Bénin, qu’as-tu fait de ta démocratie ?

Le Bénin fait figure de modèle en Afrique de l’Ouest. Pourtant, entre la versatilité de la classe politique, un affairisme endémique et des grèves à répétition, le marathon électoral qui s’ouvre en avril paraît semé d’embûches.

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Publié le 1 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

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Sacré Bénin !

Vingt cinq ans après la Conférence nationale qui fut un modèle pour toute l’Afrique francophone, le laboratoire bouillonnant de la démocratie béninoise a du vague à l’âme.

Sommaire

C’était il y a tout juste vingt-cinq ans. Du 19 au 28 février 1990 se tenait la Conférence nationale, présidée par Mgr Isidore de Souza, archevêque coadjuteur de Cotonou. Deux mois plus tôt, sous la pression de la rue et des bailleurs de fonds, Mathieu Kérékou, au pouvoir depuis 1972, annonçait la fin de quinze années de régime marxiste-léniniste. L’ex-Dahomey traversait alors l’une des périodes les plus sombres de son histoire.

Coups d’État militaires, omniprésence de l’armée en politique, disputes incessantes… En 1990, les forces vives de la nation, réunies à l’hôtel PLM Alédjo de Cotonou, suspendaient la Constitution de 1977, réduisaient les pouvoirs du chef de l’État et mettaient en place un gouvernement de transition dirigé par Nicéphore Soglo. Une nouvelle ère commençait : celle du renouveau démocratique et du pluralisme, favorisé par la Charte des partis.

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Une période charnière pour le pays

Vingt-cinq ans plus tard, cet événement reste une fierté pour les Béninois. Leurs acquis démocratiques ont été préservés, en particulier la liberté d’expression et d’opinion. L’alternance s’est déroulée sans gros accroc à plusieurs reprises : victoire de Nicéphore Soglo à l’élection présidentielle de 1991 ; retour en 1996, contre toute attente, de Mathieu Kérékou, réélu en 2001 ; et choix d’un candidat indépendant, Thomas Boni Yayi, alors président de la Banque ouest-africaine de développement, élu en 2006 et réélu en 2011.

Aujourd’hui s’ouvrent une période charnière pour le pays et un véritable marathon électoral. Les législatives ont été fixées au 26 avril, les communales, municipales et locales au 31 mai. Le tout sur fond de campagne pour la magistrature suprême, puisque le prochain scrutin présidentiel devrait se tenir en mars 2016.

Pourtant, un an avant le départ de Boni Yayi, qu’ils soient proches du pouvoir ou de l’opposition, nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. « Le risque est grand que le Bénin devienne une démocratie ingouvernable », prévient un proche du chef de l’État. « Le climat est délétère, juge de son côté Emmanuel Golou, président du Parti social-­démocrate (membre de la coalition d’opposition L’Union fait la nation). Il faut apaiser le paysage politique, assainir notre démocratie. Il y a près de 200 partis, c’est trop. Une recomposition des forces s’impose. »

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La vie politique dominée par les ambitions personnelles

De fait, la vie politique est dominée par les ambitions personnelles et le clientélisme – qui gangrène également la justice et des pans entiers de l’administration. La pratique de la transhumance d’un parti à l’autre, depuis longtemps répandue dans les deux camps, s’est accentuée depuis le début du second mandat de Boni Yayi. Trop de dossiers sensibles sont traités en fonction d’intérêts partisans, sur fond de vives tensions entre le Parlement et le palais de la Marina, et alors que les secousses de l’affaire Patrice Talon, ancien magnat du coton et ex-proche du chef de l’État, exilé depuis deux ans à Paris, se font encore sentir. Comment expliquer, par ailleurs, qu’une opération comme l’actualisation de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi) ait pris autant de temps et suscité tant de polémiques ?

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Enfin, pendant des mois, le projet de révision de la Constitution, un peu brouillon, voulu par le chef de l’État et demandé par une partie de la classe politique, a cristallisé les rancoeurs. Alors que ce projet n’avait officiellement pas pour but de lever les verrous garantissant l’alternance, mais de constitutionnaliser certaines institutions (dont la Commission électorale nationale autonome) et procéder à quelques réglages (délimiter le délai entre les deux tours de la présidentielle, par exemple), l’opposition soupçonne le chef de l’état de vouloir faire basculer le Bénin dans une nouvelle République, et de remettre à zéro les compteurs de la limitation des mandats, ce qui l’autoriserait à en briguer un troisième en 2016.

Rejeté par l’Assemblée nationale fin 2013, le projet a finalement été retiré en novembre 2014. La Cour constitutionnelle a enfoncé le clou en soulignant que l’article 42 (qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels) ne pouvait pas être modifié. Mais que se passera-t-il si, comme le laissent entendre certains proches du président, la révision de la Constitution revenait sur le bureau de l’Assemblée lors de la prochaine législature ?

Un an après la fin d’une grève générale de trois mois (en avril 2014), les tensions sociales sont toujours vives et se mêlent volontiers aux revendications politiques. Une partie de la magistrature et de l’administration continue de faire grève plusieurs fois par semaine, et les marches, à l’appel de partis de l’opposition, des syndicats et de la société civile, font désormais partie du paysage.

Celle du 29 octobre 2014, pour réclamer l’organisation d’élections communales, municipales et locales (initialement prévues en mars 2013), a réuni quelque 5 000 personnes. Et ils étaient près de 15 000 à participer aux manifestations citoyennes du 10 décembre, à Porto-Novo, et du 11 décembre (jour anniversaire de la Constitution de 1990), à Cotonou. Ces deux mêmes jours, les partisans de Boni Yayi envahissaient eux aussi les rues de Porto-Novo et de Cotonou, encore plus nombreux, à grand renfort de cars de militants venus du nord du pays – dont le chef de l’état est originaire.

Les scandales se succèdent

Malgré les réformes engagées et les mesures soutenues par Boni Yayi depuis 2006 pour lutter contre la corruption, celle-ci reste ancrée à tous les niveaux de la société. « L’idée selon laquelle la fonction publique sert à « faire de l’argent » est largement répandue, s’insurge Martin Assogba, le président de l’ONG Association de lutte contre le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme (Alcrer). Le commissaire en chef a même déclaré à la télévision nationale qu’il était normal qu’il y ait des barrages sur les routes car les salaires n’étaient pas assez élevés ! »

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les scandales se succèdent. Il y a eu le détournement de fonds lié à l’organisation du sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens de 2008, puis l’affaire ICC Services, du nom de l’une des structures de placement qui avaient floué des centaines de milliers de petits épargnants pour plus de 100 milliards de F CFA (environ 150 millions d’euros) en 2010. Et, aujourd’hui, la gestion de la construction du nouveau bâtiment de l’Assemblée nationale à Porto-Novo, sur les rives de l’Ouémé, est vivement critiquée.

Difficultés pour les jeunes à trouver leur place sur le marché de l’emploi

Pouvoir et opposition ne cessent de se rejeter la faute. Les uns accusent « la classe politique traditionnelle » de refuser « que le pays avance ». Les autres dénoncent l’ »hyper-­présidentialisation » d’un régime dont les « pratiques régionalistes » ont aggravé les divisions Nord-Sud. « On assiste à un dévoiement de nos institutions », déplore Léhady Soglo, président de la Renaissance du Bénin (RB, opposition). « Boni Yayi ne laisse aucune marge de manoeuvre à ses ministres. Toutes les décisions sont prises à la présidence », concède un diplomate en poste à Cotonou.

En attendant 2016, les failles du système ont des conséquences sociales. Ainsi, les grèves à répétition dans l’enseignement depuis 2010 altèrent le déroulement des épreuves du baccalauréat. De quoi peser un peu plus sur le moral des jeunes, qui éprouvent déjà bien des difficultés à trouver leur place sur le marché de l’emploi. Cette génération largement diplômée mais pourtant au chômage est au coeur des préoccupations des responsables politiques. Et il y a fort à parier que « le candidat qui l’emportera en 2016 sera celui qui arrivera à redonner espoir à la jeunesse », comme le souligne un proche du chef de l’État.

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© PIERRE VERDY / AFP

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