Pas de lézard pour la banque Lazard
La banque d’affaires Lazard est la conseillère historique des gouvernements africains. Un atout non négligeable quand on veut s’imposer sur le marché naissant des fusions-acquisitions sur le continent.
Le marché mondial des fusions-acquisitions n’en finit plus de ralentir… sauf en Afrique. Jusqu’alors très marginalement concerné, le continent pourrait bien être l’eldorado des grandes banques d’affaires internationales, qui se font déjà les dents sur les banques ou les télécoms. Dans ce dernier secteur, le franco-américain Lazard tire discrètement son épingle du jeu. Ainsi, en mai 2012, il était derrière le rachat par France Télécom de 29 % de l’égyptien Mobinil, pour 1,9 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros), au magnat Naguib Sawiris. En 2011, déjà, il avait conseillé le chinois ZTE dans la cession du quatrième opérateur congolais, Congo Chine Télécom (RD Congo).
En 2010, c’est aussi Lazard qui avait organisé la vente par le même Naguib Sawiris de sa participation majoritaire dans l’opérateur Orascom au russe Vimpelcom, pour la bagatelle de 6,6 milliards de dollars. Une aubaine pour Vincent Le Stradic, à la tête du département technologie et télécoms en Europe : ce n’est pas tous les jours qu’un banquier-conseil peut donner naissance au cinquième acteur mondial de la téléphonie. Et faire rentrer un peu plus de 12 millions de dollars dans le tiroir-caisse de Lazard.
Parmi les gros deals sur lesquels on a retrouvé le groupe ces deux dernières années, il faut aussi mentionner la fusion SNI-ONA (Société nationale d’investissement et Omnium nord-africain), au Maroc, en 2010, également pilotée par Vincent Le Stradic, suivie il y a quelques mois de la cession par la même SNI de Lesieur Cristal au français Sofiprotéol. Et ce n’est qu’un début : Lazard compte bien faire de l’Afrique un réservoir de croissance pour ses activités de conseil aux entreprises.
Acteur global
La banque, qui a réalisé 1,9 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2011 et compte quelque 2 600 collaborateurs à travers le monde, s’est historiquement construite sur l’axe Paris-Londres-New York. Depuis, Lazard s’est positionné comme un acteur global. Les clients de ses activités de conseil – aux entreprises et aux gouvernements – se répartissent aujourd’hui dans plus de 70 pays, dont 23 en Afrique. Et son autre activité, la gestion d’actifs, s’applique à des clients venus de plus de 80 pays, dont six en Afrique : Égypte, Liberia, Côte d’Ivoire, Ghana, Gabon et Afrique du Sud. Cependant, l’Europe et l’Amérique continuent de générer à elles seules 91 % de ses revenus.
Le groupe doit absolument aller chercher la croissance dans les pays émergents. D’autant que, coté à Wall Street depuis 2005, Lazard est pressé par les exigences de rendement de Trian Fund Management, l’un de ses actionnaires, monté en juin à 5,1 % du capital. « Beaucoup de zones émergentes connaissent une activité M&A [mergers and acquisitions, c’est-à-dire fusions-acquisitions, NDLR] en forte progression, avec d’une part des entreprises locales ambitieuses et soutenues par la puissance publique, et d’autre part des grandes entreprises occidentales qui viennent y chercher un relais de croissance », expliquait Matthieu Pigasse, directeur général de Lazard France, au journal financier français L’Agefi au début de l’été. En Amérique du Sud, la banque a recruté l’ancien président de la Banque centrale du Brésil et un ex-ministre chilien des Finances. En Asie, elle s’est considérablement renforcée sous la houlette de Jean-Louis Beffa, ancien patron du français Saint-Gobain, avec des équipes à Bombay, Hong Kong, Pékin, Singapour, Séoul et Tokyo.
Johannesburg comme hub ? Cela éloignerait le groupe de ses marchés historiques.
Avec des bureaux dans 42 villes de 27 pays, il n’y a plus désormais qu’un seul continent vierge pour Lazard : l’Afrique. Pour celle-ci, tout est piloté depuis les bureaux parisiens du boulevard Haussmann, où vient d’être créé un département spécialisé sur l’Afrique subsaharienne. « Le moyen le plus simple d’aller de Dakar à Libreville reste de passer par Paris, rappelle un banquier. La difficulté pour Lazard consiste à trouver un hub africain. Seul Johannesburg pourrait prétendre à ce statut, mais cela éloignerait la banque de ses principaux marchés historiques, en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Certaines enseignes concurrentes – JP Morgan, Goldman Sachs ou Morgan Stanley – y ont des bureaux, mais, contrairement à Lazard, elles ne font pas que du conseil et ont d’importantes activités de financement. » La part de l’Afrique dans le business de Lazard prenant de l’ampleur, ce statu quo pourrait voler en éclats sous peu. La banque n’a pas souhaité répondre à nos questions sur le sujet, mais elle aurait tort de ne pas pousser ses pions en Afrique, où elle part avec deux atouts considérables.
Confiance des clients
Le premier atout est que son modèle de banque de conseil indépendante reprend de la vigueur, alors que la crise financière n’a pas fini de remuer le petit monde bancaire. Ce même modèle l’avait un temps relégué au rang d’acteur secondaire, pendant que des mastodontes intégrés se taillaient la part du lion, profitant d’un avantage réel : le modèle de banque universelle permet à la fois de conseiller et de financer. Aujourd’hui, l’indépendance de Lazard lui vaut la confiance de ses clients. Sur les douze derniers mois, l’institution s’est offert la cinquième place sur le marché mondial des banques de conseil, avec un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars dans cette activité, juste derrière Bank of America. Morgan Stanley et JP Morgan affichent 1,4 milliard de dollars chacun, et Goldman Sachs mène la danse, avec près de 2 milliards de dollars. Autant d’adversaires à la puissance de feu financière sans commune mesure. Mais là où le conseil ne représente que de 2 % à 9 % de l’activité de ces grands concurrents, il compte pour 55 % du business de Lazard, qui ne fait pas plus de financement que de trading pour compte propre.
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Les banques d’affaires explosent en Afrique
Par ailleurs, le groupe bénéficie d’un historique africain conséquent, essentiellement dans le conseil aux gouvernements. Cette activité est la spécialité de Lazard, qui est aujourd’hui le premier acteur mondial du secteur. La quinzaine de personnes qui s’occupent de ce segment sous la direction de Michèle Lamarche, à Paris, ont une expérience incontestée, qui leur a par exemple valu de conseiller la Grèce face à ses créanciers depuis 2010 – un contrat de 25 millions d’euros. Il faut dire qu’avec Warburg et Lehman Brothers, Lazard a quasiment inventé cette activité, avec un premier mandat en Indonésie dans les années 1970, immédiatement suivi d’une mission au Gabon.
La banque a depuis conseillé régulièrement la quasi-totalité des pays africains sur des problématiques de restructuration de dette, de financement de projets et d’émissions obligataires. De l’échange des titres Brady ivoiriens en 1998 aux opérations de sortie du Gabon (2006) et du Nigeria (2005) des clubs de Paris et de Londres, Lazard a toujours été le conseiller de l’ombre. Avec presque quarante années de relations au sommet dans toutes les chancelleries du continent, le groupe est bien placé pour introduire des opérateurs étrangers en Afrique où, pour acheter une banque, acquérir une licence téléphonique ou construire un pipeline, l’aval de l’administration reste souvent indispensable. l
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