Robert Ménard, de Reporters sans frontières au Front national
Plus de vingt ans durant, il défendit avec pugnacité la liberté d’expression à travers le monde – notamment en Afrique. Et puis, en 2014, il s’est allié au parti de Marine Le Pen, dont il n’est pas membre, pour conquérir la mairie de Béziers. Il explique cet itinéraire hors normes.
De 1985 à 2008, Robert Ménard dirigea l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Il défendait les journalistes sur tous les fronts et n’hésitait jamais à payer de sa personne pour un idéal souvent bafoué : la liberté d’expression. Il est ensuite devenu polémiste, ne portant plus sur les plateaux télé que sa propre parole.
Et puis, il y a un an, il s’est présenté aux élections municipales à Béziers sous les couleurs de l’extrême droite. Il a gagné avec le Front national, sans en être membre. Depuis, il multiplie les annonces chocs : armement de la police municipale, couvre-feu imposé aux enfants de moins de 13 ans non accompagnés pendant les vacances et les week-ends, interdiction d’étendre son linge aux balcons, inauguration d’une rue du Commandant-Hélie-Denoix-de-Saint-Marc en lieu et place de la rue du 19-Mars-1962 (date des accords d’Évian, qui mirent fin à la guerre d’Algérie), etc.
Son succès aux élections départementales du mois dernier l’a conforté dans ses choix. Petit et nerveux, il cogne à bras raccourcis sur ceux qu’il défendait hier et qu’il regroupe désormais sous le vocable de "landerneau médiatico-bobo parisien". Bref, les apôtres de la "bien-pensance" généralisée.
Le Robert Ménard d’aujourd’hui est-il le même que celui d’hier ? Personnage complexe, l’intéressé jure que oui, et sans doute faut-il lui accorder ce crédit. Reste à tenter de saisir ce qui expliquerait, chez lui, ce compagnonnage idéologique "à 80 %" avec le parti de Jean-Marie et Marine Le Pen. Pour ce faire, il faut sans doute chercher du côté d’Oran, où il est né en 1953. Quitter l’Algérie en 1962 a été pour la famille Ménard un traumatisme. Aujourd’hui encore, englué dans ce "temps béni des colonies", il paie sa dette à son père. Et rêve d’une France qui n’existe plus – si tant est qu’elle ait jamais existé.
Jeune afrique : Pour les élections départementales, vous avez conclu des accords avec le Front national…
Robert Ménard : Comme pour les municipales. Je ne suis membre ni du FN ni du Rassemblement bleu Marine, mais j’ai avec eux 80 % d’idées en commun.
Et les 20 % restants ?
Sur les questions de société, je suis largement d’accord avec le FN. En revanche, le regard qu’il porte sur l’Europe me paraît excessif. Les gens attachent trop peu d’importance au fait qu’on ne se fasse plus la guerre sur ce continent, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas renégocier les traités. Autre désaccord, ma vision économique est infiniment plus libérale que celle de Marine Le Pen.
Manuel Valls soutient que "le Front national n’aime pas la France"…
Quand il a prononcé cette phrase, c’était au sujet de la rue de Béziers que nous avons rebaptisée Hélie-de-Saint-Marc. Vous savez qui il est, c’est un héros. Je ne crois pas que le Premier ministre soit bien placé pour donner des leçons de patriotisme. Il parle de quelque chose qu’il ne connaît pas : la guerre d’Algérie. J’ai le plus grand respect pour son parcours, mais je voudrais quand même lui rappeler que quand un pays, la France, vous offre de devenir Premier ministre alors que vous n’y êtes pas né – et je suis ravi que ce soit arrivé ! -, on essaie de faire un petit peu attention avec son histoire.
Mais vous n’avez pas connu la guerre non plus !
Pardon, mais je suis parti d’Algérie à 9 ans. Je me souviens d’être sorti un jour de mon école, à Oran, en enjambant des cadavres. C’est une expérience qui vous marque pour quelques années, croyez-moi ! Mon enfance a été bercée par le souvenir de l’Algérie : les plages, la chaleur, les tortues qui nous volaient nos sandwiches en plein pique-nique, le chameau dans le jardin de mes parents… Mais aussi de mon oncle débarquant à la maison les armes à la main. Je ne suis pas sûr qu’on sorte jamais vraiment de son enfance. Pour moi, débaptiser la rue du 19-Mars-1962, c’était payer une dette à l’égard des communautés pied-noir et harkie, à l’égard de ma famille et de mon père.
Ces accords de paix sont quand même un symbole…
Les accords d’Évian ne sont pas des accords de paix, c’est une capitulation de la France. Dire que le 19 mars 1962 était un cessez-le-feu, c’est du révisionnisme. D’ailleurs, les plus importants massacres de Français d’Algérie et de harkis ont eu lieu après ! De manière générale, je préfère commémorer Austerlitz que Waterloo. Je ne suis pas dans la repentance.
Êtes-vous nostalgique de l’Algérie française ?
Non, cela n’aurait aucun sens, on ne revient pas sur l’Histoire. Mais, oui, j’ai la nostalgie de mon enfance. Notre départ a été un terrible traumatisme. En général, quand vous êtes enfant dans une famille catholique, on vous explique que le paradis est devant vous. Dans ma famille, il était derrière.
Il semble que vous amorciez un retour à la religion…
C’est ma femme qui m’a ramené à la foi. Je sauverai peut-être mon âme grâce à elle, je la bénis.
L’immigration est-elle le principal problème de la France ?
Oui. Je n’aurai jamais un mot désagréable pour quelqu’un qui fait tout pour venir en France, même de façon illégale, parce qu’il veut être plus heureux, qu’il veut pouvoir offrir un avenir meilleur à ses enfants. C’est la politique d’immigration qui pose un problème. Ouvrir la France, comme on l’a fait depuis 1974 avec le regroupement familial, à une population immigrée nombreuse est une folie.
L’immigration a été considérablement réduite ces dernières années…
Il n’y a que vous qui trouviez qu’elle se réduit ! Deux cent mille personnes en plus chaque année, dont l’immense majorité vient d’une autre civilisation que la nôtre, je vois les problèmes que cela crée dans ma ville. Demain, ce pays ne pourra plus se reconnaître dans une glace. Moi, je tiens à l’histoire, au mode de vie, au charme, aux paysages, à la convivialité, à la nourriture, aux vins et à la littérature de ce pays. Ce qui me sidère, c’est que des gens qui sont français depuis deux ou trois générations continuent à ne pas se sentir comme tels. Ils n’aiment pas ce pays.
Que pensez-vous des interventions françaises en Afrique ?
On a eu un chef d’État tellement va-t-en-guerre que, quand a commencé la guerre civile en Syrie, il était prêt à y aller lui-même. Il n’avait qu’à retourner en Afghanistan, tant qu’il y était ! Moi, je peux lui fournir une de liste de pays non démocratiques où l’on pourrait faire la guerre. En Centrafrique, croyez-vous vraiment qu’on va réconcilier les uns et les autres, vous y croyez cinq minutes ?
Avez-vous gardé des contacts avec l’Afrique ?
Oui, bien sûr. Quand Blaise Compaoré a quitté la scène, j’ai reçu plein de messages de mes amis burkinabè me disant : "Tu dois être tellement content !" Il faut dire que la dernière fois que j’ai quitté ce pays ils s’y sont mis à quatre pour me jeter dans un avion dont je ne savais même pas où il allait !
Après votre long combat pour la liberté de la presse, les Africains ne sont-ils pas surpris de votre proximité avec le FN ?
Je ne suis pas certain que ce que vous dites ne s’applique pas davantage à l’intelligentsia qu’aux Africains en général. Je suis sidéré par le nombre de fois où des Africains ont soutenu devant moi que dire "la France aux Français" c’était comme dire "l’Afrique aux Africains".
Le Robert Ménard d’aujourd’hui est-il le même que celui de RSF ?
Exactement le même, avec les mêmes révoltes contre le monde tel qu’il est. Simplement, je dis aujourd’hui tout haut ce qu’hier je pensais tout bas. Quand la gauche explique que les étudiants africains qui ont fait leurs études en France doivent pouvoir y rester, c’est un scandale. Si je m’y oppose, c’est parce que j’aime l’Afrique. Les médecins béninois qui ont commencé leurs études au Bénin et les ont achevées en France, je te les renvoie dans leur pays à coups de pied au cul. L’immigration choisie qu’on nous vante, c’est piller les cerveaux africains ! L’aide à l’Afrique est stupide. Elle ne sert à rien, est constamment détournée et fait le malheur de ses bénéficiaires supposés. Tout le monde le sait, mais le poids de la bien-pensance est tel que personne n’ose le dire.
Comment avez-vous réagi au massacre de Charlie Hebdo ?
Douloureusement. Face à cela, il n’y a plus de divisions politiques. Dieu sait pourtant que Charlie est odieux avec moi, mais j’ai toujours pensé que défendre la liberté de la presse c’était défendre la liberté de gens qui pensent de manière radicalement différente. Le problème, c’est que les Français sont tout sauf voltairiens, ils défendent la liberté de leurs copains.
Quelles limites reconnaissez-vous à la liberté d’expression ?
Seulement deux : les appels explicites à la violence et les attaques ad hominem. Cette position m’a conduit à défendre des gens dont je pensais le plus grand mal, en Afrique notamment. Une partie de la presse africaine est composée de torchons, mais est-ce une raison pour mettre en taule ses journalistes ? Non, donc je les défendais. Mais j’ai aussi défendu des gens remarquables comme le Camerounais Pius Njawé, paix à son âme.
Que pensez-vous de Dieudonné ?
Je conteste tout ce qu’il dit, mais je suis contre le fait qu’on le condamne. Je ne suis pas révisionniste, mais je suis contre les lois sur le révisionnisme parce qu’elles font une publicité incroyable à ceux qu’elles permettent de condamner. Pour en revenir à l’extrême droite, qui vous intéresse, j’ajoute que l’antisémitisme en France est d’abord aujourd’hui le fait des banlieues. L’antisémitisme d’extrême droite existe, bien sûr, mais il est résiduel. La communauté juive est d’ailleurs en train de s’en apercevoir.
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