Côte d’Ivoire : Soro, l’homme pressé… d’être en 2020
Le pays a les yeux tournés vers la présidentielle d’octobre mais, lui, c’est 2020 qui l’intéresse. Le président de l’Assemblée communique à tout-va, soigne son image et ses réseaux. Mais à Abidjan, les ambitieux sont nombreux et la bataille pour la succession de Ouattara s’annonce serrée.
De la vie dans la clandestinité, ils ont gardé des réflexes bien visibles. Changer à la dernière minute le lieu d’un rendez-vous. Fermer méticuleusement les portes. Toujours entourer le "patron"…
Guillaume Kigbafori Soro a beau occuper des fonctions officielles depuis plus de huit ans et se rêver un destin présidentiel en 2020, les nombreux conseillers, assistants et gardes du corps qui l’accompagnent se comportent comme s’il dirigeait encore la rébellion. L’intéressé juge lui-même le dispositif nécessaire : "Question de sécurité, dit-il. On ne sait jamais."
Guillaume Soro, bientôt 43 ans, a choisi de nous recevoir non pas à l’Assemblée nationale (qu’il dirige depuis 2012), mais dans ses bureaux sans charme du quartier Riviera Golf de Cocody (une commune d’Abidjan) qui jouxtent l’ambassade des États-Unis. "C’est là qu’il vient quand il veut être tranquille", nous précise-t-on. Costume croisé bleu marine, il affiche un sourire poli.
Cela fait longtemps qu’il place ses hommes dans toutes les institutions, les partis et les mouvements de jeunes. Il pense et calcule son destin depuis près de vingt ans, analyse un observateur.
D’entrée de jeu, il insiste sur le fait qu’il essaie de "remplir au mieux [son] rôle de président de l’Assemblée" et qu’il est aujourd’hui "épanoui". Comme pour mieux faire oublier ses années dans le maquis et se défaire de cette image de jeune loup aux dents trop longues qui lui colle à la peau. Lui l’enfant de Ferkessédougou devenu secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) à l’âge de 23 ans, chef rebelle à 30, ministre d’État à 31 et Premier ministre à 34 n’aime pas qu’on lui rappelle qu’il a brûlé les étapes.
"Qu’ai-je fait pour que l’on me traite d’ambitieux ? interroge-t-il. Fin 2010, après le second tour de la présidentielle [il était à l’époque Premier ministre et patron des Forces nouvelles], j’ai eu la possibilité de passer un accord avec Laurent Gbagbo. J’aurais pu remporter la mise. L’ai-je fait ?"
En fait, nous explique-t-il, ce qu’il n’aime pas c’est qu’on l’accuse d’être "un ambitieux impatient" : "J’ai toujours dit qu’il fallait y aller progressivement." "Guillaume Soro a l’intelligence de ne pas se presser, analyse un observateur aguerri de la vie politique ivoirienne. Cela fait longtemps qu’il place ses hommes dans toutes les institutions, les partis et les mouvements de jeunes. Il pense et calcule son destin depuis près de vingt ans."
Pas de vagues
Depuis qu’il est au perchoir (poste qui lui confère le statut de dauphin constitutionnel en cas de vacance du pouvoir), il prend soin de ne pas faire de vagues – encore ce souci de la "normalité". De fait, jusqu’ici, il n’a pas commis de réel faux pas. Méfiant à l’égard des journalistes, il donne peu d’interviews mais communique beaucoup. Ce jour-là, il évoque longuement la réhabilitation des locaux de l’Assemblée, l’amélioration des conditions de travail de tous ceux qui s’y côtoient ("du député au balayeur"), la mise en place d’un système de primes…
Et ne le titillez surtout pas sur le rôle limité du pouvoir législatif dans un pays au régime très présidentiel ou sur la représentativité d’une Assemblée boycottée par le principal parti d’opposition, le Front populaire ivoirien (FPI). Guillaume Soro vous opposera immédiatement le nombre inédit de lois votées sous sa présidence (78) et "le retour de la Côte d’Ivoire sur la scène parlementaire internationale".
"Nous nous sommes rendus sur tous les continents pour nouer des partenariats." Et c’est vrai qu’il voyage beaucoup, Guillaume Soro. Rien qu’en 2014, il s’est rendu au Maroc, en Tunisie, en Iran, au Togo, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Canada, en Turquie et aux Comores. Sans compter des "missions de médiation" (les termes sont ceux de son cabinet) au Burkina et en Égypte. Une aubaine pour qui, comme lui, a deux obsessions : faire en sorte que les dirigeants étrangers ne voient plus seulement en lui l’ancien chef rebelle et étoffer son réseau à l’international.
Occuper l’espace
Longtemps, Blaise Compaoré a été son "parrain". Aujourd’hui, c’est lui qui lui rend visite à Abidjan, où l’ancien président burkinabè s’est installé. Soro n’a pas non plus rompu les liens avec le Mauritanien Moustapha Chafi, l’ex-conseiller de l’ombre de Blaise qui, pendant des années, l’a épaulé et qui séjourne encore fréquemment sur les bords de la lagune Ébrié. Il est aussi très lié au président togolais, Faure Gnassingbé, qui lui donne du "mon frère", et au Congolais Denis Sassou Nguesso, dont il connaissait la fille (il avait rencontré Édith-Lucie à Libreville, par l’intermédiaire de son mari, le président Omar Bongo Ondimba, croisé en 2003 à l’époque des pourparlers de Marcoussis).
Soro n’est pas aussi introduit auprès de l’actuel président du Gabon, mais côtoie Teodoro Nguema Obiang Mangue, le fils du chef de l’État équato-guinéen. On a vu les deux hommes prendre la pose lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN), en début d’année, à Malabo.
Une relation que ses conseillers, bien conscients de la réputation très sulfureuse du fils Obiang, tentent de minimiser. "L’essentiel, c’est de renouer des liens avec un pays longtemps allié à Gbagbo", justifient-ils.
Son but ? Prendre la présidence du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara.
Mais Soro n’empiète-t-il pas sur un terrain qui n’est pas le sien en se montrant si actif à l’international ? "Il est vrai qu’il voyage et reçoit beaucoup, concède l’un de ses proches. Mais il fait attention à ne pas trop en faire. La politique étrangère reste le domaine réservé de la présidence. Tout cela lui permet surtout d’occuper l’espace médiatique."
Occuper l’espace… Là est sans doute la clé pour quelqu’un qui, même s’il confie qu’il briguera un nouveau mandat de député dans son fief de Ferkessédougou aux législatives de 2016 et qu’il tentera de se faire réélire à la présidence de l’Assemblée, peine à dissimuler ses ambitions. Lui, ce n’est pas la présidentielle du mois d’octobre qui le préoccupe, mais celle d’après, et sa stratégie de sage dauphin semble déjà avoir amorcé un virage important.
Son but ? Prendre la présidence du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Il ne le dit pas, mais l’un de ses conseillers s’en charge : "On a gentiment fait notre petit bonhomme de chemin jusque-là, mais il faut passer à la vitesse supérieure. Soro le sait : il doit prendre le parti." Rien de moins. "De toute façon, ajoute la même source, c’est le deal qui a été conclu avec le président Ouattara au lendemain de son élection : Soro cède la primature, récupère en échange le statut de dauphin et, surtout, le RDR, indispensable s’il veut un jour conquérir le pouvoir."
Depuis plusieurs mois, comme pour monter en pression, Soro revendique son lien avec le parti au pouvoir, auquel il a fini par adhérer officiellement. Quand a-t-il pris sa carte ? Il ne le dit pas, mais affirme que "tout est réglé" : "Je cotise même !" En septembre 2014, il a apporté son soutien à "l’appel de Daoukro", par lequel l’ancien président Henri Konan Bédié a appelé à soutenir la candidature de Ouattara en octobre. Et en mars, pour la première fois, il a assisté à l’une des grand-messes du RDR – son troisième congrès extraordinaire.
Ce jour-là, vêtu d’une chemise en pagne à l’effigie du parti, on l’a vu patienter de longues heures au côté du frère cadet du président, Birahima Téné Ouattara, tandis que le RDR faisait officiellement de Ouattara son candidat.
Rivaux
Mais que fait Soro, un homme qui se revendique de gauche et qui, dans sa jeunesse, portait une barbichette en hommage à Lénine, au sein d’un parti libéral comme le RDR ? L’intéressé n’est pas à une contradiction près. "Le RDR applique une politique à la fois libérale et interventionniste, explique-t-il. Le capitalisme et le socialisme sont deux idéologies qui se sont rapprochées partout dans le monde.
Le 22 mars, lors du congrès du parti au pouvoir, à Abidjan. Crédit : Sia Kambou/AFP
Il n’y a pas d’incompatibilité fondamentale." Quelquesjours après le congrès de mars, il participait à un meeting et déclarait : "J’étais allé en mission me battre, j’étais allé au front […]. Maintenant que la Côte d’Ivoire a renoué avec la paix, je reprends ma place au RDR." "Pour Soro comme pour tant d’entre nous, commente un ancien cadre de la rébellion, il s’agit d’un retour au bercail.
Même si certains ont choisi de défendre nos idéaux par les armes, nous avons toujours appartenu à une seule et même famille." Sauf que tout le monde ne l’accueillera pas à bras ouverts. Lors du congrès de mars, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu pour Soro. Petites frictions entre son protocole et celui du parti, quelques militants qui refusent ostensiblement de l’acclamer lors de son arrivée…
L’ancien chef rebelle a même été placé à l’extrémité du premier rang quand les barons du parti siégeaient, eux, bien au centre et bien visibles. La greffe entre anciens rebelles et caciques du RDR prend du temps. Et pour cause : les historiques du parti considèrent que Soro a certes été indispensable pour conquérir le pouvoir, mais qu’il n’en reste pas moins "le dernier arrivé" – l’expression est celle d’un cadre du RDR.
Celui qui, comme les autres, doit faire ses classes et attendre son tour. D’autant plus que les ambitieux ne manquent pas en interne. Parmi eux, Hamed Bakayoko, 50 ans. Ministre de l’Intérieur depuis la fin de 2010, il a tissé des liens solides dans la police, la gendarmerie et l’armée, et rares sont les dossiers sensibles qui ne lui sont pas passés entre les mains. Devenu un incontournable du système Ouattara, le "premier flic de Côte d’Ivoire" voit lui aussi plus loin que l’élection de 2015.
Il sera, pour Guillaume Soro, un adversaire de taille (leur rivalité n’est d’ailleurs un secret pour personne ; il y a quelques mois, le chef de l’État s’est même agacé du fait qu’elle apparaisse au grand jour). Peut-être faudra-t-il aussi compter avec le discret – mais constant – Amadou Gon Coulibaly, le secrétaire général à la présidence, auquel d’aucuns prêtent, à Abidjan, des ambitions en dépit de sa santé fragile.
Soro pourrait-il s’effacer pour n’être qu’un baron comme les autres ? Pourrait-il renoncer à se présenter dans cinq ans ? N’oublie-t-il pas que l’appel de Daoukro prévoit une alternance entre le parti de Ouattara et celui de Bédié ? "2020, c’est tellement loin, élude-t-il. En un an à peine, la configuration de tout un pays peut changer. En politique, rien n’est jamais acquis." Mais pour ses proches, qui assurent qu’il sera bientôt nommé directeur de campagne du chef de l’État sortant et que cela équivaut à un adoubement, la question ne se pose même pas.
En attendant, Guillaume Soro lit (Les Mémoires de Lee Kuan Yew, le père fondateur de Singapour, décédé en mars), écrit (une suite à son premier livre, Pourquoi je suis devenu rebelle, paru en 2005) et twitte. "Je le fais très souvent moi-même", assure-t-il. Soro est aussi présent sur Facebook, Instagram et YouTube, il a un site internet et une web TV (GKS TV)… Pas moins de douze personnes sont chargées d’animer sa communication de président de l’Assemblée.
Toujours à l’affût du moindre "bad buzz", elles abreuvent le web d’informations en tous genres. Ses déplacements, ses décisions ou ses simples avis y sont relayés et commentés. "Internet est un formidable moyen de communiquer directement avec les gens, les jeunes surtout, et d’être au courant d’événements ou de phénomènes dont vos conseillers ne vous parlent jamais."
Un formidable moyen aussi de convaincre de futurs électeurs.
Le maquis ? C’est du passé…
S’éloigner de ce passé militaire qui a fait sa force pour acquérir un leadership politique "normal"… Telle est la stratégie de Guillaume Soro. Mais peut-être n’a-t-il pas beaucoup le choix, font valoir des observateurs de la vie politique ivoirienne. En effet, son influence sur les anciens chefs de guerre de la rébellion n’est plus ce qu’elle était, et le président de l’Assemblée nationale est contraint de s’adapter à cette nouvelle donne. "Le système des comzones a été affaibli, commente une source proche de la présidence. Le temps fait petit à petit son oeuvre, la normalisation de la vie politique et les programmes de désarmement aussi." Surtout, certains comzones réputés proches de lui ont été tenus à l’écart des véritables postes décisionnels au sein de l’armée, quand ils n’ont pas tout simplement été éloignés d’Abidjan (c’est le cas d’Issiaka Ouattara, dit Wattao, qui a habilement été envoyé suivre un stage de formation au Maroc fin septembre 2014). Enfin, il y a tous ces ex-combattants, moins gradés, qui reprochent à Soro une réussite un peu trop solitaire ou qui n’ont pas pu être reconvertis dans l’armée ni bénéficier des programmes de réinsertion.
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