Pernod Ricard applique à l’Afrique sa recette indienne
Des petites bouteilles de gin, de vodka ou de whisky, produites localement et vendues environ 1 euro. C’est par ce biais que le groupe français veut rattraper son retard sur le continent.
Destination Maputo. Le Mozambique, où Pernod Ricard s’installera dans quelques semaines, est à l’image des autres pays qu’il a visés jusqu’ici : un marché relativement grand (27 millions d’habitants) où le pouvoir d’achat, porté par les richesses tirées du sous-sol, permet une consommation d’alcool élevée. « C’est la nouvelle pépite africaine, notamment grâce au gaz et au charbon », confirme, lors d’un passage à Paris, Laurent Pillet, directeur général de Pernod Ricard pour l’Afrique subsaharienne. Ce Français est basé à Johannesburg, première implantation africaine et hub du numéro deux mondial des vins et spiritueux sur le continent.
Car, en 2010, après avoir fait le constat, à l’occasion d’une révision de sa stratégie mondiale, qu’il avait « clairement du retard à rattraper » en Afrique, le groupe français a accéléré. Cinq autres filiales ont ouvert au cours des trois dernières années : au Ghana, au Nigeria, en Angola, au Kenya et en Namibie (le Maroc dépend d’une direction différente). Avec des résultats encourageants : le chiffre d’affaires africain a été multiplié par deux sur cette période, atteignant 400 millions d’euros, soit 5 % de l’ensemble des revenus de l’entreprise. Et Pernod Ricard entend doubler de nouveau ce chiffre d’ici à 2019.
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Mais il faudra compter avec son principal concurrent, Diageo, leader mondial du secteur. Très bien implanté, le groupe britannique capte, dans certains pays comme le Kenya, 80 % du marché des alcools. Il s’appuie sur une large collection de marques (Johnnie Walker, J&B, Smirnoff, etc.) et, contrairement à Pernod Ricard, sur des bières renommées comme la Guinness, qui renforcent sa puissance et sa connaissance du marché. « Le fait que Pernod Ricard ne soit pas présent dans la bière n’est pas un obstacle, estime cependant Julien Garcier, du cabinet Sagaci Research. Le groupe français est fort sur la gamme premium, avec de belles marques comme la vodka Absolut ou le whisky Jameson. Diageo, qui est souvent en position de leader dans les pays concernés, ne peut que reculer. »
Haut de gamme
Pernod Ricard dispose de marques bien connues en Afrique, comme le whisky Passport, présent en Angola depuis plus de quarante ans, ou le rhum Red Heart, leader en Afrique du Sud. Or la consommation de marques internationales d’alcool est en forte progression sur le continent : de 10 % à 15 % par an selon les pays. « Pernod Ricard profite de l’émergence de la classe moyenne, poursuit Julien Garcier. Les consommateurs d’alcool, même s’ils ne sont pas aisés, vont privilégier les marques car ils craignent de boire des produits frelatés. »
Tout en gardant le haut de gamme en ligne de mire, Pernod Ricard veut s’adapter à cette classe moyenne en dupliquant une stratégie qui a porté ses fruits sur un autre marché gigantesque : l’Inde. « C’est-à-dire produire sur place des marques locales et les distribuer sous forme de petites bouteilles de gin, de vodka ou de whisky qui coûtent environ 1 euro, avec des packagings qui font penser aux marques européennes », détaille Laurent Pillet, soulignant les similarités du sous-continent avec l’Afrique : démographie, multiplicité d’ethnies, de langues et de religions.
En Inde, ces formats ont permis au groupe français de couvrir à eux seuls les coûts de structure, mais aussi d’atteindre une masse critique sur le marché. Le directeur de Pernod Ricard pour l’Afrique subsaharienne assure que des productions de ce type ont démarré cette année en Afrique, mais refuse pour l’heure de communiquer le nom des pays concernés. « On en est encore au stade des tests », justifie-t-il, sans vouloir préciser si le groupe a construit ses propres usines (on ne lui en connaît qu’en Afrique du Sud) ou s’il s’appuie sur celles de partenaires.
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Jusqu’ici, Pernod Ricard n’a noué aucune alliance dans la production. Ses rares partenariats se limitent à la distribution : avec CFAO au Nigeria, Prosuma en Côte d’Ivoire et, surtout, Castel au Cameroun. Une stratégie judicieuse, car la distribution constitue le principal défi du secteur des boissons en Afrique, où l’essentiel des ventes est réalisé dans le secteur informel.
Au-delà des petites épiceries, une part très importante des volumes d’alcool est écoulée dans les cafés, les restaurants et les boîtes de nuit. Au Nigeria, par exemple, ces établissements représentent pas moins de trois quarts des volumes de spiritueux vendus, selon Sagaci Research. Atteindre les milliers de débits de boissons de chaque pays requiert une fine connaissance du terrain et un carnet d’adresses bien rempli. Deux atouts qui manquent à Pernod Ricard.
Hic
Au Cameroun, en s’associant il y a quelques années avec le spécialiste des spiritueux, Castel, roi africain de la bière, voyait l’occasion de bousculer la domination de Diageo, qui propose à lui seul bières, champagnes et alcools forts. Mais il y a un hic : alors que Pernod Ricard affirme être en discussion avec Castel pour sceller de nouveaux partenariats au Tchad et en Centrafrique, chez le brasseur on dément. Et on n’exclut pas de mettre fin au partenariat camerounais, car les résultats ne sont pas au rendez-vous. Castel envisagerait même de concurrencer son allié en produisant localement ses propres alcools.
Si les partenariats sont essentiels à Pernod Ricard sur les terrains complexes, ils ne concernent pas la distribution moderne, celle des malls et des supermarchés. Sur ce créneau, le groupe veut se passer d’intermédiaire et profiter de l’expertise acquise sur les marchés européens. Portés par la croissance de la consommation, les supermarchés poussent comme des champignons et sont appelés à remplacer la distribution informelle en Afrique, parie Laurent Pillet.
Reste que les habitudes de consommation sont encore loin de celles que Pernod Ricard observe en Europe. Sur un marché immense comme le Nigeria, les supermarchés représentent ainsi moins de 1 % des ventes d’alcool, selon Sagaci Research. Pas sûr qu’ils suffisent au groupe français pour s’imposer.
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