Allemagne : Oskar Gröning, le Comptable d’Auschwitz

On le surnomme le Comptable d’Auschwitz. Oskar Gröning est jugé pour complicité dans l’assassinat de 300 000 personnes. C’est sans doute l’ultime procès d’un ex-responsable du IIIe Reich.

Oskar Gröning, 93 ans, à l’ouverture de son procès, le 21 avril à Lunenbourg © Ronny Hartmann/AFP

Oskar Gröning, 93 ans, à l’ouverture de son procès, le 21 avril à Lunenbourg © Ronny Hartmann/AFP

Publié le 29 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

"J’ai vu les fours crématoires, j’ai vu les fosses où l’on brûlait les corps…" Oskar Gröning, 93 ans, ne l’a jamais caché, afin, dit-il, de lutter contre le négationnisme : de 1942 à 1944, il était bien l’un des rouages de la machine de mort nazie dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Depuis mardi 21 avril, il doit répondre de ses actes devant le tribunal de Lunebourg (Basse-Saxe), où il est jugé pour complicité dans l’assassinat de 300 000 personnes, pour la plupart des Juifs hongrois déportés entre le 16 mai et le 11 juillet 1944.

Celui que la presse allemande surnomme le Comptable d’Auschwitz était en effet chargé de débarrasser les bagages des déportés pour faire de la place pour le convoi suivant et éviter la panique. Il devait également trier les devises pour les envoyer à Berlin. Enfin, il aurait au moins une fois participé au tri entre les personnes considérées comme aptes au travail et celles envoyées directement dans les chambres à gaz.

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Sans chercher à fuir sa "culpabilité morale", l’homme, qui se déplace aujourd’hui avec un déambulateur, a, dès le premier jour de son procès, demandé pardon aux familles des victimes. Il encourt entre trois et quinze ans de réclusion, bien que certaines des soixante-sept parties civiles venues du monde entier aient fait connaître leur préférence pour une peine plus adaptée à son âge – par exemple, des "travaux d’intérêt général pour raconter son passé dans les écoles"."On a toujours eu le sentiment que la justice ne passerait jamais, raconte Eva Pusztai-Fahidi, qui a perdu quarante-neuf membres de sa famille dans le camp de la mort. D’une certaine façon, ce procès est déjà une satisfaction."

Amer

Pourtant, soixante-dix ans après, le procès de ce vieillard âgé de 20 ans à l’époque des faits laisse un goût amer. "Il ne s’agit bien sûr pas de réhabiliter ces hommes, souligne l’historien Andreas Sander. C’est une question morale et politique : quelle société voulons-nous ? Quelle justice voulons-nous montrer aux plus jeunes ?" C’est pour cette raison que l’Allemagne entend poursuivre les bourreaux jusqu’à leur mort.

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Ce ne fut pourtant pas toujours le cas. Et beaucoup de temps a été perdu dans le jugement des criminels nazis. Aussitôt après la guerre, des procès retentissant eurent lieu, dont le plus emblématique fut évidemment celui de Nuremberg. Mais sous prétexte de reconstruction et de réconciliation nationale, la clémence prévalut. Certains condamnés à mort virent leur peine commuée en réclusion, d’autres furent graciés, d’autres encore, pourtant condamnés par contumace, purent entreprendre des carrières de chef d’entreprise ou couler une paisible retraite, en Allemagne, sans être inquiétés. Il faut dire que de nombreux anciens responsables nazis occupaient à cette époque des postes importants dans la police et la justice.

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Sévérité

Il fallut attendre la génération suivante et l’acharnement de l’Office central sur les crimes nazis (dont le siège est à Ludwigsburg) pour que les juges fassent preuve de davantage de fermeté. Mais, à l’époque, seuls les meurtres attestés par des témoignages et des documents – naturellement rares – pouvaient être jugés. De fait, depuis 1945, seules 6 656 condamnations ont été prononcées. Sur les 6 500 gardes et dirigeants d’Auschwitz, 34 ont été condamnés.

Ce n’est qu’en 2011 que le procès du garde John Demjanjuk a changé la jurisprudence : sa simple présence dans le camp de Sobibór (Pologne) lui a valu une condamnation à cinq ans de prison. À partir de là, une douzaine de dossiers ont été rouverts, mais, en raison du grand âge des accusés, les procédures n’ont que très peu de chances d’aboutir.

Par ailleurs, elles ne concernent que des seconds couteaux, très jeunes à l’époque des faits. Avec le procès Gröning, une page de l’histoire allemande se tourne. Pourtant, bien après la disparition des derniers protagonistes de la tragédie, une question continuera de hanter ce pays pendant longtemps : "Comment ces hommes ordinaires ont-ils pu sombrer dans une telle folie meurtrière, puis, comme si de rien n’était, reprendre leur vie d’avant sans jamais exprimer de remords", estime Andreas Sander. 

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