Grèce – Allemagne : dette contre dette

Alexis Tsipras accepte de régler ce qu’il doit. À condition que des réparations lui soient versées pour les exactions nazies. Angela Merkel s’y refuse par crainte d’ouvrir une boîte de Pandore.

Alexis Tsipras souhaite que lui soient versées des réparations pour les exactions nazies © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Alexis Tsipras souhaite que lui soient versées des réparations pour les exactions nazies © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Publié le 31 mars 2015 Lecture : 3 minutes.

Soixante-quinze ans après, les exactions commises par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale vont-elles faire plier l’Allemagne ? Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec, y compte bien.

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Depuis son élection, en janvier, il a donné son feu vert à la réactivation d’une commission parlementaire sur les crimes de guerre commis en Grèce entre 1941 et 1944. "Cela fait des décennies que ce dossier envenime les relations entre les deux pays, rappelle Matthias Hartwig, de l’institut Max-Planck pour le droit, à Heidelberg. Mais avec la crise de la dette, il a pris une autre dimension, et les réclamations deviennent plus concrètes."

Pour Tsipras, l’objectif est désormais de réduire la pression sur son gouvernement en changeant la nature de la négociation. "Nous l’avons dit et répété : nous allons tenir l’ensemble de nos obligations, a-t-il lancé à la tribune de l’Assemblée nationale. Mais la morale ne peut être invoquée seulement quand ça vous arrange. Nous travaillerons aussi pour que toutes les obligations non tenues envers la Grèce soient respectées."

Litige en trois volets

Autrement dit, l’Allemagne, qui se dit aujourd’hui vertueuse et refuse d’aider les pays en difficulté, ferait mieux de balayer devant sa porte. Le litige comporte en réalité trois volets bien distincts.

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1. Un dédommagement pour les destructions proprement dites.

2. Le remboursement d’un prêt forcé à taux zéro d’un montant de 476 millions de reichsmarks imposé aux Grecs pour soutenir l’effort de guerre nazi.

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3. L’indemnisation des familles des victimes du village martyr de Distomo, où 218 civils furent massacrés par les SS.

L’estimation du préjudice total est très difficile à faire en raison de la volatilité des monnaies de l’époque, mais elle est sans doute comprise entre 50 et 160 milliards d’euros. Soit près de la moitié de la dette grecque d’aujourd’hui ! On ne s’étonnera donc pas que l’Allemagne se refuse à évoquer l’idée d’un quelconque remboursement.

"Toutes les questions concernant les réparations et les emprunts forcés sont politiquement et juridiquement closes", estime Frank-Walter Steinmeier, le ministre social-démocrate des Affaires étrangères, qui ne voit dans cette revendication qu’une manoeuvre de diversion de la Grèce pour fuir ses responsabilités. "La plus grande crainte des Allemands est d’ouvrir une boîte de Pandore en créant un précédent, analyse le journaliste Eberhard Rondholz. Si des réparations sont officiellement versées, rien n’empêcherait d’autres pays d’en réclamer à leur tour."

Dommages

L’Allemagne n’a remboursé qu’une petite partie des dommages infligés aux pays qu’elle a envahis. On s’est efforcé de ne pas répéter l’erreur de 1918, quand le versement d’énormes réparations aux vainqueurs laissa le peuple allemand exsangue et favorisa l’ascension de Hitler.

En 1945, pendant la partition du pays, la question des réparations fut reportée : les alliés avaient besoin d’une Allemagne de l’Ouest forte pour faire face au bloc soviétique. Cette bouffée d’oxygène contribua grandement au miracle économique des années 1950. Enfin, après la réunification, en 1990, fut signé à Moscou le traité dit "4+2" (les quatre puissances alliées, plus les deux Allemagnes).

Curieusement, le texte de ce traité aborde de nombreuses questions (les nouvelles frontières du pays, sa stratégie militaire, sa souveraineté, etc.), mais pas celle du paiement de réparations. Les Allemands estiment aujourd’hui que les signataires ont sciemment tiré un trait sur le sujet. Un argument contestable et contesté jusqu’au sein de la coalition au pouvoir à Berlin.

Certains élus de gauche réclament en effet un débat plus ouvert et jugent cette fin de non-recevoir contre-productive. "Il est très peu probable que la Grèce revoie un jour son argent, commente Hartwig. Mais depuis quelques jours, d’autres solutions, plus réalistes, sont évoquées." Lors de sa rencontre avec Tsipras, le 23 mars à Berlin, Angela Merkel a confirmé sa proposition d’augmenter le montant du Fonds d’avenir germano-grec, censé financer des partenariats économiques et sociaux (il était initialement doté de 4 millions d’euros).

L’Allemagne pourrait aussi participer à différentes fondations (un Office pour la jeunesse, par exemple), comme elle le fait déjà avec la France ou la Pologne. Reste à savoir si cette manière d’assumer ses responsabilités historiques suffira au peuple grec.

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