Égypte – Mounir Abdel Nour : « La critique est aisée… »
Ancien chef de l’opposition sous Hosni Moubarak, le ministre du Commerce extérieur et de l’Industrie plaide la cause de son gouvernement. Sans langue de bois.
Où va l’Égypte ? En guerre dans le Sinaï et depuis peu en Libye contre les jihadistes ralliés à l’État islamique, le président Abdel Fattah al-Sissi veut aussi, d’une main de fer, rétablir l’ordre intérieur. À mi-chemin entre un printemps tunisien plus ou moins apaisé et les tempêtes politiques qui plongent le Yémen dans le chaos, la transition égyptienne n’est pas facile à décrypter.
Pour une grande partie du peuple égyptien comme pour la plupart des acteurs économiques, la stabilité doit maintenant primer sur les aspirations à la démocratie exprimées lors de la révolution du 25 janvier 2011, afin de parer aux urgences économiques et sociales. Révolution dans la révolution pour ses partisans, le coup de force de juillet 2013, qui a chassé du pouvoir les Frères musulmans élus, a abouti en 2014 au triomphe de son meneur.
Le maréchal désormais chef de l’État Sissi compte sur les législatives, prévues le 21 mars mais reportées à une date indéterminée, pour confirmer un vaste soutien populaire à sa politique. De passage à Paris pour promouvoir et dynamiser les relations économiques bilatérales, Mounir Abdel Nour, ministre égyptien du Commerce extérieur et de l’Industrie, ex-secrétaire général du Wafd et chef de l’opposition sous Moubarak, fait pour J.A. le tour des grandes questions de l’actualité égyptienne.
jeune Afrique : Création d’une TVA, suppression des subventions sur les produits de base… Votre programme économique n’est-il pas socialement explosif ?
Mounir Abdel Nour : Nous sommes en train de prendre des décisions difficiles et socialement douloureuses, mais il faut avoir le courage de les prendre, car c’est la seule manière de résoudre nos problèmes économiques. Cette politique de rééquilibrage budgétaire s’accompagne d’une augmentation de nos dépenses sociales, de santé et d’éducation. Outre la poussée du chômage, la mauvaise redistribution des richesses est une des causes des problèmes rencontrés depuis juillet 2011. Les subventions à l’énergie avaient ainsi permis aux industriels de réaliser des marges fantastiques, et un fossé insupportable s’était creusé entre riches et pauvres.
Le doublement du canal de Suez est le projet vitrine du régime, mais la plupart des experts s’accordent à dire que l’objectif d’inauguration en août est intenable…
J’invite donc vos experts à venir, avec le président Hollande, inaugurer cette voie d’eau le 4 août 2015 ! Ils nous livreront alors leurs analyses.
Sinaï en crise à l’est du canal, Yémen en voie de dislocation au sud : un risque politique élevé ne pèse-t-il pas sur ce projet ?
Cette situation sécuritaire régionale ne va pas se prolonger indéfiniment ! L’Égypte se fait fort de faire face à tous ces dangers, lesquels ne visent pas seulement notre pays, mais tous les autres pays méditerranéens, qui devraient aussi prendre leurs responsabilités.
La diplomatie occidentale s’est montrée réticente à appuyer une intervention militaire en Libye…
Chacun est libre, mais je rappellerai que le commentateur de Daesh qui a présenté cette vidéo atroce de la Méditerranée rougie par le sang de nos compatriotes égorgés a précisé qu’il se trouvait au sud de Rome. Peut-être comprendrez-vous le message. Je rappellerai aussi que, au cours de sa visite à Paris en novembre, le président Sissi avait souligné que le danger du terrorisme auquel nous faisons face n’est pas limité à ce pays. Les tueries des 7 et 9 janvier à Paris lui ont, me semble-t-il, donné raison.
Dans le Sinaï, le tourisme s’est effondré et le chômage nourrit le mécontentement et travaille pour les groupes radicaux…
Vous dites que le chômage est très élevé dans le Sinaï, mais l’industrie touristique s’y est maintenue, notamment dans le Sud. Charm el-Cheikh fonctionne très bien et le taux d’occupation y est très élevé ! Là où le tourisme souffre, c’est malheureusement dans la vallée du Nil, à Louxor et à Assouan. Les flux qui s’y dirigent passent par Le Caire, dont on a une perception sécuritaire négative. À tort, d’ailleurs.
Qu’entreprennent les autorités pour restaurer l’image de l’Égypte et faire redémarrer l’industrie touristique dans la capitale ?
Il faut surtout communiquer à travers les médias. C’est ce que j’ai fait lorsque je détenais ce portefeuille, et cela a marché. Il fallait transmettre l’image en direct pour montrer en temps réel que tout se passe bien à Charm el-Cheikh, Assouan ou Hurghada. Et le secteur est reparti. Nous avons reçu en 2014 un peu plus de 10 millions de touristes et comptons voir ce chiffre augmenter encore en 2015.
L’attrait du marché égyptien n’est-il pas entravé par le poids de l’armée, qui contrôle une grande part de l’économie ?
C’est la troisième fois que l’on me dit ça aujourd’hui… C’est une vue de l’esprit. L’armée a des usines militaires, c’est normal. Ainsi, si l’armée commercialise une eau minérale, c’est parce qu’elle a des camps en plein désert et a été capable d’extraire, d’abord pour ses besoins, cette eau d’excellente qualité. Mais cela ne représente que 1 % à 1,5 % d’un marché contrôlé à 50 % par Nestlé !
La période post-2011 a vu la mise en accusation ou le départ en exil de nombreux hommes d’affaires, ce qui pourrait décourager l’entrepreneuriat local…
Sûrement. Mais les tribunaux achèvent de démêler ces dossiers, dont un grand nombre a été clos. Nous avons confiance dans le pouvoir judiciaire égyptien, qui, bien que sa procédure, surtout au pénal, ait été mal comprise à l’étranger, a une grande expérience et a toujours prouvé son intégrité.
L’opinion occidentale ne s’émeut-elle pas à juste titre des milliers de condamnations d’islamistes mais aussi de jeunes activistes révolutionnaires ?
Des erreurs ont été commises. Des débordements se sont produits. Je l’admets. Il est très difficile de maintenir un juste équilibre entre le souci d’assurer la sécurité, condition sine qua non du redressement économique, et le respect de certaines libertés. La critique est aisée, la réalité est beaucoup plus complexe.
Avant les législatives, quelle est l’ambiance ?
Il n’y a pas un grand enthousiasme, car, pour parler franchement, il n’y a pas de challenge. Aujourd’hui, une très grande majorité des formations politiques est derrière le président Sissi. Elles n’ont devant elles que les forces de l’islam politique, partis salafistes ou Frères musulmans dissimulés. Mais ils ont eu recours à la violence et dressé contre eux une très grande partie de l’opinion. Je pense que leurs chances de se faire entendre sont très limitées, ce que devraient confirmer les résultats de ces élections, qui seront totalement transparentes.
Les forces laïques, libérales du Doustour ou socialistes de Hamdine Sabahi, ne sont-elles pas en mesure de faire le poids ?
Je ne pense pas. Je suis très proche de ces forces, que je connais bien et respecte beaucoup. Mais, dans leur grande majorité, ce sont de jeunes idéalistes qui n’ont pas l’assise populaire pour constituer un bloc d’opposition au Parlement.
Le Wafd, votre parti, pourrait-il redevenir le grand parti qu’il a été ?
Malheureusement non. Il a fait des erreurs majeures. Il aurait pu combler le vide de l’après-janvier 2011 ou de l’après-juillet 2013, mais il en a été incapable. Il a raté une nouvelle fois le coche. Mais je ne renierai pas mon wafdisme !
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