante, explique-t-il. De même que la hausse du prix du coton [passé de 190 F CFA/kg en 2009-2010 à 265 F CFA en 2013-2014, puis 250 F CFA en 2014-2015], car l’augmentation du prix payé aux producteurs a suivi. » Ce qui les a encouragés à accroître les superficies emblavées.
Chute
S’agissant de la réorganisation du secteur par l’État, le président de la Pnoppa se montre plus circonspect. « Nous devons penser à la gestion et à la pérennité de la filière. S’il y a eu dysfonctionnement en 2012, c’est que l’État n’a pas joué son rôle d’arbitre. Il faut définir un nouvel accord-cadre participatif entre les différents partenaires, dans lequel l’État devra se concentrer sur son rôle régalien. Il faut aussi établir un mécanisme clair de fixation des prix du coton et des intrants », préconise Léopold Lokossou. De son côté, Joachim Saizonou, ancien membre de l’AIC, estime qu’avant d’entamer de tels « états généraux, et pour rétablir la confiance, le gouvernement devra solder tous les contentieux avec les acteurs de la filière coton ».
L’État a retenu l’option du zonage des activités autour des usines d’égrenage, gérées par des opérateurs privés (un système qui a fait ses preuves au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire), avec un objectif de 600 000 t/an. Cette solution va être testée lors de la prochaine campagne. Les professionnels espèrent qu’elle fera rapidement ses preuves.
Sinon, ils savent que l’élection présidentielle de 2016 pourrait conduire à un nouveau changement d’orientation politique pour la filière. Par ailleurs, si le coton béninois reste, avec l’ivoirien, l’un des mieux payés d’Afrique, à 250 F CFA/kg, il a tout de même perdu 15 F CFA depuis la dernière campagne. Et la chute des cours mondiaux l’an dernier est venue rappeler aux producteurs la nécessité d’être organisés.
>>>> Lire aussi : Bénin : un joli coup de pousse
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Vingt cinq ans après la Conférence nationale qui fut un modèle pour toute l’Afrique francophone, le laboratoire bouillonnant de la démocratie béninoise a du vague à l’âme.
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