Eyadéma, Bongo, Kabila : parricides post mortem
Le hasard des calendriers électoraux veut qu’en 2015 et en 2016 trois des sept « fils de… » que compte le club des dirigeants africains remettent en jeu leur mandat de chef d’État : Faure Gnassingbé, fils d’Eyadéma, dans deux semaines ; Ali Bongo Ondimba, fils d’Omar, au milieu de l’année prochaine ; et Joseph Kabila, fils du Mzee Laurent-Désiré, à la fin de 2016.
Pour ce dernier, à qui la Constitution interdit tout renouvellement de contrat, il devrait s’agir d’une remise sans reprise, alors que les deux autres comptent bien se succéder à eux-mêmes. Le Togolais Faure, qui a déjà connu une réélection depuis son entrée en scène entachée de violences il y a dix ans, est en lice pour un troisième mandat. Issu de la même matrice contestée, le Gabonais Ali fera face, lui, à son premier vrai baptême de légitimité depuis son accession au pouvoir en 2009.
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Quant aux quatre autres héritiers, ils n’ont ni les mêmes soucis ni les mêmes contraintes. Même si, au Maroc, chaque nouveau souverain doit s’appliquer à reconquérir le trône, Mohammed VI n’est mis en équation par personne et par aucune élection, un privilège que partagent en leurs confettis austraux les rois Mswati du Swaziland et Letsie du Lesotho.
Au Kényan Uhuru Kenyatta, élu trente-cinq ans après la mort de son père, nul ne songerait à reprocher un quelconque délit de filiation, encore moins de patronyme. Tous pourtant, à l’exception peut-être du dernier nommé, orphelin dès l’adolescence, ont grandi à l’ombre pesante, parfois étouffante, d’un père autoritaire et omnipotent. Au point, souvent, de développer, comme un anticorps, une personnalité autocentrée et peu portée sur la communication.
La liste est longue de ces vizirs rapidement passés à la trappe de l’Histoire et qui en ont conçu une vive amertume.
Tous également ont adopté la même démarche : n’évoquer la figure tutélaire qu’avec parcimonie, ne jamais blâmer ses mânes, et, quitte à pratiquer en douce une sorte de parricide post mortem, tout changer sur l’air du "lui c’était lui, moi c’est moi". À commencer par ces proches du géniteur défunt tentés de jouer les parrains de substitution pour guider leurs premiers pas.
Basri, Yerodia, Ping, Tidjani : la liste est longue de ces vizirs rapidement passés à la trappe de l’Histoire et qui en ont conçu une vive amertume. À commencer aussi par la famille, soigneusement tenue à l’écart, remise à sa place lorsqu’elle se montre envahissante, voire écartée si elle excipe de l’hérédité pour contester les décisions du nouveau titulaire. À des degrés divers, Pascaline Bongo, la soeur aînée, Moulay Hicham le cousin ou Kpatcha Gnassingbé, le frère cadet, en ont fait l’expérience.
Les "fils de…" savent tous que l’on n’est jamais si bien trahi que par ses proches. "Je demande à être jugé sur mon bilan, pas sur ma filiation", nous dit le président togolais dans le portrait que nous lui consacrons cette semaine. Pourquoi pas, en effet : à la condition expresse que l’unique source de légitimité soit une élection ouverte et transparente, on ne voit pas comment empêcher a priori une dynastie républicaine de se perpétuer au pouvoir – les Bush et les Gandhi en sont l’exemple.
Ni ce qui interdit à un Karim Keïta, un Denis Christel Sassou Nguesso ou un Teodoro Obiang Nguema Jr de nourrir l’ambition de succéder un jour à leurs pères respectifs. Encore doivent-ils savoir que, dans le cadre d’un processus démocratique où le peuple est libre de ses choix, être un "fils de…" est autant et pour toutes sortes de raisons un handicap qu’un avantage.
Du fond de sa prison de Rebeuss, Karim Wade pourrait en témoigner…
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