Burundi : élections générales, top départ

À quelques semaines des législatives, prélude à la présidentielle de juin, l’opposition, dans les starting-blocks, dénie au chef de l’État le droit de briguer un troisième mandat. Ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Le clash est-il évitable ?

Pierre Nkurunziza, en 2010 © Marc Hofer/AP/SIPA

Pierre Nkurunziza, en 2010 © Marc Hofer/AP/SIPA

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Publié le 20 avril 2015 Lecture : 6 minutes.

Cérémonie de danse rituelle au tambour royal du Burundi © Carl de Souza/AFP
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Burundi, le grand saut

Législatives, communales, présidentielle, sénatoriales, collinaires… Le pays va se lancer, fin mai, dans un marathon électoral qui s’achèvera en août. Et le climat est tendu.

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Comme tous les cinq ans, alors que se profilent les élections générales, et la présidentielle en particulier, le Burundi sort des coulisses où il est si souvent oublié pour revenir sur le devant de la scène et faire à nouveau parler de lui.

Pas toujours pour le meilleur. Après les accusations de fraude qui, en 2010, avaient provoqué le retrait de l’opposition du processus électoral, c’est la question de la constitutionnalité d’un éventuel troisième mandat de Pierre Nkurunziza qui, cette année, attise les tensions, y compris au sein du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti présidentiel.

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>> Lire aussi : Burundi – Pierre Nkurunziza : « Si on me le demande, je me représenterai » (2013)

Au coeur de ce débat qui divise le pays depuis des semaines, la volonté clairement affichée du chef de l’État de briguer un troisième quinquennat alors que, selon la loi fondamentale, son mandat n’est renouvelable qu’une fois. « Toute la difficulté est de savoir quel texte prime, entre l’accord d’Arusha, signé en 2000, et la Constitution burundaise, promulguée cinq ans plus tard », résume Didace Kiganahe, spécialiste en droit constitutionnel.

Le préambule de la Constitution semble pourtant indiquer l’ordre des priorités, puisqu’ »il réaffirme l’antériorité d’Arusha », comme le rappelle François Bizimana, le porte-parole du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), formation d’opposition issue d’une scission avec le parti présidentiel en 1998. Or, si l’accord d’Arusha indique que « le chef de l’État est élu pour un mandat renouvelable une fois », la Constitution de 2005 précise quant à elle, dans son article 96, que « le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois »…

Champion

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C’est sur cette nuance de taille – celle du suffrage « direct » – que surfe le camp Nkurunziza pour justifier la nouvelle candidature de son champion, aujourd’hui âgé de 51 ans. Puisqu’il a été élu en 2005 par le premier Parlement post-transition, le président estime n’être passé qu’une seule fois par le vote « direct » des électeurs, en 2010, et que rien ne peut donc légalement l’empêcher de se présenter à nouveau.

La polémique aurait pu être définitivement éteinte, en sa faveur, en mars 2014, lorsque le gouvernement a présenté un projet de révision constitutionnelle au Parlement. Mais l’amendement a été rejeté à une voix près, contraignant aujourd’hui le chef de l’État à tenter le passage en force. Et ce n’est pas la Cour constitutionnelle, qui n’a rien à lui refuser, qui devrait l’empêcher de se présenter au rendez-vous du 26 juin. Pierre Nkurunziza a pourtant multiplié les gestes de bonne volonté pour s’attirer la bienveillance de la communauté internationale, tout en cultivant une image de président rassembleur. En novembre 2014, le chef de l’État a fait le ménage dans son premier cercle de fidèles, afin de se débarrasser des personnalités les plus contestables et les plus critiquées. Quelques semaines plus tard, il a autorisé la mise en place – avec quatorze ans de retard sur le calendrier prévu par l’accord d’Arusha – de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), censée faire la lumière sur les massacres commis dans le pays de 1962 à 2008. Enfin, en demandant à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), fin décembre, de reprendre le processus d’enrôlement des électeurs, il a éteint le début d’incendie allumé par l’opposition qui criait à la falsification des listes. Une décision saluée par la communauté internationale et la société civile. Mais, depuis, un durcissement très net a été constaté, à mesure que se multiplient, dans le pays comme à l’étranger, les objections à sa troisième candidature.

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Infiltration de milices

Dans ce contexte, le 19 février marque un véritable tournant. En moins de vingt-quatre heures, Pierre Nkurunziza a dû faire face à l’une des plus importantes manifestations spontanées jamais vues dans le pays après la libération du journaliste Bob Rugurika, patron de la Radio publique africaine. Au même moment, il prenait connaissance d’une note interne du Service national des renseignements (SNR) aux conclusions alarmantes pour le régime et la stabilité du pays au cas où il briguerait un nouveau mandat.

Plus encore que le rejet d’un président qui refuse de partir, il semble que ce soit l’indigence généralisée de la population qui ait poussé les Burundais à manifester leur mécontentement.

Fou de rage, le chef de l’État a limogé sur-le-champ le général Godefroid Niyombare, patron du SNR, prenant le risque d’aggraver la fracture qui se fait jour au sein du CNDD-FDD. Depuis, le Burundi joue à se faire peur, et les pires rumeurs circulent à Bujumbura. On évoque le retour aux affaires des faucons du régime, ou bien l’infiltration de milices formées par le pouvoir en RD Congo pour venir semer le chaos.

La voie s’annonce beaucoup moins royale que prévu pour le président sortant, qui comptait sur un parti aux ordres, une opposition minée par les ambitions de ses chefs (dont certains sont toujours en exil, lire pp. 70-71) et une population tout entière acquise à son chef pour forcer la décision. Certes, Pierre Nkurunziza est toujours donné gagnant aux prochaines élections, mais l’ampleur du rassemblement populaire du 19 février semble dorénavant limiter sa marge de manoeuvre.

Et il aura beau organiser de grandes contre-manifestations « pour la paix » et en sa faveur, comme ce fut le cas le 28 février dans plusieurs villes du pays, la présence spontanée de quelques dizaines de milliers de Burundais dans les rues de la capitale a passablement écorné sa popularité.

Plus encore que le rejet d’un président qui refuse de partir, il semble que ce soit l’indigence généralisée de la population qui ait poussé les Burundais à manifester leur mécontentement. Le pays connaît pourtant une réelle reprise économique, mais son rythme est tellement lent qu’elle reste difficilement exploitable comme argument de campagne.

Et la croissance, si elle est bien au rendez-vous, est encore insuffisante pour permettre une élévation du niveau de vie de la population. Le gouvernement a fait beaucoup d’efforts ces dernières années, notamment dans l’accompagnement du secteur privé local et étranger, mais les incertitudes associées à cette période préélectorale risquent, encore une fois, de provoquer un gel des investissements, dont le pays a pourtant un besoin urgent.

Charlie, Bob et les autres

Fait unique dans la sous-région, une centaine de personnes ont défilé silencieusement le 11 janvier dans les rues de Bujumbura, jusqu’à l’ambassade de France. En hommage à Charlie Hebdo « et à la liberté d’expression », ajoute un journaliste qui, avec ses confrères, formait le gros du bataillon, en compagnie de quelques hommes politiques et de représentants de la société civile… mais pas du gouvernement.

Neuf jours plus tard, Bob Rugurika, directeur de la Radio publique africaine, l’un des plus importants médias privés du pays, est jeté en prison pour « complicité d’assassinat » après avoir interviewé un criminel qui reconnaissait avoir participé au meurtre de trois religieuses italiennes, en septembre 2014, pour le compte des services secrets.

Le journaliste a été mis en liberté provisoire et relâché le 19 février, de manière aussi arbitraire qu’il avait été incarcéré un mois plus tôt. Au Burundi, la presse est sous très haute surveillance et, comme à la veille de chaque scrutin présidentiel, les signes de reprise en main se sont multipliés ces derniers mois. « Chaque numéro est un peu une aventure », confie Antoine Kaburahe, directeur de l’hebdomadaire Iwacu, qui admet que les médias se heurtent à une « grande méfiance et à une hostilité certaine » du pouvoir.

« Avec le retrait de l’opposition du processus électoral, en 2010, la presse s’est retrouvée en première ligne », explique le responsable du principal journal indépendant du pays, qui peut compter sur le soutien des organismes de coopération suisse et néerlandais pour garantir sa liberté financière.

Pour survivre et conjurer les menaces récurrentes de l’État, les journaux locaux ont vite été obligés de se professionnaliser, de se structurer et surtout de se montrer « irréprochables et inattaquables sur les informations publiées », souligne Antoine Kaburahe. Tout en gardant une certaine liberté de ton. « Nous pouvons écrire des choses qui seraient tout simplement impossibles au Rwanda », sourit le patron d’Iwacu.

À condition de ne pas s’attaquer trop ouvertement aux caciques du parti au pouvoir. Comme l’a appris à ses dépens Rugurika.

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