RDC : que faire de Mathieu Ngudjolo Chui, l’acquitté indésirable de la CPI ?
Acquitté des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) le 27 février 2015, le Congolais Mathieu Ngudjolo Chui embarrasse. Toujours en détention aux Pays-Bas, menacé d’expulsion vers la RDC, il fait aujourd’hui figure d’indésirable.
Mathieu Ngudjolo Chui, acquitté par la CPI le 27 février dernier, après presque sept années de procédure, se livre aujourd’hui à une autre bataille juridique. Actuellement en détention à l’aéroport de Schipol, aux Pays-Bas, il fait tout pour empêcher son expulsion vers la RDC.
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Estimant que sa vie serait menacée dans son pays d’origine, il a déposé une demande d’asile sur laquelle les autorités néerlandaises doivent se prononcer, le 16 avril prochain.
Voici les clés pour comprendre un dossier qui embarrasse la justice internationale mais également quelques chancelleries, à commencer par celles des Pays-Bas ou, à terme, de la Suisse.
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Comment a-t-il été acquitté ?
Pourquoi a-t-il été acquitté ?
Que fait-il en détention ?
Où en est sa demande d’asile ?
Pourquoi s’estime-t-il en danger en RDC ?
Que répond le gouvernement congolais ?
Où peut-il aller aujourd’hui ?
Mathieu Ngudjolo Chui est arrêté à Kinshasa le 6 février 2008. Il est alors recherché depuis un peu plus de six mois par la Cour pénale internationale (CPI), qui a émis un mandat d’arrêt contre sa personne le 6 juillet 2007. Il y est accusé de crimes contre l’humanité (meurtres, esclavage sexuel et viols) et de crimes de guerre, notamment celui d’avoir dirigé intentionnellement une attaque contre une population civile ne participant pas aux hostilités, à Bogoro, le 24 février 2003.
Détenu pendant cinq ans et demi à la prison de Scheveningen, il est acquitté le 18 décembre 2012. Dans un communiqué, la CPI indique alors qu’au vu des différents éléments de preuve produits devant la chambre et des dépositions des témoins cités par le Procureur, la défense, les représentants légaux des victimes et par la Chambre elle-même, "il n’a pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Mathieu Ngudjolo Chui était le commandant en chef des combattants lors de l’attaque lancée contre Bogoro".
Le bureau du Procureur interjette aussitôt appel de l’acquittement, mais celui-ci est confirmé par la Chambre d’appel le 27 février 2015.
Pourquoi a-t-il été acquitté ?
La décision de la Cour est en particulier basée sur un document essentiel, référencé EVD-D03-0136 : une lettre, datée du 23 novembre 2002, adressée au chef d’État-major inter-armée, le lieutenant-général Liwanga Mata Nyamunyombo, et signée, pour le Cabinet de la présidence de la République, par Samba Kaputo, directeur de cabinet adjoint.
"Conformément à la dernière réunion sécuritaire tenue le 15 septembre 2002 au bureau du président de la République ayant trait aux opérations de Nyankunde/Disctrict de l’Ituri, et compte tenu de l’urgence de la situation, il vous est ordonné de renforcer les commandements FAC et les effectifs sur le terrain en vue de poursuivre les opérations sur les sites ciblés et prévus (Mongwalu, Mandro, Bogoro et Komanda)", peut-on lire dans ce document.
Et encore : "(…) Pour la réussite de cette mission, prière de renforcer la dotation de cette équipe en matériels logistiques appropriés et en moyens financiers adéquats que le chef de l’État mettra à votre disposition."
Pour l’équipe de défense, cela prouve l’implication directe du plus haut sommet de l’État et cette lettre met "en cause le président de la République de la RDC, le désignant comme le véritable planificateur de l’attaque de Bogoro".
Bénéficiant théoriquement d’une mesure de remise en liberté à la suite de son acquittement, Mathieu Ngudjolo Chui est aujourd’hui détenu au centre de rétention administrative à l’aéroport de Schipol, aux Pays-Bas, pour défaut de permis de séjour. "Alors que je me dirigeais vers la sortie de la salle d’audience [après son acquittement, NDLR], les autorités néerlandaises m’ont arrêté en présence de Monsieur Marc Dubuisson, directeur des services de la Cour pénale internationale et membre du greffe de la CPI", raconte le Congolais dans un document élaboré avec son avocate suisse, Me Saskia Ditisheim.
"Tout concourt à montrer que cette arrestation a été planifiée entre les autorités de la CPI et celles de l’État-hôte", estime-t-il encore, ce que confirme son avocat, Me Jean-Pierre Kilenda, joint par Jeune Afrique. "Mon client a été interpellé devant moi en présence de Monsieur Dubuisson et de trois officiels néerlandais, dans l’enceinte de la CPI, où ils ne devraient pas pouvoir opérer", témoigne-t-il.
Alors que Mathieu Ngudjolo Chui espérait, après son acquittement, pouvoir choisir une destination d’asile, comme il affirme l’avoir évoqué en privé avec un officiel de la CPI, il n’en sera rien. Les autorités néerlandaises ont en fait l’intention d’expulser au plus vite l’accusé acquitté vers son pays d’origine, la RDC, une première demande d’asile lui ayant été refusée le 1er octobre 2014. Il est conduit dans la soirée du 27 février 2015, vers 20H00, à l’aéroport de Schipol, pour y embarquer dans un avion de ligne de la compagnie Kenya Airways à destination de Kinshasa. Ayant pris place à bord, sans avoir pu récupérer ses effets personnels à son hôtel, Mathieu Ngudjolo Chui s’apprête au décollage.
Mais l’appareil est prié de faire demi-tour et de déposer son passager : ses avocats néerlandais ont en effet déposé in extremis une seconde demande d’asile auprès des autorités néerlandaises. Rejetée dans l’heure mais faisant l’objet d’un appel, celle-ci oblige un juge local à ordonner l’arrêt de la procédure d’expulsion. Depuis, le Congolais est en détention administrative à l’aéroport, tandis que l’appel concernant sa seconde demande d’asile est toujours en cours et sera examiné le 16 avril.
Où en est sa demande d’asile ?
Une premier demande d’asile a été rejetée le 1er octobre 2014, l’appel du Procureur n’ayant, à cette date, pas encore été rejetée. Concernant la seconde requête, déposée le 27 février, la Cour d’appel rendra sa décision le 16 avril prochain.
Ses avocats n’ont cependant que peu d’espoir et s’attendent à un refus ou à un renvoi du jugement à une date ultérieure, au vu du caractère politique de ce dernier. "Les autorités néerlandaises et la CPI se renvoient la balle", explique Me Ditisheim.
La justice internationale estime que ce sont aux autorités locales de gérer le dossier. La Chambre a en effet estimé que le pouvoir de la CPI de détenir des personnes se limite aux cas où la détention est liée à une procédure judiciaire devant la Cour et que cette dernière ne peut servir de centre de rétention pour demandeurs d’asile.
Quant au pouvoir néerlandais, il le juge indésirable et, bien qu’acquitté, en situation irrégulière puisque sans titre de séjour. "Les Pays-Bas estiment qu’il n’est pas en danger en RDC et, en collaborante avec les autorités hollandaises, la CPI a contribué à créer une situation inique et dangereuse pour mon client", s’indigne Me Ditisheim.
Pourquoi s’estime-t-il en danger en RDC ?
Acquitté sur la base d’un document évoquant l’implication du cabinet du président Laurent Désiré Kabila dans les faits qui lui étaient reprochés, Mathieu Ngudjolo Chui considère qu’une expulsion menacerait son intégrité physique et son existence. "Je sais malheureusement qu’une fois arrivé à Kinshasa, je serai soit exécuté, soit emprisonné à vie, dans tous les cas persécuté sous diverses formes", explique le Congolais.
Son équipe de défense met en avant les cas de trois témoins de la même procédure auprès de la CPI, Floribert Ndjabu Ngabu, Sharif Manda Ndadza Dz’Na et Pierre-Célestin Mbodina Iribi, pour lesquels Amnesty International avait également fait part de ses inquiétudes il y a moins d’un an. "Ces trois témoins sont en prison" et des documents "font état des traitements inhumains et dégradants dont [ils] sont l’objet depuis leur retour en RDC", explique le Congolais.
"Ils sont tous les trois détenus à la prison militaire de Ndolo", explique Me Jean-Pierre Kilenda, avocat de Mathieu Ngudjolo Chui. "Deux d’entre eux sont diabétiques et ne reçoivent pas d’insuline pour leur traitement", poursuit-il, s’appuyant sur une lettre de Floribert Ndjabu Ngabu, qui demande son transfert au centre pénitentiaire de Makala, à Kinshasa. "Mon client ne peut pas être rapatrié en RDC, sinon c’est la persécution assurée", conclut Me Kilenda.
Que répond le gouvernement congolais ?
Contacté par Jeune Afrique, le gouvernement congolais estime qu’il n’a pas de temps à perdre avec le cas de Mathieu Ngudjolo Chui. "Il dit n’importe quoi pour justifier un statut de réfugié aux Pays-Bas, c’est son droit", estime Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement.
"Il n’a rien à craindre en RDC", ajoute le ministre. Et de conclure : "C’est nous qui l’avons livré à la CPI. Si nous souhaitions qu’il disparaisse, pourquoi ne l’aurions nous pas fait disparaître à l’époque ?"
Où peut-il aller aujourd’hui ?
Mathieu Ngudjolo Chui espère encore trouver asile aux Pays-Bas et attend la décision de la Cour d’appel concernant sa seconde demande d’asile, le 16 avril prochain. Il devra pour cela convaincre les autorités néerlandaises du danger de son expulsion vers la RDC.
Toutefois, d’autres pistes sont explorées par son équipe de défense. L’une, prise en main par ses avocats néerlandais, notamment Me Flip Schuller, concerne la Cour européenne des droits de l’homme, en cas de refus de la demande d’asile par les Pays-Bas.
La seconde implique d’autres États membres de la CPI. Mathieu Ngudjolo Chui a ainsi prévu de déposer, le 16 ou le 20 avril, une requête de visa humanitaire auprès de la Suisse. "Ce pays a une tradition d’accueil", explique Me Saskia Ditisheim, qui s’occupe de cette demande auprès de l’ambassade helvète.
L’objectif : interpeler les pays signataires du traité de Rome au sujet des acquittés de la CPI. "Mathieu Ngudjolo Chui est le premier acquitté de la Cour, il n’y a donc pas de jurisprudence, mais la CPI doit se poser la question de savoir où il veut aller", explique Me Kilenda. "Je n’estime pas impossible que la Cour impose l’accueil d’un acquitté à un de ses États membres, elle a les ressources nécessaires", ajoutet-il.
Le Congolais peut notamment s’appuyer sur l’exemple du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), dont certains anciens témoins, qui estimaient ne pas pouvoir revenir au Rwanda, ont été accueillis, après des accords spéciaux, en Tanzanie, ou était basé le tribunal, et en Belgique.
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