Les hedge funds au chevet du négoce africain
Affaiblies par la crise financière, les banques se sont retirées du financement du commerce international, laissant de nombreux intermédiaires dans l’embarras. De nouveaux acteurs ont donc pris le relais.
La crise financière mondiale a fait une victime collatérale : le commerce des matières premières africaines. Activité annexe, consommatrice de liquidités et peu rémunératrice, le financement du commerce en général a presque instantanément fait les frais de la reprise en main du secteur bancaire. D’autant que la courte durée des transactions, entre trente et cent vingt jours en moyenne, facilitait un tarissement rapide – bien plus que des crédits courant sur plusieurs années.
Dans leur étude conjointe « Market Snapshot » de janvier 2012, la Chambre de commerce internationale (ICC) et le Fonds monétaire international (FMI) ont interrogé 337 institutions financières sur l’évolution des conditions du financement du commerce, et parmi elles 152 acteurs impliqués en Afrique subsaharienne. Ces derniers jugent que l’impact de la réduction de l’endettement des banques européennes est encore plus négatif sur la trade finance en Afrique que dans le reste du monde. Ils y sont près de huit sur dix à observer une baisse des crédits et liquidités disponibles et une augmentation de leur coût, et autant à sélectionner plus drastiquement leurs clients ou à confesser une inquiétude plus grande en ce qui concerne les contreparties.
Contagion
Les auteurs de l’étude indiquent que les contraintes financières, particulièrement ressenties par les grandes banques et celles ayant une activité dans les pays émergents, sont la principale explication aux perspectives négatives du financement du négoce en 2012. « Le récent désendettement des banques européennes a conduit à des guidelines de crédit plus serrées et à une disponibilité réduite de liquidités », font-ils valoir, avant d’ajouter que « le financement en dollars par des institutions financières non américaines peut aggraver la situation, dès lors que les échanges restent largement libellés en dollars ». La contagion par ces différents canaux est rapide et, alors que le marché bancaire mondial se régule, le commerce africain trinque.
Au pire de la crise financière, de nombreux acteurs se sont trouvés dans l’impossibilité d’obtenir le crédit dont ils avaient besoin pour commercer.
Ce constat sévère est entièrement partagé par Marc Auboin, conseiller à la division recherche économique et statistiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Une très faible part du commerce international est réglée cash. Entre 70 % et 80 % du commerce mondial reposent en conséquence sur la trade finance, explique-t-il. Au pire de la crise financière et économique, de nombreux acteurs, et spécialement les petites entreprises des pays développés et en développement, se sont trouvés dans l’impossibilité d’obtenir le crédit dont ils avaient besoin pour commercer, ou alors à des coûts prohibitifs. » Ironie du sort, le financement du commerce est considéré comme une activité somme toute peu risquée. « En temps normal, c’est la routine, continue Marc Aubain. Selon le registre de l’ICC, le taux de défaut dans la trade finance sur les cinq dernières années est de 0,2 %. Un des plus bas, si ce n’est le plus bas, de tous les instruments financiers. »
Pots cassés
Cette situation a fait le bonheur d’une nouvelle classe d’acteurs, les hedge funds, ravis de trouver un marché de niche à investir. Comme l’explique Nicolas Clavel, fondateur de Scipion Capital, un fonds spécialisé dans la trade finance en Afrique, « les raisons qui ont poussé les banques européennes à réduire leur exposition n’ont rien à voir avec les commodities en Afrique, qui ont payé les pots cassés ». Scipion Capital a été fondé en 2007 par cet ancien banquier spécialiste de l’Afrique passé par Standard Bank, Standard Chartered et Barclays. Gérant actuellement entre 50 millions et 70 millions de dollars d’actifs (entre 38 millions et 53 millions d’euros), il fait partie de ces fonds spéculatifs nés avec la crise, avec pour vocation de combler le vide laissé par les grandes banques dans le commerce des matières premières.
Nicolas Clavel ne cache pas avoir fait le pari, à l’époque où ce n’étaient encore que les accords de Bâle II qui menaçaient l’activité bancaire, que les nouvelles exigences réglementaires lui permettraient de se faire une place au soleil dans le financement du négoce. Et très vite les occasions se sont multipliées. « Ces deux dernières années ont été particulièrement intéressantes. Aujourd’hui, ce sont parfois même des banques qui disent à leurs clients de m’appeler », assure le financier.
Chez Barak Fund Management, un autre hedge fund fondé dans les mêmes circonstances en 2009 par d’anciens banquiers spécialisés dans le financement du commerce africain de matières premières, l’activité est également florissante. Le fonds est actuellement impliqué dans des opérations à travers 25 pays africains du sud et de l’est du continent, principalement dans le négoce de céréales (70 %), mais aussi dans celui de la viande (10 %) et de produits transformés comme les noodles ou la purée de tomate (20 %). Aujourd’hui à la tête de 35 millions de dollars d’actifs, le fonds a enregistré une croissance de 60 % en un an et annonce des retours sur investissement entre 14 % et 16 % par an.
Chez Scipion, très actif dans les échanges de café, de thé, de tabac ou de sel, comme chez Barak, le fonds sert généralement de relais de financement entre le producteur et l’exportateur. Une fois que la marchandise est sur le bateau, plus de problème pour la financer, mais les intermédiaires qui jalonnent le parcours sont, eux, moins bien lotis, particulièrement les petits négociants. « Les gros traders s’en sortent mieux. C’est comme pour la dette européenne, tout le monde veut prêter à l’Allemagne », sourit Nicolas Clavel.
Cela profite aux petits négociants comme aux producteurs, moins dépendants des gros traders.
Avec un prix des matières premières en hausse et des facilités de crédit bancaire qui se raréfient, les petits négociants spécialisés sont ravis de voir arriver ces nouveaux prêteurs. L’opération profite également aux producteurs. Ceux-ci doivent en effet absolument écouler leur marchandise, généralement vers les ports, et le nombre de gros traders capables de la prendre en charge diminuant, ces derniers sont en mesure d’imposer aux producteurs des prix faibles. Davantage de concurrence ne peut donc que les servir.
Business model
Dans un premier temps, les hedge funds se sont principalement intéressés aux matières agricoles non périssables. « Au bout du compte, ce sont des produits pour lesquels nous sommes sûrs qu’il y aura toujours de la demande. Les gens ont besoin de manger », explique Carla Simleit, fund manager de Barak. Mais avec le temps, le business model se rodant, d’autres produits les attirent. Pour Barak Fund Management, ce sont les produits transformés, pour lesquels les transactions sont généralement plus courtes et les marges meilleures. Pour Scipion, ce sont de plus en plus les minerais, à destination notamment de la Chine, comme le cuivre, le manganèse, le fer…
Le principe est le même. Les banques parviennent à financer les activités minières ou le commerce depuis les grands ports africains, mais entre les deux la place est largement libre pour les hedge funds. La seule réelle difficulté est d’acquérir une expertise suffisante des marchés. « Il ne s’agit pas que d’un business purement financier, explique Carla Simleit. Nous devons très bien connaître les produits, les marchés, les acteurs… Si jamais nous sommes confrontés à un défaut, nous sommes les propriétaires de la marchandise et nous devons nous débrouiller pour la revendre. » Selon elle, c’est cette intime connaissance du commerce africain qui fait le succès de Barak et qui explique que la concurrence ne soit pas encore féroce sur ce segment, le manque d’expérience du terrain freinant les ardeurs des hedge funds. Pour l’instant.
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