Chaos libyen, crises, euros et météo : pourquoi l’immigration en Méditerranée est devenue un drame global
Le nombre de migrants qui seraient morts en Méditerranée pourrait avoisiner les 2 000 sur les quatre premiers mois de l’année 2015. Soit environ 30 fois plus que durant la même période en 2014.
La situation est-elle pire qu’en 2014 ?
OUI. L’année en cours est plus meurtrière que la précédente. Selon un communiqué de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), publié le 17 avril, plus de 900 décès avaient déjà été comptabilisés en 2015. En quatre jours, ce chiffre pourrait avoir doublé. Quelque 800 personnes sont décédées dans la nuit du 18 au 19 avril et environ 300 autres, au minimum, sont actuellement en situation de grande détresse en pleine mer.
>> Lire aussi : "Cécile Kyenge : "L’Europe a besoin d’ouvrir davantage ses frontières""
Ce qui porte d’ores et déjà le bilan à 1 750 morts. Soit plus de trente fois plus qu’il y a un an sur la même période (56 décès, selon l’OIM).
Fin avril, plus de 2 000 migrants auront perdu la vie en 2015.
Alors que le nombre d’embarcations tentant l’aventure depuis la Libye semble en augmentation, en raison d’une météo clémente ce printemps, le nombre de migrants arrivant à destination n’a pas explosé entre 2014 et 2015 et reste aux alentours de 20 000 pour les quatre premiers mois de l’année. Les pays de provenance principaux restent également les mêmes.
La crise en Libye, première responsable ?
OUI. Si les situations en Érythrée, en Éthiopie, en Somalie et en Syrie ne se sont pas améliorées en 2015, c’est surtout vers la Libye que les regards se tournent actuellement. L’instabilité politique a rendu la situation des migrants encore plus précaire, mais facilite paradoxalement les passages. En 2014, selon les organisations internationales, plus de 170 000 migrants ont emprunté la route de la Libye ou de la Tunisie pour gagner l’Europe. Contre environ 8000 pour le passage occidental par le Maroc.
Dans la région de la Tripolitaine, on dénombre au minimum six points de départ réguliers où attendent des milliers de migrants pendant plusieurs semaines (Misrata, Zouara, Tripoli, Al Khoms, Zaouïa, Sabratha). Beaucoup d’entre eux ont suivi les routes du Sahara mais depuis plusieurs mois, la situation chaotique du pays engendre un autre phénomène : l’exil de migrants qui s’étaient installés de manière permanente mais qui ont décidé de quitter le sol libyen.
Selon les autorités de la région, environ 300 à 700 personnes tentent le passage chaque jour. Dix à quinze embarcations prendraient chaque jour le départ. Et pour cause : les 600 kilomètres de côtes de la Tripolitaine ne sont surveillés que par deux vedettes des autorités.
De plus, alors que quelques 20 000 migrants auraient été arrêtés avant la traversée depuis le début de l’année, le système de rapatriement est grippé. Les ambassades étrangères censées coopérer dans ce domaine se sont en effet délocalisées à Tunis par souci de sécurité et les demandes des autorités libyennes prennent du retard. Voire n’aboutissent jamais. Pendant ce temps, les centres d’accueil ont dépassé depuis longtemps leur capacité.
Les États sont-ils de taille à lutter contre les réseaux de passeurs ?
NON. Lors d’une émission télévisée, dimanche 19 avril, le président français, François Hollande, s’est attaqué aux réseaux de passeurs. Difficile de le contredire. Force est de constater que ces mafias sont puissantes.
L’un des derniers épisodes en date s’est déroulé lundi 13 avril, à 50 milles marins des côtes libyennes. Alors que le remorqueur italien Asso-21 procède au transbordement de 250 immigrés récupérés sur un vieux chalutier, il est attaqué par une vedette rapide : un réseau de passeurs est venu récupérer le bateau décrépi afin de le remettre en circulation.
Depuis 2009, près de 40 000 passeurs ont été arrêtés mais les effets ne se font pas sentir.
De l’avis de nombreux observateurs, les réseaux font preuve d’une agressivité inédite et s’arment chaque jour davantage. Le risque de collusion avec des réseaux jihadistes présents dans la région est un facteur aggravant.
Depuis 2009, près de 40 000 passeurs ont été arrêtés par les autorités européennes dans le cadre de l’agence Frontex mais les effets ne se font pas sentir. La situation risque même d’empirer : alors que, dans le cadre de l’opération Mare Nostrum, aujourd’hui terminée, la marine italienne a traqué les trafiquants jusqu’aux côtes libyennes, elle n’en a aujourd’hui plus les moyens et la collaboration transfrontalière n’est qu’un mirage.
L’Europe démissionnaire ?
OUI. En réaction aux naufrages récents, la Commission européenne a présenté lundi 20 avril des propositions d’actions qui seront discutées lors d’un sommet extraordinaire des chefs d’État, prévu jeudi à Bruxelles. Objectif : lutter contre le trafic de migrants et empêcher les candidats à l’immigration de risquer leur vie en traversant la Méditerranée. Parmi les propositions figurent notamment le renforcement du champ d’action du plan Triton, la confiscation et la destruction des embarcations de passage ou encore une coopération accrue avec les pays de passage non-européens.
Il faut dire que la fin récente de Mare Mostrum a considérablement diminué les moyens de l’Europe dans ce dossier. "Le projet Mare Nostrum, qui avait permis de sauver en mer environ 170 000 migrants, avait été mis en place par la seule Italie pour 9 millions d’euros par mois. Depuis le 1er novembre 2014, il a été remplacé par le programme européen Triton, qui n’investit que 3 millions d’euros, alors que 19 pays y participent", déplorait ainsi Cécile Kyenge, députée européenne et ancienne ministre de l’Intégration italienne, dans un entretien à Jeune Afrique en janvier dernier.
Le budget du programme européen Triton est trois fois inférieur à celui de l’opération italienne Mare Nostrum.
Si l’agence Frontex a obtenu de Bruxelles une rallonge de 106 millions en 2015, cette somme reste en priorité destinée à la surveillance et non au sauvetage.
Les capacités italiennes sont dépassées alors que la marine transalpine, dans le seul premier week-end du mois d’avril, a annoncé avoir eu à secourir 2 000 rescapés, dans le Canal de Sicile. Il n’est aujourd’hui pas rare de voir les garde-côtes italiens réquisitionner les navires marchands pour secourir les embarcations de fortune. De nombreux ports italiens se sont également transformés en plateforme d’accueil des migrants sauvés : Lampedusa, Augusta, Trapani, Messine, Porto Empedocle, Agrigente (Sicile), Reggio Calabria (Calabre) et Taranto (Pouilles).
Le ministère de l’Intérieur a même envoyé une circulaire à tous les préfets du pays pour équilibrer la répartition des migrants, pour le moment concentrés en Sicile et dans le Latium. Quelque 87 000 migrants seraient actuellement hébergés en centre d’accueil en Italie, dont 14 000 mineurs, selon les autorités italiennes.
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