Régulation financière : et si l’État jouait (enfin) son rôle…

Conscients de l’absence des banques privées dans certains domaines d’activité, les gouvernements africains amorcent un peu partout leur retour dans le secteur financier. Attention danger !

La Société tunisienne de banque, publique, a soutenu à bout de bras des secteurs d’activité risqués (tourisme, habitat, agriculture). Elle est aujourd’hui en grande difficulté. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

La Société tunisienne de banque, publique, a soutenu à bout de bras des secteurs d’activité risqués (tourisme, habitat, agriculture). Elle est aujourd’hui en grande difficulté. © Nicolas Fauqué/www.imagesdetunisie.com

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 4 janvier 2013 Lecture : 6 minutes.

Les États africains veulent prendre les choses en main. De Tunis à Yaoundé, en passant par Alger et Dakar, les décideurs politiques ont sonné le grand retour des États dans le monde de la finance. Donnant un drôle d’écho à des États européens qui se débattent dans une crise largement créée et alimentée par les comportements spéculatifs des banques occidentales. Mais en Afrique, le credo des pouvoirs en place est tout autre : pas question de mettre un terme à des activités spéculatives qui, de toute façon, existent à peine… Il s’agit surtout de permettre – ou d’imposer, selon les points de vue – aux banques africaines de participer davantage au développement.

Certes, entre une Algérie qui n’a toujours pas laissé la main sur le secteur bancaire national et un Maroc largement libéralisé, entre une Côte d’Ivoire qui veut recréer un grand pôle bancaire public et un Cameroun qui grimpe petit à petit au capital des banques privées locales, la gamme des stratégies déployées est large. « Jusqu’à présent, nous avions des banques publiques qui jouaient le rôle de banques commerciales classiques, souligne un conseiller du gouvernement ivoirien. Mais cela ne sert pas à grand-chose, et les banques privées sont en général meilleures à ce jeu-là et plus efficaces. »

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Cliquez sur l'image.Tentation

Cette opinion est-elle partagée ? Si les États africains ont généralement tiré les leçons des drames des années 1980 et du début des années 1990, avec leur lot de faillites d’institutions publiques, la tentation reste grande de vouloir se substituer aux banques privées. L’objectif de l’État est de pallier les insuffisances, souvent bien réelles, de ces dernières dans plusieurs domaines. Ainsi, les questions du financement des PME ou de l’accès au logement restent les plus critiques, car elles ont de lourdes conséquences en matière de développement. Le financement des agriculteurs est un autre souci. Consciente de ces insuffisances, la profession financière estime que les choses changent peu à peu. Ce qu’elle craint est clair : un retour de l’État et de ses mauvaises pratiques en termes de gestion dans le tissu financier.

Le cas camerounais en est une parfaite illustration. Sorti du secteur bancaire au début des années 1990, après la banqueroute de plusieurs institutions, l’État a montré ces dernières années son intention de s’y impliquer à nouveau, au grand dam du Fonds monétaire international (FMI). La première velléité est venue à la suite du désengagement du français Crédit agricole du capital de SCB-Cameroun. L’opération, annoncée sans en informer au préalable les autorités politiques camerounaises, a suscité aussitôt une levée de boucliers. Avant de faire naître d’autres ambitions. « L’État s’est ensuite appliqué à demander au repreneur, Attijariwafa Bank, de lui permettre de monter sa participation au capital », souligne un proche du dossier. Le Cameroun a au final obtenu 49 % des parts, après de très longues négociations… Dorénavant, le pays souhaite poursuivre sa politique de renforcement dans le secteur bancaire, avec la création de deux banques étatiques : une pour le financement de l’agriculture et une autre pour les PME. Annoncé début 2011, le projet est depuis en attente mais pourrait aboutir fin 2012.

« Si la stratégie des États est de créer des banques étatiques, ils en font trop. Car bien souvent, leurs créations se retrouvent peu à peu à faire la même chose que les banques privées », souligne Paul Derreumaux, économiste et fondateur du groupe Bank of Africa. Le cas de la Banque régionale de solidarité (BRS), devenue, loin de ses ambitions initiales de bancariser le plus grand nombre, un groupe ouest-africain comme un autre, illustre ce phénomène. Mal géré et concurrent des banques privées, BRS en est aujourd’hui à se chercher une raison d’être et un nouvel actionnaire, non public.

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En Côte d’Ivoire, cette crainte d’une mainmise publique créant plus de problèmes qu’elle n’en résout a largement alimenté la réflexion de l’exécutif depuis le milieu de l’année 2011. Avec une question lancinante : que faire d’un pôle bancaire public national sans réelle cohérence et en piteux état, rassemblant de grandes institutions comme la Banque nationale d’investissement (BNI) et la Caisse nationale de crédit et d’épargne (CNCE), et d’autres en difficulté (et pas toujours stratégiques) comme Versus Bank ? Mi-2012, la réponse était en grande partie actée. « La fusion entre la BNI et la CNCE est décidée, avec l’idée de créer un grand pôle public pour servir de réglage et aller là où les banques commerciales ne vont pas », souligne un proche du dossier. Financement des PME, des grands projets d’infrastructures, de l’agriculture, des régions reculées, de l’habitat, et bancarisation des couches les plus pauvres seront au menu de ce nouveau pôle bancaire public. L’État ivoirien devrait en revanche sortir de l’activité bancaire classique en cédant Versus Bank, et peut-être se défaire d’une banque en souffrance comme la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA).

L’État doit-il accepter de fixer les lignes directrices tout en déléguant la gestion au privé ?

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Piètre bilan

La philosophie est claire : aller dans les activités cruciales pour le développement mais sur lesquelles les banquiers ne veulent pas miser. Reste la question de la gestion. Et sur ce point, à de rares exceptions près, le bilan du public est très mauvais. C’est le cas en Tunisie où, pendant de longues années, les principales banques publiques ont soutenu à bout de bras certains secteurs d’activité (dont le tourisme, l’habitat et l’agriculture) jugés stratégiques par les autorités. Deux d’entre elles (la Banque nationale agricole et la Société tunisienne de banque) font face aujourd’hui à de telles difficultés que leurs fonds propres sont largement insuffisants pour couvrir les risques pris…

L’État doit-il accepter de fixer les lignes directrices tout en déléguant, voire même en transmettant la gestion au privé ? Le cas de la Banque de l’habitat du Bénin aurait pu servir de leçon (positive), si seulement le même État qui avait initié la création de cet établissement avait tenu ses promesses : alimenter financièrement une banque qui, malgré ce manque, reste financièrement équilibrée.

Mais pour la profession financière, l’État devrait aussi, et peut-être même avant de se soucier de développer des grandes banques publiques, s’atteler à des chantiers encore plus fondamentaux. Pousser les banques à prêter davantage en améliorant le fonctionnement des tribunaux en fait partie. Clarifier la propriété foncière, en délivrant des titres indiscutables pouvant servir de garanties. Doper l’épargne longue, en créant des dispositifs fiscalement avantageux. Forcer la bancarisation, en rendant obligatoire le paiement des salaires par virement bancaire. Imposer certaines assurances minimales (automobile, habitation)… Les pistes sont nombreuses. Qu’attendent les États pour généraliser leur mise en place ?

Quand N’Djamena tire le privé d’un mauvais pas

Petit pays, petit marché. Et pourtant, en moins de deux ans, le Tchad est parvenu à attirer près d’une dizaine de grands noms de la finance africaine, alléchés par la reprise de Commercial Bank Tchad (CBT). L’ancienne filiale locale du camerounais Commercial Bank a été placée sous administration provisoire en 2009, comme toutes les enseignes du groupe. En cause, la mauvaise gestion, notamment en matière de risques. Un an plus tard, alors que la situation des « soeurs » centrafricaine et camerounaise ne bougeait pas, CBT est sorti de l’administration provisoire et, sous la houlette du management, a redressé la barre. « L’État, devenu actionnaire majoritaire, a beaucoup fait pour la banque, mais il n’est pas intervenu dans la gestion », se félicite un cadre de CBT. En un an et demi, les ressources ont triplé et les crédits ont été multipliés par 2,5 ; et le produit net bancaire a doublé au cours de la seule année 2011. « Nous sommes même passés au deuxième rang en termes de ressources, devant Société générale », se réjouit Bertrand Tognia, secrétaire général de CBT. « Ils ont profité de pas mal de fonds publics », persifle-t-on du côté de la concurrence. Reste que les résultats sont là : lorsque l’État tchadien a entamé le processus de cession de la majorité (51 %) du capital, sans conseil externe, les plus grands groupes francophones du continent, d’Attijariwafa Bank à Afriland en passant par BMCE, NSIA ou BGFI, se sont déplacés à N’Djamena pour faire une offre… F.M.

 

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