Brésil : les narcos contre-attaquent

La pacification des favelas engagée en 2008 dans la perspective de la Coupe du monde de football et des Jeux olympiques était censée redorer l’image de Rio. Bilan ? Mitigé et fragile.

Des policiers militaires patrouillent dans une rue de la favela Nueva Holanda, dans le complexe de l © Christophe Simon/AFP

Des policiers militaires patrouillent dans une rue de la favela Nueva Holanda, dans le complexe de l © Christophe Simon/AFP

Publié le 16 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

Le visage baigné de larmes, Teresa apostrophe les policiers militaires : "Vous êtes des assassins et des lâches, vous avez tué mon garçon !" La pauvre femme est à bout de nerfs.

Sur les images de la télévision, on la voit au premier rang d’une "marche blanche" organisée par les habitants des favelas pour dénoncer la violence policière et rendre hommage à son fils, Eduardo, 10 ans, tué d’une balle dans la tête. Les policiers prétendent que le garçonnet, qui se tenait sur le pas de sa porte alors qu’une fusillade venait d’éclater avec des trafiquants, a été touché par une balle perdue.

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Une version formellement contestée par sa mère, qui jure n’avoir entendu qu’un seul tir. Ce drame n’est en rien un cas isolé. Le même jour et dans le même bidonville, une femme de 41 ans a été tuée par balle dans son salon alors qu’elle regardait la télévision. En vingt-quatre heures, quatre personnes ont perdu la vie lors d’échanges de tirs – ou présumés tels – entre policiers et trafiquants.

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Il ne se passe pas un mois sans que de nouvelles exactions soient dénoncées pas les habitants. On avait pourtant cru comprendre que l’Alemão, un ensemble de douze favelas où vivent près de 70 000 personnes, avait été pacifié en 2009 ! Personne n’a oublié les images des blindés pénétrant dans le bidonville. Ni les affrontements qui s’ensuivirent avec les narcotrafiquants. Peu à peu, grâce à la création d’une Unité de police pacificatrice (UPP) – sorte de police de proximité -, l’État avait repris le contrôle du territoire. Du moins le croyait-on.

La trêve est terminée

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Six ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence : la trêve est terminée. Et les narcos ont entrepris de reconquérir les positions perdues. Président de l’ONG Rio de Paz, Antônio Carlos juge sévèrement cette politique de pacification : "Bien sûr, dit-il, il faut coûte que coûte empêcher que des territoires entiers soient contrôlés par des trafiquants, mais croire qu’il est possible de régler le problème uniquement en accroissant les effectifs de la police, c’est se bercer d’illusions. Ce dont les gens ont besoin, c’est de bonnes écoles, d’un système de santé efficace et de programmes sociaux. Rio ne vivra jamais dans la paix tant que les inégalités seront aussi criantes."

Il est indéniable que le nombre des homicides a sensiblement baissé, mais à quel prix ! Entre 2001 et 2011, dans le seul État de Rio, plus de 10 000 personnes sont tombées sous les balles de la police militaire. Les chants qui rythment les entraînements de ces troupes d’élite en disent long sur leur philosophie.

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Plaintes et applaudissements

Morceau choisi : "Mener un interrogatoire, c’est facile : il suffit de prendre un favelado et de le frapper longtemps. Terminer un interrogatoire, c’est tout aussi facile : il suffit de prendre un favelado et de le frapper jusqu’à la mort." Ces pratiques sont régulièrement dénoncées par Amnesty International. En pure perte. Les policiers sont rarement inquiétés puisque seulement 5 % des plaintes aboutissent. Leur action est même souvent applaudie par les médias et l’opinion.

Dans un communiqué, la présidente, Dilma Rousseff, a manifesté sa "solidarité" avec les parents d’Eduardo, demandé que toute la lumière soit faite sur les circonstances de ce drame et exigé que "les responsables soient jugés et punis".

Mais Antônio Carlos reste sceptique. "S’il n’y a pas de réveil de la classe moyenne, la situation ne s’arrangera pas. Si ce garçon avait été tué à Copacabana, cela aurait changé la donne. Mais il était pauvre, noir et vivait dans une favela. Pour beaucoup de Brésiliens, sa vie n’a strictement aucune valeur." 

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