Nigeria : révolution de velours à Abuja avec Buhari

Au terme d’une élection pacifique, Goodluck Jonathan s’est incliné de bonne grâce. Son successeur, Muhammadu Buhari, aura fort à faire pour redresser le pays, touché par la chute des cours du pétrole, miné par la corruption et menacé par Boko Haram.

Partisans de Muhammadu Buhari, à Kaduna, le 31 mars. © Nichole Sobeck/AFP

Partisans de Muhammadu Buhari, à Kaduna, le 31 mars. © Nichole Sobeck/AFP

Publié le 8 avril 2015 Lecture : 5 minutes.

Le Nigeria a connu ce 28 mars l’un des événements politiques les plus marquants de l’histoire du continent depuis l’élection de Nelson Mandela, qui, en 1994, avait mis fin à des décennies de domination politique blanche en Afrique du Sud.

Depuis la chute en 1999 d’un régime militaire qui tenait le pays avec une poigne de fer, c’est aussi la toute première fois au Nigeria qu’un président et son parti sont chassés par les urnes. Goodluck Jonathan, le chef de l’État sortant, un ancien professeur de zoologie dont le mandat a été entaché par des affaires de corruption et à qui ses compatriotes ont reproché sa passivité face aux jihadistes de Boko Haram, s’était engagé à tirer sa révérence en cas de défaite. Il a été sèchement battu par Muhammadu Buhari, par 54 % contre 45 %.

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Pourquoi cette élection est-elle si importante ?

Cela faisait des mois que le pays le plus peuplé d’Afrique, en proie à toutes sortes de rumeurs, vivait dans un climat de fébrilité extrême. Les caciques du parti au pouvoir, disait-on, redoutaient tellement que Buhari ne remporte la présidentielle qu’ils envisageaient d’interrompre le processus électoral et, foulant aux pieds la Constitution, d’imposer un gouvernement par intérim.

Ces angoisses ont redoublé lorsque le scrutin a été reporté de six semaines afin de laisser le temps à l’armée de mater les rebelles de Boko Haram, qui menaçaient de faire dérailler le processus électoral. Au fur et à mesure qu’entre les camps Jonathan et Buhari les échanges devenaient de plus en plus acerbes, avivant les tensions ethniques, les Nigérians se sentaient replonger dans une tourmente semblable à celle qui, lors de la guerre civile de 1960, avait failli faire voler en éclats l’unité du pays.

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Finalement, des millions de personnes ont attendu patiemment le jour du scrutin. Et malgré quelques tensions régionales, la majorité des électeurs est portée leur choix sur Buhari, un ancien militaire de 72 ans, qui avait déjà dirigé le pays entre 1983 et 1985. Durant cette campagne électorale, ce musulman pieux s’est engagé à éradiquer la corruption, à rétablir l’ordre, à faire respecter l’État de droit et à créer des emplois.

"Les Nigérians ont fait montre d’une attitude exemplaire, félicitons-les quels que soient les résultats de ce scrutin", a souligné Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances, avant la proclamation des résultats. De fait, cette alternance politique, qui constitue une première pour le Nigeria, pourrait redonner foi dans les élections à tout un continent confronté à de nombreux reculs démocratiques.

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Et maintenant ?

Goodluck Jonathan avait promis qu’en cas de défaite il abandonnerait la politique et retournerait dans son village, à Otuoke. Certains membres de son gouvernement ont peut-être davantage de raisons de craindre que le nouveau pouvoir ne mette son nez dans leur gestion… Quoi qu’il en soit, les semaines qui précéderont la passation de pouvoir du 29 mai seront cruciales. Une équipe de transition sera en effet chargée de gérer les relations entre le gouvernement sortant et celui qui lui succédera.

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Une mission qui s’annonce délicate tant les échanges ont été rudes durant cette campagne. Les partisans de Goodluck Jonathan, qui vivent dans le delta du Niger riche en pétrole, supporteront sans doute assez mal sa défaite. Dans le Sud, à dominante chrétienne, l’on craint que les musulmans – plus nombreux dans le Nord, d’où est originaire Muhammadu Buhari – ne s’accaparent tout le pouvoir.

Ceux qui ont profité du système des années durant pourraient être tentés de perturber le bon déroulement de la transition. La manière dont Jonathan s’y prendra pour tenir ses troupes sera donc essentielle. "Nous espérons que le processus démocratique se poursuivra sans encombre. Si le président Jonathan veut laisser une trace dans l’Histoire, il se doit d’agir en homme d’État", souligne Kayode Fayemi, le principal conseiller politique de Buhari.

Quelle politique économique ?

Depuis un an, le Nigeria est durement touché par l’effondrement des prix du pétrole, alors que l’or noir représente 70 % de ses revenus. La monnaie nationale a été dévaluée et, pour la première fois depuis des années, les réserves de change sont passées sous la barre des 30 milliards de dollars (28 milliards d’euros). Pour couronner le tout, le camp de Goodluck Jonathan a dépensé des sommes astronomiques pour la campagne et, aujourd’hui, les perdants risquent fort de s’évanouir dans la nature avec des milliards de dollars en poche…

Muhammadu Buhari est confronté à une situation économique très difficile. "Compte tenu de la faiblesse des prix du pétrole et des recettes fiscales, il fait face à des défis de taille, résume Razia Khan, économiste en chef pour l’Afrique à la Standard Chartered Bank. Mais c’est aussi le moment ou jamais d’entreprendre des réformes structurelles."

Lorsque le général Buhari avait pris le pouvoir en 1983, les circonstances étaient assez semblables : le prix du baril s’était effondré, et les finances publiques étaient exsangues. Durant les dix-neuf mois qui précédèrent son renversement par ses camarades officiers, il mena une véritable guerre contre l’indiscipline budgétaire. Cette image d’austérité lui colle encore à la peau et inquiète des milieux d’affaires bien résolus à garder la main sur la manne pétrolière et les autres actifs qu’ils ont acquis durant le mandat de Jonathan.

Cela dit, la victoire de Buhari a plutôt été bien accueillie par les marchés. Et sa réputation auprès des Nigérians les plus pauvres – celle de l’un des rares dirigeants à avoir résisté aux tentations offertes par le pouvoir – a donné du crédit à son programme anticorruption et a fait naître l’espoir qu’il mettrait un terme à la prodigalité des responsables politiques. On ne sait pas encore comment il compte tenir ses promesses de campagne – créer des emplois et répartir plus équitablement les richesses – tout en tenant compte des contraintes budgétaires.

D’autant que l’alliance qui l’a porté au pouvoir est traversée par des courants contradictoires : des étatistes purs et durs – comme lui – aux ultralibéraux débridés qui, s’ils le pouvaient, iraient jusqu’à vendre la compagnie pétrolière nationale. "Pour le moment, le grand gagnant est la démocratie. Pourtant, très vite, l’économie sera au centre de toutes les attentions, explique Atedo Peterside, banquier de premier plan et ancien proche conseiller du chef de l’État sortant. Les Nigérians ont voté pour le changement sans savoir vraiment ce qu’il signifie en matière de politique économique."

Le Nigeria a négocié une aide de 2 milliards de dollars avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) pour combler son déficit commercial causé par l’effondrement des cours du pétrole. Ngozi Okonjo-Iweala a indiqué qu’en attendant la passation des pouvoirs en mai, le gouvernement sortant poursuivrait sa politique de réduction des dépenses "afin que la nouvelle équipe arrive dans les meilleures conditions et puisse mettre en oeuvre sa politique".

Elle ne s’attend toutefois pas à des changements structurels majeurs : "Il n’y a pas trente-six mille solutions pour redresser le pays, excepté faire ce qui doit être fait", conclut-elle.

Financial Times et Jeune Afrique, tous droits réservés

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