Mamadou Sangafowa Coulibaly : « La Côte d’Ivoire n’exploite que 42% de ses terres arables »
Mécanisation, industrialisation, autosuffisance alimentaire et réforme du foncier rural, Mamadou Sangafowa Coulibaly, artisan du programme national d’investissement agricole, fait le point sur ses priorités.
Présenté comme un des piliers du futur développement national ivoirien, les filières agricoles font l’objet d’un programme national d’investissement estimé à 4 milliards de dollars d’ici à 2020. Pressé par les acteurs du secteur d’accélérer les réformes en cours. Mamadou Sangafowa Coulibaly, ministre ivoirien de l’Agriculture depuis mars 2010, présente ses priorités. Si beaucoup de dossiers sont encore au stade de l’analyse, certaines filières comme le riz ou le cacao observent déjà les effets des réformes en cours.
Propos recueillis par Julien Clémençot.
Jeune Afrique : Quelle est la priorité du programme national de développement (PND) dans le domaine agricole ?
Mamadou Sangafowa Coulibaly : Atteindre l’autosuffisance en riz est notre première priorité. La Côte d’Ivoire en consomme chaque année plus de 1,5 million de tonnes et, en 2011, notre production était d’environ 700 000 tonnes. Donc plus de la moitié de nos besoins étaient importés. Avec le concours du secteur privé, nous pensons que d’ici à 2015, nous pourrons couvrir nos besoins et exporter vers les pays voisins.
Il y a un an, vous avanciez le même constat. Des avancées ont-elles été réalisées en 2012 ?
Tout à fait. Fin 2012, nous estimons que nous avons produit 1 million de tonnes. Seulement, cette production aura été obtenue à 95% à partir de cultures pluviales. L’objectif est d’inverser la tendance à l’horizon 2020. Le temps que le secteur privé s’installe et que les aménagements hydro-agricoles puissent être réalisés, nous accompagnons les producteurs en leur offrant des semences sélectionnées, de l’encadrement et des moyens de production, ce qui devrait permettre d’augmenter leurs récoltes de 30 à 40%.
Les groupes Louis Dreyfus, Mimran, Nobel, Cevital, Sifca et Olam sont tous intéressés par la production de riz en Côte d’Ivoire.
Quels sont les acteurs du secteur privé qui sont intéressés par le projet ivoirien ?
Ils sont nombreux. Les groupes Louis Dreyfus, Mimran, Nobel, Cevital, Sifca et Olam sont tous intéressés par la production de riz en Côte d’Ivoire.
Y-a-t-il encore suffisamment de terres disponibles en Côte d’Ivoire pour satisfaire les demandes des industriels ?
Tout à fait. Même si nous avons encore des problèmes de foncier à clarifier, la Côte d’Ivoire n’exploite que 42% de ses terres arables. Il reste une bonne marge de progression.
Cela passe par la mise en œuvre de la loi sur le foncier rural datant de 1998 qui transforme le droit coutumier en droit de propriété ?
Il faut reconnaître qu’il y un gros retard dans la mise en œuvre de cette loi votée avant la décennie de crise, ce qui fait qu’un grand nombre de terres sont encore gérées selon les règles coutumières. C’est effectivement l’obtention du certificat foncier qui permet toutes les transactions, y compris la location de parcelles à des sociétés. Mais, depuis la fin de la crise post-électorale, les choses s’accélèrent car les populations cherchent à valoriser leur foncier.
Comment faites-vous pour fournir les terres nécessaires aux projets des industriels ?
Nous avons une approche pragmatique. Lorsqu’une entreprise arrive avec un projet, l’État se porte garant et clarifie la situation foncière des superficies requises. Cela se fait également sans que nous intervenions. Quand les villageois voient leur intérêt, ils se dépêchent de normaliser la situation foncière de leurs terres. D’autant que, dans leurs projets, les entreprises industrielles associent les populations villageoises installées autour de l’unité de production. C’est un modèle dont nous faisons la promotion car il permet une croissance partagée. C’est le cas de Dekel Oil (filiale du groupe israélien Rina Group, ndlr), qui ne possède en propre que 5 000 hectares, mais travaille avec des petits producteurs d’huile de palme installés sur 45 000 hectares.
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En novembre, la Côte d’Ivoire a organisé la première conférence mondiale sur le cacao, quelle était l’importance de cet événement pour la filière ?
Pour nous, c’était un enjeu majeur car nous sommes le premier producteur mondial. Après une décennie de crise, le moment était venu de montrer que nous sommes de retour, non seulement au plan diplomatique, mais aussi économique. Dès l’accession du président Ouattara au pouvoir, nous avons engagé une réforme du secteur de manière à assurer sa pérennité au plan local. Faire en sorte que les producteurs aient des terres, améliorer leurs revenus…Mais il fallait aussi que nous prenions la parole au niveau international pour défendre nos intérêts.
Dans la déclaration finale du forum, les acteurs du secteur prennent des engagements, notamment en matière de transparence. Qu’en est-il en Côte d’Ivoire ?
Cela a été un des axes majeurs de la réforme entreprise fin 2011. Désormais, la filière est gouvernée paritairement par l’État et par le secteur privé. Les choses sont claires, contrairement à l’ancien système de stabilisation, où il y avait un manque de transparence concernant le niveau de fonds de réserve (garantissant le prix payé au producteur) et la manière dont il était utilisé.
L’origine Côte d’Ivoire bénéficie à nouveau d’une surcote. Avec la qualité de la fève que nous mettons sur le marché, cela va encore augmenter.
Quel est le premier bilan de la réforme du secteur cacao ?
Nous sommes vraiment satisfaits. Premièrement, le paysan gagne 60% du prix CAF (coût, assurance, fret), ce qui n’a jamais été vu depuis une décennie. Tous les acteurs étaient aussi surpris de la qualité des fèves en 2012. Grâce à cela, l’origine Côte d’Ivoire bénéficie à nouveau d’une surcote (50 livres la tonne, ndlr). Avec la qualité de la fève que nous mettons sur le marché, cela va encore augmenter.
L’alignement récent de la fiscalité des fèves exportées sur les fèves transformées sur place inquiète-t-elle les industriels ?
De notre point de vue, cela ne devrait pas déclencher de contestation. Dans les années 1990, notre pays a passé des conventions avec certains industriels pour leur demander de transformer les fèves de moindre qualité en Côte d’Ivoire. En retour, ces derniers ont obtenu qu’on les exempte de droit unique de sortie pour une durée de cinq ans. Non seulement, ils ont continué de bénéficier de cet avantage au-delà de cette période, mais en plus ils ont obtenu qu’il soit étendu aux fèves de bonne qualité.
L’abandon de cet avantage ne risque-t-il pas de nuire à l’industrialisation de la filière en Côte d’Ivoire ?
Nous avons adopté cette décision après une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers qui a estimé que l’industrie locale n’a pas besoin de ces avantages pour sa compétitivité. Nous sommes aussi prêts à regarder au cas par cas les dossiers où cela susciterait des inquiétudes. Mais l’État doit aussi rentrer dans ses fonds. Cette année, nous avons dû abandonner 45 milliards de F CFA sur les rentrées fiscales pour garantir les prix aux producteurs et aux industriels.
Autre filière prometteuse, la noix de cajou.
Exact. C’est une production qui a beaucoup progressé. Avec 580 000 tonnes, nous sommes devenus le deuxième producteur mondial après l’Inde. Mais, pour ne pas décourager les producteurs (et leur assurer de meilleurs revenus, ndlr), nous devons rapidement augmenter la part de la récolte transformée localement. Nous sommes actuellement à 3%. Notre ambition est d’atteindre 50% à l’horizon 2015.
Le groupe Aga Khan m’a aussi récemment annoncé son intention d’investir dans la filière cajou.
Vous allez avoir besoin des investisseurs privés pour atteindre votre objectif.
Les privés locaux sont nombreux à être intéressés. Cela ne demande pas une technologie de pointe, mais de la main d’œuvre. En outre après Olam, Sifca devrait prochainement ouvrir une unité de transformation. Le groupe Aga Khan m’a aussi récemment annoncé son intention d’investir dans cette filière.
Le recensement des agriculteurs fait aussi partie de vos priorités.
Avec le programme national d’investissement agricole, nous avons décidé de restructurer le monde paysan dans son ensemble. Ce projet de recensement, cofinancé par l’État et l’Union européenne, va démarrer en 2013. Cela nous permettra de supprimer l’agrément des organisations professionnelles agricoles qui ne fonctionnent pas. Les banquiers en ont besoin pour mieux financer le secteur. Au maximum, nous devrions avoir une liste apurée dans un an. Cela a déjà été fait dans la filière cacao et c’est en cours dans la filière coton.
La réforme du secteur passe aussi par la mécanisation des exploitations.
En effet. Dans les années 60, la Côte d’Ivoire produisait son premier tracteur en même temps que la Corée du Sud et l’Inde. Mais aujourd’hui c’est leurs matériels que nos agriculteurs achètent. La mécanisation fait partie du programme national d’investissement agricole. Nous regardons quelles ont été les limites des politiques précédentes. Nous devons aussi prendre en compte la problématique de la maintenance des matériels. Pour le coton, nous avons déjà progressé en généralisant la culture attelée grâce à des aides de l’Union européenne, ce qui a déjà permis d’augmenter les rendements.
Ce n’est pas encore idéal…
Oui, mais c’est mieux que la Daba [outil traditionnel des cultivateurs, ndlr].
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