Deux bonnes nouvelles

ProfilAuteur_BBY
  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 16 avril 2015 Lecture : 5 minutes.

Ce mois d’avril commence bien : dès ses premiers jours, l’Afrique et le reste du monde ont reçu comme un cadeau, simultanément, deux très bonnes nouvelles qui ont mis du baume au coeur à la plupart d’entre nous.

La presse du monde entier, y compris Jeune Afrique, les a commentées et a souligné que leurs effets bénéfiques promettaient d’être durables.

la suite après cette publicité

Je pense qu’il est utile d’en parler encore et voudrais ajouter mon grain de sel à ce qui a été dit ou écrit.

*

I. Alternance à la nigériane

Nous avons d’abord appris que le Nigeria – 174 millions d’habitants, soit plus de 15 % des Africains ; 500 milliards de dollars de revenu national annuel, soit près du quart de celui du continent ; et quelque 70 millions d’électeurs, soit la population totale de l’Algérie et du Maroc réunis – avait réussi haut la main le test d’une élection présidentielle porteuse de tous les dangers.

la suite après cette publicité

Goodluck Jonathan, président en exercice, se représentait sous la bannière d’un parti qui trustait le pouvoir depuis seize ans. Il a été nettement battu par l’ex-général Muhammadu Buhari – 54 % contre 45 % – et a reconnu rapidement sa défaite, acceptant ainsi de bonne grâce l’alternance démocratique.

Musulmans du Nord et chrétiens du Sud ont mêlé leurs votes pour obtenir cette alternance, la première de l’histoire agitée de ce pays, connu jusque-là pour ses coups d’État à répétition (six en cinquante ans).

la suite après cette publicité

Je vous laisse imaginer les effets de ce tsunami politique sur un continent où un Robert Mugabe, 91 ans, refuse de laisser à de plus jeunes un pouvoir qu’il détient depuis trente-cinq ans.

*

Le Nigeria avait grand besoin de ce changement radical de son pouvoir exécutif, car la situation sociale et économique de ses habitants est des plus préoccupantes : la pauvreté extrême, moins de 2 dollars par jour de revenu, est le lot de plus de la moitié de la population, tandis que le chômage frappe officiellement le quart de la population active et que les inégalités sont criantes.

La croissance économique, de l’ordre de 7 % par an en 2013, a chuté en 2014 et baissera encore en 2015, sous l’effet de l’effondrement du prix et de la mévente des hydrocarbures, lesquels contribuent au PIB à hauteur de 15 %, représentent 70 % des recettes budgétaires et 90 % des rentrées en devises du pays. L’équipe de l’ex-général Buhari commencera à exercer le pouvoir en juin prochain. Il lui reviendra de ne pas décevoir l’espoir que l’alternance a fait naître dans le coeur des Nigérians, de tous les Africains et du reste du monde.

Son chef, l’ex-général Buhari, né le 17 décembre 1942, accède à la présidence à 72 ans, avec une réputation établie d’ascétisme, d’intégrité et d’autorité. Il a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et a déclaré : "Je ferai ce qui est en mon pouvoir pour rebâtir mon pays sur des bases solides. S’il faut quatre années de plus et que les Nigérians (et mon parti) me le demandent, je resterai quatre années de plus."

On lui souhaite bon vent.

*

La Cedeao, dont le Nigeria est le leader naturel et la Côte d’Ivoire "l’autre grand", se voit revigorée par la promesse d’un "renouveau nigérian". Attendons-nous donc à la voir reprendre des couleurs.

Gageons aussi que la lutte contre Boko Haram et les autres groupes terroristes de la région sera plus efficace. Et prions pour que les fruits tiennent la promesse des fleurs.

*

II. Polygamie à l’américaine

C’est depuis l’Hôtel Beau Rivage de Lausanne, où ils s’épuisaient depuis plusieurs jours et plusieurs nuits à en négocier les grandes lignes, que les ministres des Affaires étrangères des six* et leur homologue iranien ont informé le monde, ce 2 avril, qu’ils étaient enfin parvenus à un accord.

Nous attendions cette "fumée blanche", et il nous a été précisé que ce qui avait été conclu était un accord d’étape dont les clauses restaient à rédiger et le seraient, si tout va bien, pour le 30 juin.

"Il y a encore du travail", a souligné un négociateur ; il aurait pu ajouter : "Les ennemis de l’accord ont un vaste champ d’action et cent jours pour le saboter."

*

Quelle est la signification de cet accord pour ceux qui l’ont négocié ?

"Les six", et à leur tête les États-Unis, ont compris, par l’exemple de la Corée du Nord et du Pakistan, qu’on ne peut pas empêcher par le bâton un assez grand pays qui le veut vraiment, y met le temps et le prix, de devenir une puissance nucléaire militaire. Il convient donc de persuader ses dirigeants – par la carotte – qu’il existe pour eux un autre chemin. "Tout vaut mieux, a dit Obama, que de voir un pays comme la Corée du Nord accéder à l’arme nucléaire. Cela mérite de prendre quelques risques."

Quant à l’Iran, ses électeurs ont installé au pouvoir, il y a deux ans, des dirigeants qui pensent que leur pays a plus à gagner à coopérer avec les États-Unis et l’Occident qu’à s’en isoler ou à les combattre. Ces deux postulats ont servi de levier pour conduire à l’accord d’étape du 2 avril.

*

Au Moyen-Orient, Israël, et plus particulièrement son Premier ministre, ainsi que l’Arabie saoudite et son roi s’opposent vigoureusement à cet accord.

Non pas parce qu’il permettrait à l’Iran d’acquérir la bombe : ils savent que si Téhéran signe un tel accord, c’est parce qu’il y aura renoncé pour au moins dix ans.

Israël et l’Arabie saoudite combattent, en réalité, ce qu’on a appelé la doctrine Obama et récusent avec une extrême violence son auteur.

*

Le péché d’Obama ? Il a osé sortir l’Iran de "l’axe du mal" où l’avait placé son prédécesseur, et va cesser de le traiter en ennemi pour en faire d’abord un partenaire puis un ami.

Le président américain reconnaît que cette tentative lui fait "prendre quelques risques".

C’est la perspective d’un Iran érigé en partenaire des États-Unis qui rend littéralement fous de rage – et de jalousie – les deux alliés traditionnels de l’Amérique au Moyen-Orient. Ils appréhendent de voir diminuer leur rôle, leur importance et les avantages qu’ils tiraient de leur ancienne "exclusivité".

Au Moyen-Orient, la "doctrine Obama" est en train de faire des États-Unis une "puissance polygame". Et les prochains mois nous montreront qu’elle se heurte au refus qu’oppose à ce changement l’étrange alliance de leur première femme – l’Arabie saoudite – et de leur maîtresse, Israël. 

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires