Espagne : Podemos, Ciudadanos… les empêcheurs de voter en rond
Podemos à l’extrême gauche, Ciudadanos au centre droit… Ces deux partis n’existaient pas il y a un peu plus d’un an. Portés par une crise économique d’une exceptionnelle gravité, ils menacent de briser le monopole de partis traditionnels largement discrédités.
"Souvenez-vous de ce jour, vous le raconterez à vos enfants et à vos petits-enfants !" Sur la scène dressée place de Cibeles, le 31 janvier, l’orateur de Podemos est transporté d’enthousiasme. Il faut dire que les Madrilènes sont venus en masse. Entre 100 000 (selon la police) et 300 000 (selon les organisateurs). Suffisamment en tout cas pour faire de cette "marche pour le changement" un retentissant succès dont le grand bénéficiaire est ce petit parti surgi du néant il y a à peine un an. Sans argent, sans dirigeants expérimentés, sans programme.
Car Podemos, qui en espagnol signifie "Nous pouvons" – clin d’oeil appuyé au "Yes we can!" de Barack Obama -, est parvenu à bousculer le bipartisme en vigueur dans ce pays depuis trois décennies. Pas mal pour une formation portée sur les fonts baptismaux en janvier 2014 dans un minuscule théâtre de la scène alternative madrilène par un quasi-inconnu nommé Pablo Iglesias !
En dehors d’une curieuse homonymie – il porte le même nom que le fondateur du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) ! -, Iglesias, 35 ans à peine, ne s’était signalé jusqu’ici que par quelques prestations réussies dans des débats télévisés, après avoir travaillé comme commentateur, animateur et intervieweur pour La Tuerka, une émission diffusée sur internet et la TNT.
"Nous expérimentons notre communication politique à partir du principal espace de communication politique qu’est la télévision. Tout ce que nous avons appris à La Tuerka, nous l’appliquons sur les grandes chaînes", expliquait-il en mai 2014 au quotidien El País. A priori, pas de quoi chambouler la scène politique espagnole.
Mais dans un contexte d’austérité et de désenchantement général envers la politique, l’impensable s’est produit. Deux jours après l’appel d’Iglesias, les 50 000 signatures requises pour présenter des candidats aux élections européennes sont recueillies. Et le miracle ne s’arrête pas là : le discours antisystème inspiré par les Indignados – "celui d’un Don Quichotte qui prendrait ses rêves très au sérieux", comme dit Iglesias – séduit les Espagnols.
En mai 2014, Podemos a obtenu à la surprise générale 1,2 million de voix aux européennes et envoyé cinq députés à Strasbourg. La victoire de Syriza en Grèce, fin janvier, est-elle le présage d’une victoire à portée de main ? L’année 2015 sera marquée par une série de scrutins. Après avoir obtenu quinze sièges au Parlement andalou, le 22 mars, Podemos se tourne à présent vers les municipales, en mai, et les législatives, à la fin de l’année, à l’issue desquelles le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy aura bien du mal à conserver le pouvoir.
Pour l’heure, les sondages placent Podemos en première position, devant le PP et le PSOE. Ce que résume cet homme qui a "voté socialiste toute sa vie" : "Nous avons besoin de changement dans ce pays. Or avec les deux grands partis, rien n’a changé. Podemos, au moins, essaiera."
Flou
Mais dans ce conte de fées marxiste, le plus dur est à venir.Fustiger Angela Merkel, afficher sa volonté de lutter contre la corruption, faire la chasse aux fraudeurs fiscaux ou prétendre rendre sa dignité au peuple est certes populaire. Mais au-delà des slogans, Iglesias et ses amis entretiennent un flou très artistique sur leur programme.
L’économiste José Moisés Martín explique ainsi cette ambiguïté : "Ils sont clairement de gauche, mais savent que pour remporter les élections ils vont avoir besoin de prendre des voix à la droite." Reste qu’il faudra bien un jour traduire le "concept" Podemos en mesures concrètes sans doute moins consensuelles.
Autre souci majeur : adapter son fonctionnement participatif à l’explosion du nombre de ses adhérents. Podemos est structuré en "cercles", qui regroupent cadres, militants et sympathisants. Chacun peut y prendre la parole, proposer une idée, en débattre interminablement… Sympathique, mais difficilement praticable dans un grand parti qui compte désormais plus d’un millier de cercles."On passe plus de temps à s’organiser qu’à débattre", confiait récemment un militant au quotidien français Le Monde.
Nostalgiques
L’Union européenne connaît le problème mieux que personne : plus on est nombreux, plus il est difficile de prendre une décision. Podemos a dû se structurer, organiser des primaires qui ont porté Iglesias au secrétariat général et mis en place un "conseil citoyen" de 62 membres (plus 17 représentants régionaux).
Cette amorce de hiérarchisation choque nombre de militants nostalgiques de la démocratie directe. Enfin, face à des partis traditionnels qu’il accuse d’être inféodés à une oligarchie corrompue, Podemos se doit d’être d’une probité irréprochable.
Or une première tache est apparue sur l’armure étincelante de ce chevalier blanc. Juan Carlos Monedero, numéro trois du parti, est sur la sellette. Ce proche de Hugo Chávez, qui, en 2013, a perçu 425 000 euros du Venezuela, de l’Équateur, de la Bolivie et du Nicaragua, est soupçonné d’avoir créé une entreprise spécialement pour encaisser ces fonds.
L’intérêt ? Il ne paie ainsi que l’impôt sur les sociétés, bien moins élevé. Au fond, Podemos ressemble à un adolescent qui rêvait de changer le monde, mais que son entrée dans le monde du travail contraint à faire preuve de plus de réalisme. Ses électeurs l’accompagneront-ils dans cette mue ? l
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