Burkina Faso : Djibrill Bassolé, ou l’art du rebond

À Ouagadougou, les ambitions présidentielles de l’ancien ministre ne sont un secret pour personne. Rencontre avec un homme qui a presque réussi à faire oublier qu’il avait été un pilier du régime de « Blaise » et qui est décidé à se présenter malgré le nouveau code électoral.

Bassolé l’outsider de l’élection présidentielle burkinabè. © Camille Millerand/J.A.

Bassolé l’outsider de l’élection présidentielle burkinabè. © Camille Millerand/J.A.

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 14 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

Son avenir s’est subitement assombri. Considéré comme l’outsider numéro un dans la bataille annoncée entre Zéphirin Diabré et Roch Marc Christian Kaboré pour la présidence, Djibrill Bassolé voit désormais son chemin vers le palais de Kosyam barré par le nouveau code électoral. Promulguée le 10 avril par le président Michel Kafando, cette loi, votée massivement par les députés du Conseil national de transition (CNT, l’assemblée intérimaire burkinabè), rend "inéligibles" les personnes ayant "soutenu un changement inconstitutionnel portant atteinte au principe de l’alternance démocratique". 

Ce texte, volontairement flou, exclut donc théoriquement les partisans et soutiens de Blaise Compaoré des élections présidentielle et législatives prévues le 11 octobre prochain. Mais Djibrill Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères du président déchu, n’en a que faire. Joint le lendemain du vote par Jeune Afrique, il a répété ce qu’il glisse à ses confidents depuis plusieurs semaines : il va annoncer sa candidature à la présidentielle d’ici la fin du mois d’avril.

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Mis en congé par l’armée

Fin politique, ce Gourounsi de 57 ans, natif de la province de Kossi (Nord-Ouest), a procédé étape par étape. Il a laissé monter – ou a orchestré – les attentes autour de sa candidature au scrutin d’octobre prochain, jusqu’à ce que celle-ci ne soit plus qu’un secret de polichinelle dans le petit sérail ouagalais.

Il y a d’abord eu, en janvier, ce rassemblement d’associations de jeunes réclamant à cor et à cri qu’il se présente. Puis la création de la Nouvelle Alliance du Faso (Nafa), embryon de formation politique ralliée à sa cause et composée d’anciens cadres du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré. Et enfin, mi-mars, sa "mise en congé" par l’armée, institution avec laquelle ce militaire de carrière n’avait jamais officiellement rompu malgré ses fonctions de ministre.

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Jeune officier sous la révolution sankariste, Djibrill Bassolé a dirigé l’état-major de la gendarmerie entre 1997 et 1999. Nommé général de gendarmerie en avril 2014, alors même qu’il était encore à la tête de la diplomatie burkinabè, il a subitement renfilé l’uniforme pendant l’insurrection populaire contre Blaise Compaoré, suscitant de nombreuses interrogations, pour ne pas dire des accusations de traîtrise, au sein du cercle présidentiel.

Lui se défend de tout acte de félonie et affirme "n’avoir fait que son devoir". "Le 30 octobre, jour du vote du projet de loi sur la révision de la Constitution, j’étais chez moi, juste à côté de l’Assemblée nationale, raconte-t-il. Il y avait des milliers de manifestants. Soudain, j’ai vu une colonne de fumée au-dessus de l’hémicycle. J’ai appelé Blaise pour lui conseiller de faire une déclaration et de calmer le jeu. Puis j’ai été exfiltré par des gendarmes en fourgon blindé jusqu’au camp de gendarmerie. J’ai alors endossé mon rôle d’officier, j’ai participé au maintien de l’ordre et j’ai tout fait pour que les choses se passent bien."

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"Blaise ne croit pas à cette thèse de la trahison"

S’il l’a encore plusieurs fois au téléphone, il ne reverra plus le président jusqu’à son départ de Ouagadougou en convoi sécurisé, le lendemain après-midi. Sa proximité avec le général Honoré Nabéré Traoré et sa volonté que l’armée "prenne les choses en main" ont fait de lui, qui était opposé au projet de réforme constitutionnelle, un paria parmi certains proches de l’ex-chef de l’État, au premier rang desquels François, son frère cadet, qui n’a jamais apprécié ce dauphin officieux et concurrent direct pour la succession du taulier.

De son côté, Bassolé affirme que "Blaise", à qui il a rendu une visite de courtoisie en novembre dernier à Yamoussoukro, "ne croit pas à cette thèse de la trahison". Les deux hommes seraient toujours en bons termes, forts d’une relation qui a débuté il y a plus de vingt ans. Au milieu des années 1990, le jeune officier de gendarmerie quitte les casernes pour le cabinet de la présidence.

Décrit comme un homme habile et intelligent, ce diplomate chevronné a l’oreille de tous les acteurs de la scène politique nationale, qu’ils soient sankaristes ou partisans du CDP.

Déjà à l’aise dans le costume de médiateur, il est désigné représentant spécial du président Compaoré dans la crise togolaise, en 1994, puis nigérienne, en 1995. Son ascension au coeur du régime est alors fulgurante. Ministre délégué puis ministre de la Sécurité entre 1999 et 2007, il accède ensuite au stratégique ministère des Affaires étrangères, de 2007 à 2008, puis de 2011 jusqu’en octobre 2014, à la chute de son mentor. "On ne nomme pas n’importe qui à ces postes, raconte un ancien collaborateur à la présidence. Ils se faisaient confiance."

Un carnet d’adresse bien fourni

Aujourd’hui, Bassolé se définit pourtant comme "un technocrate coopté par le régime plutôt qu’un pur produit du système". Durant cette folle journée du 30 octobre à Ouagadougou, il a été l’un des rares dignitaires proches de Compaoré à n’avoir pas vu son domicile pillé et incendié par les manifestants. Parfaitement conscient que son rôle ambigu durant l’insurrection sert désormais sa partition présidentielle ("si j’avais été répressif, je ne pourrais plus prétendre à quoi que ce soit"), Bassolé cultive finement ce double visage, présentant l’un ou l’autre en fonction de ses interlocuteurs ou de ses intérêts.

Décrit comme un homme habile et intelligent, ce diplomate chevronné a l’oreille de tous les acteurs de la scène politique nationale, qu’ils soient sankaristes ou partisans du CDP, parti dont il a été membre du bureau politique entre 2012 et 2014. Il continue de voir régulièrement Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier et bras droit de "Blaise", ou encore Sanné Mohamed Topan, l’ancien directeur du cabinet présidentiel.

Grand maître de la Grande Loge maçonnique du Burkina, il dispose d’un carnet d’adresses international impressionnant. Niger, Darfour, Côte d’Ivoire, et plus récemment Mali : il a mené des médiations dans plusieurs crises majeures du continent ces dernières années – des expériences qui lui ont ouvert des portes dans toutes les capitales de la sous-région. Désormais envoyé spécial de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) pour le Sahel, ce musulman compte également de solides contacts dans les pays du Golfe. Autant d’appuis politiques et financiers de choix qui pourront se révéler décisifs dans la dernière ligne droite de la campagne.

Intenses tractations

Outre la nouvelle loi électorale, dont on ne sait encore si elle lui permettra de se présenter, Djibrill Bassolé a aussi ses faiblesses. "Il sera forcément très dépendant de la présence, ou non, d’un candidat du CDP, explique un diplomate occidental à Ouagadougou.Si l’ancienne majorité n’a pas de candidat, il pourra attirer une partie de son électorat. Si elle en a un, ce sera évidemment plus difficile pour lui."

Je ne serai pas complaisant. Il faut que justice soit rendue, et peu importe qui cela implique. Personne n’est au-dessus des lois, assure-t-il.

Bassolé mène donc d’intenses tractations, espérant attirer dans son sillage des responsables politiques de premier plan. Autre hic : son profil militaire. Dans un pays dirigé depuis un demi-siècle par des personnalités issues de l’armée, beaucoup aspirent au changement. Enfin, l’ancien ministre n’a pas, contrairement à ses rivaux de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Diabré ou du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) de Kaboré, de véritable ancrage local.

"Il est très sympathique et a une bonne image en dehors de nos frontières, mais il n’a pas de structure partisane, même dans sa propre province !" ironise un de ses adversaires. Reste maintenant son programme, que cet homme marié et père de cinq enfants entend focaliser sur deux thèmes majeurs : la formation et l’emploi des jeunes, et la mise en place d’une justice forte et indépendante. " Le sentiment d’impunité continuera de grandir tant que nous n’aurons pas tiré certaines affaires au clair, comme les assassinats de Norbert Zongo ou de Thomas Sankara", affirme-t-il sans sourciller. Quitte à traîner un jour Blaise Compaoré devant un tribunal ? "Je ne serai pas complaisant. Il faut que justice soit rendue, et peu importe qui cela implique. Personne n’est au-dessus des lois."

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