Tunisie – France : BCE à Paris pour une nouvelle donne diplomatique
Intervenant quelques jours après la tuerie du Bardo, la visite d’État de Béji Caïd Essebsi à Paris est l’occasion pour les deux pays de dissiper les malentendus. Et de repartir du bon pied.
On peut reprocher beaucoup de choses à François Hollande, mais pas d’avoir tourné le dos à la Tunisie. Depuis son élection, en mai 2012, le président français a multiplié gestes et marques de soutien.
Il a tenu à participer à la marche internationale contre le terrorisme, organisée à Tunis le 29 mars en hommage aux 22 victimes de l’attaque du musée du Bardo. Une escapade brève mais ô combien symbolique en ce dimanche d’élections départementales dans l’Hexagone (il avait voté le matin même dans son fief de Tulle).
Une manière pour lui de souligner la solidarité de destin entre la France et la Tunisie, frappées l’une et l’autre par la violence aveugle du jihadisme. Avant cela, Hollande avait été le premier chef d’État occidental à se rendre à Tunis et à prendre la parole devant les 217 élus de l’Assemblée constituante. C’était au Bardo, déjà, le 5 juillet 2013.
À l’époque, il s’agissait de "porter un message d’encouragement", alors que la transition donnait le sentiment de s’enliser dangereusement, pendant que l’Égypte basculait sous la férule du maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Le 8 février 2014, toujours au Bardo, François Hollande était revenu pour assister à la cérémonie de promulgation de la Constitution. En juillet 2012, il avait accueilli en visite d’État son homologue de l’époque, le président provisoire, Moncef Marzouki, et aujourd’hui il s’apprête à recevoir son successeur, le président élu Béji Caïd Essebsi, les 7 et 8 avril.
"Trous d’air"
À chaque fois, Hollande a été au rendez-vous, ponctuel, empressé et plein de sollicitude. Pourtant, il peine à convaincre les Tunisiens. À l’inverse d’un Chirac, l’ami toujours vénéré, ou d’un Sarkozy, qu’on aime détester, mais qu’on admire secrètement, l’actuel chef de l’État français suscite des sentiments plutôt tièdes.En réalité, le malaise dépasse sa propre personne. Les rapports politiques entre Paris et Tunis ont atteint une densité inégalée.
Économiquement, la France demeure en outre, et de loin, le premier partenaire de la Tunisie. Mais côté tunisien, le coeur n’y est plus vraiment. "La relation a connu quelques trous d’air", reconnaît pudiquement une source proche de la diplomatie française. "À tort ou à raison, les Tunisiens ont eu l’impression que la France officielle privilégiait le dialogue avec les islamistes d’Ennahdha et leurs principaux alliés séculiers, Mustapha Ben Jaafar, ex-président de l’Assemblée constituante, et Moncef Marzouki, l’ex-président provisoire, qui venait à Paris pour un oui ou pour un non. Les militants et les dirigeants de Nidaa Tounes, défenseurs d’une ligne moderniste, séculière et pétrie de culture française, en ont gardé une certaine rancoeur qui pèse sur la relation."
La visite d’État de Béji Caïd Essebsi (BCE), les 7 et 8 avril, à Paris, est censée remettre les compteurs à zéro et dissiper les malentendus. Pour accueillir son hôte, la République ne devrait pas lésiner sur l’apparat et les symboles : le cortège du président tunisien remontera les Champs-Élysées, parés des couleurs françaises et tunisiennes.
BCE rencontrera les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, et sera l’invité d’honneur de la prestigieuse université de la Sorbonne, où on lui décernera un doctorat honoris causa. Il prendra aussi la parole devant les sénateurs.
Amertume.
Les apparences sont sauves : comme le veut la coutume, le chef de l’État tunisien aura fait le voyage de Paris pour son premier déplacement officiel en Occident. Mais il s’en est fallu de peu, ses conseillers l’ayant exhorté à bousculer les usages, plaidant pour qu’il se rende d’abord à Berlin.
Une façon de remercier l’Allemagne d’Angela Merkel pour son attitude jugée plus empathique à l’égard de Nidaa Tounes entre 2012 et 2014 ? BCE a retoqué l’idée : les sautes d’humeur ne doivent pas rejaillir sur les constances de la politique étrangère.
Interrogé le 27 mars par l’hebdomadaire Paris Match au sujet des relations entre la France et la Tunisie, il a néanmoins reconnu, de manière assez peu diplomatique, l’existence d’un malaise : "Il n’y a pas eu d’ambiguïté de la part de la France. Il y a eu le soutien explicite à mon adversaire dans la campagne électorale. C’est comme ça. Moi, j’avais pour soutien les Tunisiens et, surtout, les Tunisiennes."
L’amertume qu’on devine dans les propos du chef de l’État tunisien trouve aussi son explication, plus prosaïquement, dans un appui économique français jugé décevant. "Il ne faut pas s’attendre à des annonces spectaculaires, ce n’est pas l’objet de la visite", souligne Moez Sinaoui, le porte-parole de la présidence. À Tunis, néanmoins, l’opinion s’impatiente.
Slim Chaker, le ministre des Finances, vient de le reconnaître : il va devoir trouver 7,5 milliards de dinars (3,5 milliards d’euros) pour boucler son budget, et n’aura d’autre alternative que de faire appel à la générosité des amis de la Tunisie. L’an passé à la même époque, les éditorialistes avaient beaucoup reproché au Premier ministre, Mehdi Jomâa, d’être revenu les mains vides de ses tournées en France et dans les pays du Golfe.
BCE aimerait éviter pareille mésaventure à l’issue du périple diplomatique qui doit également le conduire aux États-Unis et aux Émirats arabes unis. L’étape française risque d’être frustrante. Paris et Tunis négocient d’arrache-pied une transformation de la dette tunisienne en investissement pour un montant de 100 millions d’euros. L’accord, s’il aboutit, devra encore passer sous les fourches Caudines de Bercy.
Mais l’enveloppe en discussion représente à peine 0,5 % de l’endettement extérieur de la Tunisie, et n’aura pratiquement pas d’impact sur les comptes publics. "Il y a un vrai malentendu, constate Radhi Meddeb, président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed). Les Tunisiens n’ont sans doute pas conscience de l’étroitesse des marges de manoeuvre financières de la France, très liée par ses engagements européens. Mais les Français ne sont pas exempts de reproches. Paris manque d’imagination et de vision.
En juillet 2013, lors de sa venue à Tunis, le président Hollande avait annoncé une enveloppe de 500 millions d’euros au profit de la Tunisie, mais cette annonce est retombée comme un soufflé, car, en réalité, il s’agissait de la consolidation de ce qui était déjà promis. L’annulation pure et simple de la dette bilatérale n’est pas une option.
Mais pourquoi ne pas envisager une annulation à terme, au fur et à mesure que les échéances tombent, comme Paris l’a fait avec la Côte d’Ivoire ? Cette démarche serait profitable à tout le monde, elle donnerait un ballon d’oxygène à la Tunisie et positionnerait les entreprises françaises pour les partenariats public-privé à venir.
Pourquoi ne pas mieux mobiliser la coopération technique pour la mise à niveau de l’administration, dans toute une série de secteurs clés, comme la sécurité sociale, l’enseignement supérieur, les douanes, la police ? Pourquoi ne pas mutualiser les moyens et mieux partager le renseignement, dans un front commun contre le terrorisme ?"
Si les flux commerciaux restent soutenus, l’influence politique française recule en Tunisie. Depuis la révolution, les États-Unis ont ravi le leadership. L’affluence enregistrée lors des journées économiques tuniso-américaines des 5 et 6 mars dernier, au cours desquelles le président Obama s’est adressé aux participants par vidéoconférence, est un signe qui ne trompe pas. La coopération militaire a été relancée, et le marché de la fourniture d’hélicoptères de combat, indispensables à la lutte antiterroriste, est passé sous le nez du consortium européen Eurocopter au profit des UH-60 M Blackhawk.
"Soft power"
L’Allemagne se montre également très entreprenante. La contribution annuelle de Berlin oscille entre 200 et 250 millions d’euros, soit six à sept fois le montant décaissé avant 2011. À l’instar de leurs pendants américains, les fondations Konrad-Adenauer et Friedrich-Ebert-Stiftung sont devenues des acteurs à part entière en Tunisie et participent au bouillonnement démocratique.
Elles organisent des sessions de formation à destination de la société civile ou des élus, sponsorisent des colloques et des expositions, participent à l’édition d’ouvrages. La France le fait aussi, mais dans une moindre mesure, et son action extérieure reste trop tributaire des instruments classiques de la coopération, aux budgets désormais rationnés. Ses propres fondations et think tanks souffrent d’un tropisme trop exclusivement franco-européen et ne disposent pas de la force de frappe de leurs consoeurs américaines ou allemandes. Si elle veut retrouver son rayonnement et pérenniser son influence, la France doit d’abord réinventer son soft power. Le constat est valable en Tunisie, mais pas uniquement.
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