Laurent Fayat, Razel-Bec : « Rester sur le long terme, voilà ce qui récompense les entreprises »
Déjà solidement implanté au Cameroun, le groupe de BTP français Razel-Bec ne cesse de gagner du terrain sur le continent. Objectif : y réaliser 40 % de son chiffre d’affaires dès cette année.
Infrastructures : quand les capitaux affluent
La croissance économique et démographique de l’Afrique attire enfin les investisseurs. Surtout dans les transports et l’énergie, où les projets se multiplient. Reste le problème de leur gestion par les États.
Racheté fin 2008 à l’allemand Bilfinger Berger par le groupe de BTP français Fayat, Razel – aujourd’hui Razel-Bec, depuis sa fusion avec Bec Frères – avance ses pions sur le continent africain. Outre le Cameroun, pays d’implantation historique, il devrait se développer au Congo, en Côte d’Ivoire et au Mozambique dans les années à venir, tandis qu’en matière de diplomatie économique le changement de doctrine de la France facilite les contrats. En 2014, Razel-Bec a réalisé un chiffre d’affaires de 795 millions d’euros. Le groupe emploie près de 6 000 salariés, dont 1 500 en Afrique.
Propos recueillis par Christelle Marot
Jeune Afrique : Razel-Bec est très présent au Cameroun, alors que votre concurrent Bouygues l’est en Côte d’Ivoire. Peut-on parler de chasses gardées pour certains pays ?
Laurent Fayat : Il n’y a pas de chasse gardée. Sogea-Satom et DTP [Bouygues Construction] travaillent eux aussi au Cameroun. La grosse différence, c’est que Razel-Bec y est implanté depuis 1948. Dans les faits, c’est vrai, c’est un territoire sur lequel nous sommes plus puissants que les autres. Au Cameroun, Razel est une entreprise camerounaise ! Prenez le port de Kribi, financé par les Chinois : il y a une part apportée par les Camerounais sur les infrastructures. Et c’est Razel-Bec qui réalise ces travaux. Nous travaillons sur financement local. Les expatriés comptent pour moins de 3 % de notre personnel. Nous avons également créé une école de formation.
Nous ne sommes pas là pour faire des coups. Nos implantations en Afrique sont durables. Rester sur le long terme, malgré la conjoncture économique ou politique, voilà ce qui récompense les entreprises. Certes, il y a des événements qui font que l’on est obligé de se replier pour assurer la sécurité de nos salariés, comme ce fut le cas au Mali – un territoire historique pour Razel-Bec – et au Niger. Mais lorsque nous revenons, comme en Côte d’Ivoire – un pays qui connaît actuellement une forte dynamique, et proche de la France -, nous nous inscrivons dans la durée.
Justement, quelle est aujourd’hui l’importance de la diplomatie économique française pour décrocher des contrats en Afrique ?
Depuis l’arrivée de Laurent Fabius aux Affaires étrangères, le climat s’améliore. La nouvelle doctrine du Quai d’Orsay est de rendre les choses plus faciles pour les entreprises françaises. L’Agence française de développement [AFD] reste attachée au principe du financement délié, mais elle est plus réceptive au secteur privé. Elle nous est plus favorable. En Côte d’Ivoire, nous sommes revenus grâce à un financement spécifique, un montage réalisé avec les services de Bercy sur la Réserve pays émergents [RPE].
>>> Lire aussi – Diplomatie économique française : Abidjan prend la place de Dakar
Dans quelles conditions Razel-Bec a-t-il remporté le contrat pour la réalisation des infrastructures du Nord-Mali dans le cadre de la Minusma ? Est-il nécessaire de présenter des offres françaises groupées ?
Le contrat de gré à gré remporté au Mali il y a un an est un cas très particulier. Les Nations unies ne signent jamais de contrat directement avec les entreprises. D’où cette offre groupée, avec Thales, montée avec l’appui de France Expertise internationale [FEI], qui dépend du ministère des Affaires étrangères.
Dans certains cas, s’associer à d’autres entreprises se justifie. C’est ce que nous avons fait avec Sogea-Satom pour réaliser, sur financement américain, des aménagements de canaux sur le fleuve Sénégal. Ce sont en effet des marchés sur lesquels il faut mobiliser des moyens considérables pour une durée parfaitement définie. Les Américains exigent des entreprises qu’elles aient terminé leurs travaux à échéance pour être payées. Il est également intéressant de combiner des compétences pour gagner de nouveaux marchés, comme nous l’avons fait en Mauritanie avec la Sade [Veolia Environnement], spécialisée en construction et maintenance des réseaux d’eau.
Quels sont vos principaux moteurs de développement en Afrique ?
Nous sommes en progression constante. Nous intervenons actuellement dans huit pays : l’Algérie, le Cameroun, le Congo, la Guinée équatoriale, le Mozambique, le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire. En 2014, le continent représentait près de 242 millions d’euros de chiffre d’affaires. En 2015, nous devrions dépasser les 300 millions d’euros. L’Afrique constituera alors 40 % du chiffre d’affaires total de Razel-Bec. L’essentiel de l’activité demeure au Cameroun, où nos revenus oscillent entre 70 millions et 80 millions d’euros selon les années.
La croissance sera aussi tirée par des pays où nos activités reprennent, comme le Congo, qui devrait passer de 25 millions à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, notamment grâce au chantier de la route de la Corniche, à Brazzaville. Nous revenons aussi au Sénégal et en Côte d’Ivoire, et sommes présents au Mozambique depuis trois ans. Nous avons décroché en 2014 le contrat pour la réhabilitation de l’aéroport de Maputo sur un financement de l’AFD. La croissance des secteurs pétroliers et gaziers nécessite des infrastructures. Nous cherchons à nous développer en Afrique australe et regardons attentivement ce qui se passe en Zambie.
La nouvelle doctrine du Quai d’Orsay facilite la signature de contrats.
Et le Nigeria ?
Autant nous nous intéressons au Ghana, autre pays anglophone, autant le Nigeria n’est pas à l’ordre du jour. C’est un grand pays, très complexe politiquement, avec des entreprises fortement impliquées. Pour nous, c’est très compliqué d’envisager d’y travailler.
Vos clients sont essentiellement des entreprises publiques et parapubliques. Sur quels types de financement intervenez-vous ?
Nous revenons souvent dans des territoires sur du financement international. C’est important de trouver un équilibre entre le local et l’international. Ne travailler que sur du local, c’est faire peser des risques importants sur la trésorerie de l’entreprise. En Guinée équatoriale, par exemple, nous sommes présents mais limitons notre implication, car ce pays connaît des problèmes politiques, or nous y travaillons sur des projets financés localement.
Cela dépend aussi du niveau de développement. Les pays qui disposent de ressources pétrolières et de matières premières, qui connaissent un boom, ne sont pas éligibles de la même manière aux financements internationaux. On y est davantage sur du financement local.
Il faut prendre en compte la difficulté des financements à long terme sur certains pays africains. Pour le financeur, la RPE est intéressante. Une quotité est garantie par l’État français. Ce qui permet de trouver plus facilement le reste des financements, via un crédit acheteur par exemple.
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