Cambodge : 17 avril 1975, le cauchemar commence
Il y a tout juste quarante ans, Phnom Penh tombait entre les mains des soldats de Pol Pot et était aussitôt évacué par la force. Jusqu’en 1979, le régime khmer rouge allait faire 1,7 million de morts.
"Une image me revient sans cesse à l’esprit. Celle d’un tank suivi par plusieurs hommes tout de noir vêtus, avec un krama [écharpe traditionnelle] autour du cou." Quatre décennies plus tard, Chhun Sophea, 51 ans, se souvient parfaitement de cette terrible matinée du 17 avril 1975, à Phnom Penh, qui marqua la naissance du "Kampuchéa démocratique", nom dont les Khmers rouges, un groupe armé d’obédience maoïste, allaient affubler le Cambodge.
C’était l’épilogue dramatique d’une longue guerre civile commencée dès la fin des années 1960… En pleine guerre froide, ce conflit entre rebelles communistes et forces républicaines du général Lon Nol était le prolongement sur le sol cambodgien de la guerre qui, de l’autre côté de la frontière, opposait les Nord-Vietnamiens aux Américains. Les premiers, au nom de la "solidarité anti-impérialiste", soutenaient les Khmers rouges. Et les seconds, les forces gouvernementales.
Personne, en ce 17 avril, ne pouvait imaginer que le Cambodge s’apprêtait à vivre les heures les plus sombres de son histoire récente. Chhun Sophea avait 12 ans et appartenait à une famille de commerçants aisés. "Lorsque les Khmers rouges sont apparus, tout le monde les acclamait parce que ça signifiait la fin de la guerre, se rappelle-t-elle. Mais dès la fin de la matinée, ils nous ont ordonné de faire nos bagages et de déguerpir."
La totalité de la population de Phnom Penh et de toutes les villes du pays va ainsi être évacuée de force et conduite à la campagne afin de travailler la terre. Ce fut "l’année zéro" du calendrier khmer rouge, comme le raconta dans un livre, en 1977, le missionnaire français François Ponchaud. Ce prêtre catholique âgé à l’époque de 36 ans assista en première ligne à la chute de Phnom Penh, avant d’être expulsé, comme tous les étrangers.
Cambodge, année zéro est un document exceptionnel qui révéla aux yeux du monde la réalité du régime de Pol Pot, le chef des Khmers rouges. "Ce jour-là, vers 11 heures, raconte aujourd’hui le père Ponchaud, qui est retourné vivre à Phnom Penh, on a vu des malades et des blessés quitter les hôpitaux. Des gens qui n’avaient plus ni bras ni jambes se traîner comme des vers de terre sur la route. C’était affreux."
Les nouvelles autorités justifièrent l’évacuation de la capitale par l’imminence de bombardements de l’aviation américaine et promirent aux habitants qu’ils seraient vite de retour. Deux millions de personnes furent ainsi jetées sur les routes, sans considération pour leur âge, leur sexe ou leur état de santé. Plusieurs centaines de milliers d’entre elles moururent de faim, de maladie ou de fatigue, quand elles ne furent pas froidement exécutées.
Campagne
Pour le père Ponchaud, la crainte des bombardements américains, bien que plausible, ne fut pas la cause principale de cette meurtrière évacuation. "Pour les Khmers rouges, les villes ponctionnent toutes les richesses des paysans pour les revendre à l’extérieur, analyse-t-il dans son livre. Elles sont économiquement nuisibles au peuple khmer. Les habitants doivent donc retourner à la campagne afin de redevenir de véritables Khmers. Ça correspond bien à une analyse idéologique marxiste de la situation."
Les quatre années suivantes verront la mise en oeuvre de cette idéologie extrémiste, pour ne pas dire démente : abolition des traditions, de la monnaie et de la propriété privée ; "purification de la société" par l’élimination physique des artistes, des écrivains et des intellectuels… Saloth Sâr, alias Pol Pot, est mort en 1998.
Mais, l’an dernier, un tribunal de droit cambodgien parrainé par les Nations unies a reconnu Nuon Chea et Khieu Samphan, respectivement idéologue du régime et chef de l’État du Kampuchéa démocratique (ils sont aujourd’hui octogénaires), coupables de crimes contre l’humanité pour leur rôle dans l’évacuation des villes. Les deux hommes doivent encore répondre de l’accusation de génocide.
Entre 1975 et 1979, 1,7 million de Cambodgiens – soit 25 % de la population du pays – ont payé de leur vie la folie khmère rouge.
>> À lire aussi : le docteur-la-mort, l’aiguille et le sida
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