L’Afrique nouveau champion de la croissance
Radhi Meddeb, président fondateur de l’association Action et développement solidaire.
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Radhi Meddeb
PDG de Comete Engineering, président fondateur de l’association Action et développement solidaire.
Publié le 3 janvier 2013 Lecture : 10 minutes.
L’Afrique a fait figure d’absent de l’Histoire pendant les quarante premières années de ses indépendances. Depuis 2005, elle renoue avec une croissance forte. Elle est aujourd’hui l’une des trois régions les plus dynamiques de la planète et le retour sur investissement y est globalement le plus élevé. Le XXIème siècle sera africain, au-moins en partie.
Les progrès de l’Afrique sont spectaculaires. D’après le FMI, le PIB des 48 pays subsahariens aura cru en moyenne entre 5 et 7 % l’an depuis 2003. Sur la dernière décennie, six des 10 économies où la croissance aura été la plus élevée dans le monde sont africains et en 2012, cinq pays africains auront fait mieux que la Chine et 21 mieux que l’Inde !
Jusque là, cette croissance était tirée par des investissements publics dans les infrastructures et la lutte contre la pauvreté, contre le sida et la malaria, sur financements publics internationaux, par l’annulation et le recyclage de la dette extérieure. Depuis une dizaine d’années, une nouvelle demande s’exprime, tirée par des investissements privés productifs dans les domaines des services, de l’industrie manufacturière, des mines et de l’énergie, mais aussi par le développement considérable des télécommunications : de quelques millions de portables en 2010, l’Afrique est passée à plus de 750 millions aujourd’hui. De plus en plus de pays y participent. Dès 2006, les IDE ont dépassé l’aide internationale et aujourd’hui, ils en représentent le double.
Dès 2006, les IDE ont dépassé l’aide internationale et aujourd’hui, ils en représentent le double.
L’Afrique est un potentiel qui s’exprime déjà. Elle est courtisée par les grandes puissances émergentes.
Ce potentiel reste frappé de faiblesses et de risques.
L’Afrique est confrontée à de multiples défis
Le premier de ces défis est sa jeunesse : l’âge moyen en Afrique subsaharienne est de 18.6 ans. Il est de 25 ans en Afrique du Nord et au Moyen Orient (MENA). Cela génèrera 108 millions d’élèves en plus sur les 10 prochaines années,
Aujourd’hui, moins de 40% des jeunes en âge d’y prétendre, accèdent à l’enseignement secondaire,
L’analphabétisme chez les adultes reste très élevé, atteignant jusqu’à 64% des plus de quinze ans, dans certaines parties du continent,
En 2010, la jeunesse africaine (entre 15 et 24 ans) représentait 14% de son homologue mondiale. En 2100, cette proportion sera de 39%. L’Afrique sera le réservoir de la jeunesse du monde,
En 2050, 21% de la force de travail mondiale sera en Afrique subsaharienne, contre à peine 10% aujourd’hui. La population active mondiale sera largement africaine.
Le choix pour l’Afrique sera entre se lever et se soulever.
La jeunesse africaine est de plus en plus éduquée. Elle est branchée sur les outils de la technologie et de la modernité. En 2016, l’Afrique comptera plus d’un milliard de téléphones portables. Ce sont là les outils de l’entreprenariat mais aussi de la révolution, comme l’ont montré les exemples de la Tunisie, de l’Egypte et d’ailleurs. Cette jeunesse n’acceptera ni le chômage, ni la précarité, ni les emplois sous qualifiés.
La croissance seule ne fait pas pour autant le développement. L’entrée de l’Afrique dans une ère de croissance forte ne la met pas à l’abri des soubresauts politiques et sociaux.
L’entrée de l’Afrique dans une ère de croissance forte ne la met pas à l’abri des soubresauts politiques et sociaux.
L’histoire toute récente dans les pays arabes nous permet de tirer quelques enseignements. De grandes similarités existent entre les évolutions attendues en Afrique subsaharienne sur les dix prochaines années et le parcours des pays d’Afrique du Nord sur les dix dernières.
Le développement résulte de la conjonction de 4 dimensions : la croissance, nécessaire mais insuffisante, les institutions, la gouvernance et l’inclusion.
L’Afrique devra trouver les modalités de faire que sa croissance ait un contenu plus fort en emplois dignes et en rapport avec les capacités et les aspirations de sa jeunesse.
Un rapport récent de McKinsey estime que sur la population active actuelle de 382 millions en Afrique, 275 millions sont chômeurs ou ont un emploi journalier dans le secteur informel. Seuls donc 107 millions sur 382 sont correctement employés, soit à peine 28% !
D’ici à 2020, la population active africaine s’accroitra de 122 millions de personnes, soit autant de nouveaux emplois à créer. Le même rapport McKinsey calcule que sur la même période, l’Afrique sera en mesure de créer entre 54 et 72 millions d’emplois. Le chômage s’accroitra donc de 50 à 70 millions supplémentaires.
En matière de gouvernance et malgré une amélioration substantielle sur l’ensemble du continent, des marges considérables de progrès demeurent.
La Fondation Ibrahim Mo pour la gouvernance en Afrique continue à dénoncer la mauvaise gouvernance, la faiblesse de la démocratie et la corruption. Pour la troisième année consécutive, elle vient de refuser de décerner son prix de 5 millions de dollars, destiné à récompenser des chefs d’état africains ayant quitté le pouvoir de manière paisible et démocratique.
La lutte contre les inégalités et une meilleure participation des populations à la définition de leurs besoins, à leur mise en œuvre et au partage des fruits de la croissance sont des défis considérables pour l’Afrique de demain. Sur les dix dernières années, la croissance, accompagnée de discriminations économiques et sociales, a souvent approfondi les inégalités et aggravé les antagonismes enfouis. De multiples lignes de rupture réapparaissent : tribales, religieuses et raciales.
Des mouvements de rébellion islamistes traversent le continent de l’océan atlantique à l’océan indien. Ils s’érigent contre les gouvernements en place dans une confusion entre l’exclusion économique et sociale liée à une mondialisation effrénée et la recherche d’une identité bousculée par cette même mondialisation non maîtrisée.
À titre d’exemple et à une autre échelle, Nairobi est aujourd’hui une métropole internationale, dynamique et performante, qui rappelle à bien des égards des capitales de pays émergents sinon développés mais qui génère en son sein de la violence et surtout à sa limite, le plus grand bidonville du monde : Kibera avec ses 250 000 habitants qui n’ont rien à perdre et éventuellement tout à gagner. Les signes extérieurs de l’État s’arrêtent à l’entrée de Kibera avec la fin des routes pavées, l’absence d’éclairage public et le règne de l’économie informelle.
Des sous ensembles économiques régionaux sont déjà effectifs en Afrique, mais cela reste insuffisant. Le niveau des infrastructures, surtout transfrontalières et structurantes est encore faible. Les bailleurs de fons internationaux en ont pris conscience. Ils travaillent à y remédier avec les pays et les instances régionales, même si les cadres appropriés n’existent pas toujours. Millenium Challenge, avec le gouvernement américain, mais aussi d’autres programmes établis par la Banque Africaine de Développement travaillent à corriger ces faiblesses. L’Afrique a besoin, pour s’insérer dans l’économie mondiale, de s’adosser à un ensemble économique plus large et plus performant qui puisse l’accompagner dans cette démarche.
L’Histoire plaide pour une coopération renforcée avec l’Europe, mais le salut des uns et des autres passera par de nouvelles solidarités et de nouvelles modalités de partenariat.
L’Histoire, la géographie, les échanges humains, les diasporas, mais aussi le fonds commun culturel et linguistique commandent tout naturellement la recherche de proximité, de complémentarité et de solidarité nouvelle faite d’efficacité et d’inclusion entre l’Europe et l’Afrique.
Dans ce schéma, les pays du sud et de l’est de la Méditerranée sont une jonction naturelle entre les deux espaces. Dans leur majorité, ils font partie intégrante de l’Afrique. Les pays du Maghreb ont renoué depuis quelque temps avec leur africanité. Ils redécouvrent les chemins de leurs ancêtres phéniciens et de leurs comptoirs. Ils réempruntent les routes des caravanes, en leur donnant un contenu nouveau empreint de modernité et d’ouverture.
Les services tunisiens et marocains, notamment en matière d’ingénierie, de santé, d’éducation et de services financiers sont techniquement adaptés aux besoins des pays africains et commercialement compétitifs. Les partenariats entre opérateurs économiques africains, du nord et du sud du Sahara se multiplient, dans les domaines des banques, des télécommunications et du transport maritime et aérien.
Pour un nouveau partenariat Euro Méditerranéen et Africain
La construction d’une région verticale euro méditerranéenne et africaine est inéluctable pour que les uns et les autres, de part et d’autre de la Méditerranée, survivent, s’épanouissent et prospèrent face à la déferlante asiatique et américaine. La mondialisation donne d’ores et déjà à chacun des pays de la région la possibilité de construire les partenariats qu’il souhaite et qui lui semblent préserver ses intérêts et sa compétitivité. Plus aucune rente de situation n’est pérenne. Plus aucun héritage historique ne s’imposera. Seul le partenariat solidaire renforcera ces relations et les engagera dans une dynamique vertueuse.
La mondialisation donne d’ores et déjà à chacun des pays de la région la possibilité de construire les partenariats qu’il souhaite.
Ce partenariat triangulaire euro méditerranéen et africain, pour être effectif devra être solidaire :
– Il sera fait de plus de compétitivité pour tous. Les industries européennes pourront et devront trouver à travers des implantations africaines, des marchés nouveaux, mais aussi des repositionnements stratégiques qui leur donneront plus de compétitivité pour aborder ensemble, le reste du marché mondial. L’initiative de Renault à Tanger Med, à ce titre, est à saluer pour sa pertinence et sa vision. Les industries européennes devront faire preuve de lucidité pour transférer au sud de la Méditerranée, de part et d’autre du Sahara, les activités à fort contenu de main d’œuvre, que l’évolution des salaires européens condamne à terme à disparaître, face au multiple dumping asiatique.
– Une préférence régionale devra être mise en place, favorisant les échanges intra régionaux, la coopération et la recherche de synergies agricoles et industrielles. Elle devra s’accompagner de politiques communes, en matière agricole, industrielle, d’enseignement, de recherche, d’innovation et d’aménagement du territoire. La solidarité devra être globale pour être effective. Elle ne pourra pas être une solidarité choisie et à géométrie variable.
– La coopération industrielle ne pourra pas se limiter au transfert d’activités à fort contenu de main d’œuvre et à faible valeur ajoutée. Elle devra favoriser aussi l’émergence d’activités de service, pourvoyeuses d’emplois de haut niveau, en adéquation avec les aspirations et les qualifications d’une jeunesse africaine, de plus en plus éduquée et ouverte sur le monde. Ce sera là une condition importante pour favoriser le retour dans leurs pays d’origine, sur une base volontariste, des compétences africaines et maghrébines, formées sur les bancs des meilleures universités mondiales et impulser ainsi une dynamique d’innovation et de progrès.
– Ce partenariat devra s’accompagner d’investissements significatifs, publics et privés dans le développement des capacités humaines, notamment en matière d’éducation et de santé. Cela favorisera l’appropriation du partenariat par les populations locales, sa viabilité et sa pérennité.
– La concrétisation de ces solidarités multiples passera aussi par la mise en commun des potentialités naturelles des trois sous régions : savoir faire et technologies européens, hydrocarbures et capacités humaines des pays méditerranéens et ressources naturelles de l’Afrique subsaharienne.
– Cela passera aussi par le nécessaire rattrapage par l’Afrique de son retard en termes d’infrastructures, de logistique et de services publics. De très importants investissements devront y être mis en place. Les opérateurs des trois sous régions devront y être associés. Ils apporteront leurs contributions en termes d’expertise de réalisation et de gestion mais aussi leurs financements et leur savoir faire en termes de montages techniques, juridiques, institutionnels et financiers. Pour cela, des cadres appropriés pour le partenariat public privé mais aussi pour la protection des investissements devront être identifiés et mis en place de manière homogène dans les différents pays de la région.
Cela passera aussi par le nécessaire rattrapage par l’Afrique de son retard en termes d’infrastructures, de logistique et de services publics.
L’Afrique est aujourd’hui une terre de promesses et de menaces. Bob Geldof y est arrivé à travers l’aide humanitaire. Aujourd’hui, il monte un fonds d’investissement en capital risque dédié à l’Afrique d’un montant de 200 millions de dollars. De multiples exemples de success stories existent en Afrique. Ecobank, banque universelle, dirigée à partir du petit Togo, aligne des actifs de 18.5 milliards de dollars, collecte des dépôts de 13.5 milliards, dispose de près de 1200 agences et emploie plus de 23000 personnes dans 32 pays d’Afrique. Pendant ce temps là, les banques françaises se désengagent du continent africain. Elles préfèrent se concentrer sur des marchés vieillissants, rongés par la spéculation et le court termisme.
Les promesses sont énormes en Afrique. Les réserves en gaz découvertes sur un seul bloc géologique au Mozambique (Rovuma 1) sont supérieures à celle de la Libye, et les premières estimations pour la Somalie la créditent de réserves en pétrole supérieures à celles du Koweït.
La Chine l’a compris. Elle investit avec frénésie dans un échange infrastructures contre ressources naturelles, pas toujours respectueux des intérêts des peuples, prétendument à l’écart de toute ingérence politique, mais souvent complice de bien de turpitudes. Elle est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Afrique devant les Etats Unis. Son commerce avec l’Afrique dépasse de loin le montant de l’aide internationale que reçoit le continent. L’Europe est loin derrière. Elle continue à vivre sur sa rente coloniale. Il est temps que cela change dans l’intérêt des peuples et au service de leur développement.
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