PS, UMP, FN… le grand chamboule-tout français

D’une élection à l’autre, le PS abandonne les positions conquises au temps de Sarkozy. L’UMP en profite presque mécaniquement tandis que le Front national accroît son implantation locale mais démontre son incapacité à passer de la nuisance à la gouvernance.

Le PS perd ses conquêtes, à l’avantage de l’UMP. © Pascal Pavani/AFP

Le PS perd ses conquêtes, à l’avantage de l’UMP. © Pascal Pavani/AFP

Publié le 9 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

"Fessée" ou "raclée" ? "Désastre" ou "déroute" ? Le plus juste commentaire sur les résultats d’élections départementales transformées en minilégislatives par l’engagement exceptionnel des partis est sans doute celui du syndicaliste CFDT Jean-Louis Malys : "Les électeurs ont tout envoyé bouler." Et chamboulé du même coup toute la carte politique.

La France ne s’est pas "fracassée" sur le FN, comme l’avait dramatiquement redouté Manuel Valls – pour mieux, il est vrai, l’en préserver. Le parti de Marine Le Pen, que les sondages situaient entre l’UMP et le PS, arrive en troisième position. Il continue de souffrir de son paradoxe originel, qui fait sa force mais entretient aussi sa faiblesse : n’ayant jamais participé au pouvoir, il échappe à l’anathème dévastateur du "tous dans le même sac" ; mais se condamne en même temps à l’isolement.

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Pas d’alliés, pas de réserve pour passer de la nuisance à la gouvernance. C’est l’argument qu’oppose Pascal Perrineau à ceux qui brandissent pour 2017 l’épouvantail d’un remake du scrutin Jospin 2002, qui verrait cette fois la victoire de l’extrême droite au second tour, après une irrésistible poussée au premier. "Hypothèse d’école !" assure le politologue, le FN peut approcher les 50 %, il ne réussira jamais à les franchir." De fait, après s’être défoulés au premier tour des départementales, une large fraction des nouveaux électeurs du Front se sont reportés sur la droite le dimanche suivant.

Maillage

Marine Le Pen peut en revanche se targuer d’avoir atteint ce qui était son principal objectif : ce maillage territorial "sans lequel il n’y a pas de succès présidentiel", avait-elle expliqué avant de fixer elle aussi le "cap" : "Dans quelques mois, nous enclencherons sur les régionales, puis nous partirons à l’assaut de l’Élysée et de l’Assemblée nationale." Avec le même programme du "triple i" qui a forgé ses précédents succès : immigration, insécurité, impôts.

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Si elle n’est pas parvenue à conquérir un seul département, elle a réussi à imposer son parti comme l’ultime recours des précaires, ceux de la France rurale "où on organise la désertification" ; et ceux du chômage dans les villes "où l’argent coule à flots". Selon la sociologue Céline Braconnier, elle aurait fédéré les trois quarts de ces nouveaux pauvres, paysans, employés, artisans et petits commerçants qui avaient voté Hollande en 2012. Un autre chercheur remarque que pas un ouvrier ne figurait sur les listes socialistes.

Unanimement reconnu comme le premier opposant à la tête d’une UMP redevenue le premier parti de France, Nicolas Sarkozy savoure sans fanfaronner mieux qu’une victoire : une résurrection.

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Il y a trois mois à peine, dans les coulisses du conseil politique réuni à la Mutualité, les compagnons demandaient sombrement où était passé Sarko la niaque, en chute dans les sondages où le débordait Alain Juppé, désavoué dans les controverses sur le ni-ni, et soupçonné "d’avoir la tête ailleurs et d’avoir perdu la main".

À l’UMP, le choix n’est plus entre l’"à droite toute" pour piper les voix du FN et le rassemblement au centre pour neutraliser ses concurrences.

Il ne dit plus imprudemment comme en 2012 : "J’ai changé", mais s’efforce d’en convaincre par ses comportements. Lui, l’homme du "moi je" qu’on accusait d’être "clivant", joue cette fois collectif en partageant ostensiblement son succès avec l’ensemble du mouvement dont il a su refaire l’unité dans un climat apaisé. Le temps n’est plus où un ancien ministre de l’époque Chirac sortait effaré de sa visite au siège : "Ils se détestent tous et se battent comme des chiens pour quelques mètres carrés de bureaux !"

Les débats empoisonnés sur la stratégie électorale sont définitivement clos. Le choix n’est plus entre l’"à droite toute" pour piper les voix du FN et le rassemblement au centre pour neutraliser ses concurrences. Sarkozy a choisi les deux, qu’il exploitera selon les particularismes locaux dans une complémentarité gagnante que les départementales, après les municipales, ont achevé de valider.

Rupture

Alors qu’Alain Juppé et François Fillon peaufinent leur programme pour la primaire de 2016, Sarko affecte d’avoir mieux à faire que de penser à sa candidature, qui "n’est pas obligatoire", assure-t-il sans convaincre personne. Il doit d’abord réorganiser l’UMP de fond en comble, lui trouver un nouveau sigle qui ne se prête pas aux exaspérants "UMPS" de Le Pen, lui préparer surtout un programme de "vraie rupture" déjà témérairement qualifié de "traitement de cheval". Bien conscient qu’il implique "une révolution des esprits", il n’a cure des objections d’impopularité : "L’alternance est en marche, et rien ne l’arrêtera."

C’est étrangement le même langage que tient Manuel Valls au profit de la gauche, dans la même certitude affichée d’une revanche triomphante, avec la même conviction d’être le meilleur rempart contre le Front national.

Le Premier ministre prend ainsi tous les risques, à commencer par celui d’un déni des réalités, alors qu’il fait du pragmatisme le principe de sa politique et entend toujours que son gouvernement soit jugé à ses résultats. Mais peut-il réagir autrement sans donner raison à tous ceux qui, à droite, réclament sa démission, ou, à gauche, attendent de lui un changement radical de sa gestion ? Deux éventualités que François Hollande avait pris soin de récuser par anticipation.

Plus heureux que Jean-Marc Ayrault, évincé après la bérézina des municipales, Valls est assuré de rester à Matignon avec la ferme consigne de maintenir rigoureusement les "caps" auxquels les deux hommes ont apparemment lié leur commun destin.

Aucune nouvelle ligne majoritaire ne se dégage ni ne s’impose dans l’émiettement des résultats d’une gauche victime de son autodestruction.

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À ceux qui s’inquiètent de cette double "provocation", leur entourage répond qu’ils n’ont pas le choix. Aucune nouvelle ligne majoritaire ne se dégage ni ne s’impose dans l’émiettement des résultats d’une gauche victime de son autodestruction. Hollande et Valls sont battus dans leurs fiefs de Corrèze et de l’Essonne, mais l’échec n’a épargné ni Martine Aubry à Lille, ni Arnaud Montebourg en Saône-et-Loire, ni de façon générale les frondeurs dans tous les cantons où ils avaient déserté leur camp pour s’allier avec le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et aux irréductibles de l’opposition écologiste.

Comment raccrocher les Verts, quand Cécile Duflot, en désaccord absolu avec "tout ce qui fonde aujourd’hui la politique du pouvoir", menace de se présenter contre Hollande en 2017 ? Comment calmer les frondeurs quand Aubry exige de Valls un "nouveau pacte de gouvernement" ?

La maire de Lille résume le dilemme en croyant le résoudre par son précepte inlassablement répété : "Il n’y a pas de progrès économique sans progrès social." À ce détail près, qui change tout : c’est le progrès économique qui finance le progrès social. Si la croissance s’obtenait par la dépense publique, lui rappelle-t-on chez Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie et des Finances, la France, championne européenne des déficits économiques et sociaux, caracolerait depuis longtemps en tête des pays de l’Union. "J’apprends à certains, enchaîne ironiquement Valls, que nous vivons dans une économie de marché."

Compromis

C’est d’ailleurs de l’Europe que risquent de venir les principales difficultés pour le gouvernement reconduit. Le Premier ministre a déjà prévenu à mots à peine couverts que la France ne se laisserait pas imposer par Bruxelles une nouvelle série de contraintes budgétaires qui compromettraient les fragiles espérances de reprise. Il y a un mois à peine pourtant, elle en exigeait de la Grèce, solidairement avec ses vingt-sept partenaires, la douloureuse prolongation.

Mais c’était avant les départementales. La tornade passée, il va falloir rebâtir en plus solide pour 2017. Où trouver l’argent des réparations aussitôt promises par Manuel Valls : baisse des impôts et des charges, aides aux PME pour qu’elles embauchent et aux grandes entreprises pour qu’elles investissent, réduction accélérée des inégalités ?

Autant de défis intérieurs et extérieurs que redouterait tout autre que François Hollande. Car le président va avoir l’occasion de démontrer une fois de plus sa légendaire virtuosité dans la recherche du compromis. Certains témoignages opportunément "fuités" de l’Élysée confirment son inaltérable optimisme qui explique également son refus de céder aux sommations de reniement. "La synthèse des contraires, vous glisse-t-on dans l’oreille, c’est ce qu’il a toujours fait de mieux. En plus, il adore ça !"

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