La pénurie de chocolat, menace ou fantasme ?
Face à l’augmentation de la demande des pays émergents, les géants de cette industrie affirment redouter un déficit de fèves. Un scénario jugé alarmiste, et même contre-productif, par les experts.
Depuis les fêtes de fin d’année, les journaux du monde entier ont multiplié les titres annonçant une probable envolée des prix du chocolat. Les acteurs de cette industrie ne cessent de s’alarmer d’un possible manque de fèves sur les marchés internationaux, en raison notamment d’une forte hausse de la consommation dans les pays en développement – de l’ordre de 30 % pour le trio Chine-Inde-Brésil depuis la crise de 2008.
En novembre, le singapourien Olam, l’un des principaux négociants de fèves, a annoncé prévoir pour cette année un déficit de 120 000 tonnes sur le marché. Dans le Wall Street Journal, son concurrent, l’américain Cargill, évoquait avant lui un chiffre de 100 000 à 200 000 t. Barry Callebaut, autre grand ténor du secteur, table à l’inverse sur un surplus pour 2014-2015.
« Pour cette campagne, il n’y a pas de consensus sur la production, confirme Victoria Crandall, analyste chez Ecobank. Et cela est lié à l’incertitude qui entoure les chiffres de la récolte du Ghana [deuxième producteur mondial de cacao]. L’harmattan [vent chaud ouest-africain] a probablement eu un impact négatif sur celle-ci. En revanche, en Côte d’Ivoire, la production devrait finalement être assez bonne. » Le pays, premier producteur mondial, pourrait se maintenir à un niveau équivalent ou légèrement inférieur à celui enregistré pour 2013-2014, avec 1,7 million de tonnes. Cette année-là, comme durant la majorité des campagnes précédentes, la production mondiale était en excédent.
« Matraquage »
De manière générale, les grands acteurs du secteur agitent souvent l’épouvantail du déficit. En 2013, Barry Callebaut était allé jusqu’à parler d’un manque de cacao de 1 million de tonnes sur le marché à l’horizon 2020. Des annonces qui provoquent de vives réactions au sein de l’Organisation internationale du cacao (OIC). Le 24 mars, lors de son rassemblement annuel à Abidjan, son directeur exécutif, Jean-Marc Anga, regrettait ce « matraquage médiatique » et dénonçait les avertissements « clairement exagérés » de nombreux industriels.
Pour l’organisation, le déficit sera « léger » cette année et ne dépassera pas les 17 000 t. En pleine négociation pour le rachat des usines de transformation d’Archers Daniels Midland (ADM, l’un des leaders historiques dans ce domaine), le lanceur d’alerte Olam n’a pas souhaité expliquer ses calculs.
Mais le pessimisme des industriels s’explique tout d’abord par l’existence d’ »un certain fantasme » autour du cacao, souligne François Ruf, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). « Il y a une angoisse car la production mondiale est concentrée sur un petit nombre de pays, avec la Côte d’Ivoire qui cumule 40 % de la production de la planète. Cela inquiète les grands groupes, qui se disent que l’augmentation de la production ivoirienne ne va pas durer éternellement », explique ce chercheur installé à Abidjan.
À eux seuls, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun et le Nigeria concentrent 70 % de la production mondiale. Autre explication selon l’OIC, les industriels basent trop souvent leurs calculs sur le potentiel de croissance de la demande sans tenir compte des progrès de productivité. « L’industrie s’appuie sur la demande pour réaliser son appréciation des tendances. Elle estime ainsi que, dans la mesure où l’on observe une croissance de la consommation dans les pays émergents, il y aura des difficultés à la satisfaire », explique Jean-Marc Anga.
« Est-ce un hasard si ces annonces alarmistes surviennent souvent à l’approche de période de fêtes ? », s’interroge un expert.
Modeste
Se défendant de vouloir polémiquer, ce dernier soutient que, malgré cette dynamique, les volumes consommés par les pays en développement restent modestes. La Chine, avec son milliard d’habitants, n’a consommé que 70 000 t de cacao en 2012-2013, loin derrière les États-Unis avec quelque 775 000 t. « Sauf catastrophe naturelle, aucun de nos scénarios ne prévoit plus de 100 000 t de déficit ou d’excédent jusqu’en 2019-2020 », assure-t-il.
Et est-ce un hasard si ces annonces surviennent souvent à l’approche des fêtes de fin d’année, de la Saint-Valentin ou de Pâques, périodes de forte consommation de chocolat ? questionne l’expert. Elles peuvent en effet faire légèrement monter les prix. « Ceux-ci ont augmenté ces deux derniers mois [ils se situent actuellement entre 2 700 et 3 000 dollars (2 540 et 2 820 euros) la tonne, mais le pic remonte à septembre 2014, à 3 200 dollars] à cause de ces scénarios alarmistes. Certains articles dans la presse américaine conseillaient même de commencer à stocker du chocolat », ajoute Jean-Marc Anga.
À plus long terme, surtout, elles peuvent pousser à l’augmentation de la production de cacao via une hausse de la productivité, la conversion de nouvelles parcelles, voire l’entrée de nouveaux pays dans l’industrie du cacao. Avec le risque d’aller trop vite. « Nous sommes aujourd’hui à 2,4 millions de tonnes produites. Si on plante partout dans le monde, on va se retrouver avec 5 millions de tonnes et il n’y aura donc aucune chance pour que les prix se maintiennent. Et ce sont les producteurs qui vont trinquer », plaide-t-il.
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