Xénophobie en Afrique du Sud : au secours, l’apartheid revient !
Les violences survenues à Durban ne sont pas un fait isolé. Cela fait des années que les migrants africains sont pris pour cible. Et que, sur fond de difficultés économiques, le poison de la xénophobie se répand au pays de Mandela.
Un chef traditionnel qui appelle à la haine, des réfugiés qui se précipitent dans des camps en attendant d’être évacués vers leur pays d’origine, des consulats qui tentent à la hâte de recenser leurs ressortissants… En dépit des apparences, nous ne sommes pas dans un pays en guerre, mais dans l’Afrique du Sud de 2015.
Depuis le début d’avril, le pays est le théâtre d’une nouvelle vague de violences xénophobes. Les victimes ? Des migrants africains. Le bilan est d’au moins cinq morts. Les insoutenables images de corps dévorés par les flammes suscitent l’indignation, mais aussi l’incompréhension du reste du continent. On compte aussi de nombreux blessés et des milliers de déplacés.
Dans le pays de Nelson Mandela, où la majorité noire a si longtemps bénéficié de la solidarité africaine dans sa lutte contre l’apartheid, comment les migrants ont-ils pu devenir des cibles ?
Horreurs
Cette fois, c’est la région de Durban, fief zoulou du président Jacob Zuma, et ses migrants d’Afrique de l’Est (Somaliens et Éthiopiens) qui sont particulièrement touchés. Le roi Goodwill Zwelithini, qui y conserve une influence certaine, avait mis le feu aux poudres le 21 mars en sommant les étrangers de "faire leurs bagages et de quitter le pays". Il s’est ensuite partiellement rétracté, affirmant sans vraiment convaincre que la presse avait déformé ses propos.
Les autorités sont désemparées face à ces bouffées de xénophobie – ou d’"afrophobie".
Quant au chef de l’État, il a certes dénoncé ces horreurs – à l’instar de Nkosazana Dlamini-Zuma, son ex-épouse, présidente de la Commission de l’Union africaine. "Mais malheureusement, ces déclarations sont arrivées trop tard, plus d’une semaine après le début des violences", regrette Isaac Mangena, porte-parole de la Commission sud-africaine des droits de l’homme.
La fondation Nelson-Mandela, qui a publié un communiqué fustigeant "ces dirigeants qui ont ignoré la crise et attisé le feu de la haine", ne dit pas autre chose. Jacob Zuma a-t-il craint de donner trop d’importance à un sujet désastreux pour l’image d’une Afrique du Sud qui prétend au leadership continental ? Son message, en tout cas, a été encore davantage brouillé par les déclarations de son propre fils, Edward. "Nous sommes assis sur une bombe à retardement : les étrangers risquent de prendre le contrôle de ce pays", a répété Zuma junior le 1er avril, reprenant à son compte la rhétorique du roi zoulou.
Et que dire des déclarations pour le moins surprenantes de Gwede Mantashe, le secrétaire général de l’ANC ! Son idée : "Regrouper les étrangers dans des camps pour les recenser." Venant du parti de la lutte antiapartheid, ce propos laisse pantois. L’Afrique du Sud serait-elle éternellement incapable d’envisager la mixité de ses nombreuses communautés ?
Ces réactions montrent surtout à quel point les autorités sont désemparées face à ces bouffées de xénophobie – ou d’"afrophobie", comme on les qualifie de plus en plus fréquemment -, devenues un phénomène tristement banal. En 2008 déjà, plus de 60 personnes avaient trouvé la mort lors d’une première vague de violences, qui avait notamment embrasé la région de Johannesburg, touchant des Zimbabwéens et des Congolais. Chaque année depuis, plus d’une centaine d’Africains étrangers sont tués dans des circonstances similaires.
En janvier dernier, de nouvelles exactions se sont produites dans le township de Soweto lorsqu’un commerçant somalien a abattu un adolescent de 14 ans, qu’il accusait de vol.
Mauvais oeil
Sans surprise, ces violences sont souvent liées au contexte économique. Les petits commerçants des townships sont ainsi particulièrement visés – et leurs échoppes pillées au passage -, ce que leurs concurrents sud-africains ne voient pas nécessairement d’un mauvais oeil…
À Durban, ce sont des travailleurs en grève qui ont perpétré les premières attaques, après que leur employeur les a remplacés par des amakwekwere – des étrangers, dans le langage de la rue. Des violences qui en rappellent d’autres, assez fréquentes : attaques contre les syndicalistes "briseurs de grèves" dans le secteur de mines ; assassinats de responsables politiques locaux commandités par des rivaux ; guerre sans merci – et souvent meurtrière – à laquelle se livrent les cartels de taxis collectifs pour le contrôle des clients des townships.
Dans un pays où l’économie stagne, où les inégalités se creusent et où les occasions de s’enrichir sont rares, la lutte pour le contrôle des richesses restantes fait rage. Résultat : ce sont les étrangers les plus vulnérables qui en paient le prix. Leur nombre, mal connu, oscillerait entre 2 et 5 millions, soit 3,7 % à 9,4 % de la population. Parmi eux, on compterait entre 500 000 et 1 million de sans-papiers.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, face à ce poison qui s’instille lentement dans le corps social, les autorités se montrent bien frileuses. Dans l’Afrique du Sud de Jacob Zuma, on peut entendre à la télévision, à une heure de grande écoute, Churchill Mrasi, le président du Forum des affaires du grand Soweto, affirmer que "l’attitude des Somaliens envers [le] peuple [sud-africain] est très mauvaise". Ou Lindiwe Zulu, la ministre du Développement des petites entreprises, déclarer tranquillement : "Les étrangers doivent comprendre qu’on leur fait une faveur en les accueillant et que notre priorité est de nous occuper de nos compatriotes."
Ces violences révèlent surtout un profond malaise social et l’incapacité du gouvernement de l’ANC à fournir des emplois et à assurer un meilleur avenir aux Sud-Africains. Aucun peuple, aussi généreux qu’aient été ses leaders charismatiques, n’est à l’abri de l’intolérance quand pointe le désespoir.
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