Chedly Ayari : « Pas besoin de nous inonder de capitaux »
Pour le gouverneur de la banque centrale de Tunisie, le redémarrage de l’économie se fera en 2016. Il vise une croissance durable comprise entre 5 % et 6,5 %.
Jeune Afrique : Comment se porte l’économie ?
Chedly Ayari : Tous les éléments d’une reprise sont en train de se mettre en place. Notre choc démocratique est un élément majeur qu’apprécient nos partenaires étrangers. Dernière retombée de cette sympathie générale, les perspectives de l’agence de notation Fitch viennent d’être relevées de « négatif » à « stable ». Pour la première fois depuis des années, nous ne sommes pas dégradés ! Sous tous ses régimes politiques, la Tunisie a su gérer la rareté de ses ressources, et son Administration a tenu le coup durant la transition. Sa dette, bien qu’élevée car représentant 49,2 % du PIB, est soutenable. Bien sûr, nos déficits courants sont notre talon d’Achille et nous obligent à emprunter. Mais ce qui m’inquiète, c’est que ces déséquilibres perdurent sans croissance. Après une récession de 1,9 % en 2011, nous avons repris notre progression, mais notre rythme de + 2,5 % par an ne permet pas de réduire le chômage.
Votre objectif ?
Une croissance de 5 % à 6,5 % et sur une longue durée. Autrement dit, nous avons deux à trois points de croissance à rattraper. Si les phosphates repartent, si le tourisme ne s’effondre pas, si l’Europe redémarre et s’ouvre à nos produits, c’est jouable sans qu’il soit besoin d’inonder la Tunisie de capitaux. Nous sommes petit, homogène, riche en ressources humaines : nous allons croître, mais pas au point de résoudre le problème du chômage en trois ans. Je fais partie de ceux qui disent que l’avenir est difficile, mais que notre pays va retrouver un rythme de croissance correct. Pas en 2015 mais en 2016, année du redémarrage.
Était-il nécessaire d’emprunter 1 milliard de dollars (environ 880 millions d’euros) début 2015 ?
J’ai pris sur moi d’aller sur les marchés. Je voulais prouver que la Tunisie était crédible sur le plan international, mais nous avions aussi besoin de cet argent pour faire face à nos échéances de février à un moment où nous n’avions pas de gouvernement. Nous voulions 500 millions de dollars : on nous en a proposé quatre fois plus. Nous n’avions aucune garantie à fournir : les plus grands investisseurs comme Goldman Sachs ou Pimco ont accepté de nous prêter sur dix ans, ce qui est étonnamment long, et à un taux de 5,75 %, très inférieur aux 7 % demandés au Kazakhstan qui, lui, a du pétrole pour gager son emprunt. Nous n’aurons aucun mal à rembourser.
Faisons un gâteau le plus grand possible par notre productivité et notre travail.
Jusqu’où laisserez-vous tomber le dinar ?
Ce sont les forces du marché qui déterminent son cours et nous ne pouvons aller à contre-courant. Toutefois, nous commençons à lisser sa volatilité excessive. Ainsi avons-nous injecté des devises avant que leur rareté ne déclenche des réactions dangereuses. Cela a rassuré les acteurs du marché.
Les banques publiques, malades, vont-elles être recapitalisées ? Privatisées ?
Certaines banques privées ne se portent pas bien non plus. C’est dire que la composition du capital de nos banques est secondaire. Leur mode de gouvernance est plus important et nous allons faire en sorte que ces établissements soient enfin gérés selon les règles du marché. Pour cela, nous instaurons un autre mode de recrutement de leurs administrateurs. L’avenir de nos banques est dans le développement d’un partenariat public-privé, mais il nous faudra apaiser les appréhensions de ceux qui redoutent que l’argent public ne soit perdant dans l’affaire…
>>>> Réformer les banques publiques tunisiennes, mission impossible ?
Quelles réformes préconisez-vous ?
La Tunisie doit d’abord jouer l’ouverture sur l’économie mondiale. Il faut en finir avec l’introversion et ne plus avoir d’état d’âme à propos du progrès technique. Ensuite, pour développer l’emploi, il nous faut créer de la valeur, donc produire. Pour produire, il faut la paix sociale. Il est vrai que la répartition des richesses n’est pas juste et que, par exemple, notre taux d’imposition des plus hauts revenus à 35 % est une aberration.
Vous parlez comme un social-démocrate…
Je n’aime pas les étiquettes, mais si je devais en accepter une, ce serait celle-là. J’ajoute qu’il est normal de discuter de hausses de salaires, mais qu’il ne peut y avoir de rémunérations sans contrepartie. L’entreprise n’est pas faite pour résoudre le problème de l’emploi, et si le rapport de l’ouvrier avec son patron doit changer, il ne peut être question d’autogestion. Le blocage du bassin minier n’a pas de sens. Faisons un gâteau le plus grand possible par notre productivité et par notre travail : nous aurons alors vraiment quelque chose à nous partager.
>>>> Lire aussi – Tunisie : comment retrouver le succès économique ?
Propos recueillis par Alain Faujas
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